La déchristianisation entraîne une perte de la foi en la résurrection des corps chez nos contemporains, même ceux qui se disent catholiques. Par ailleurs, le discours écologique met l’accent sur les dangers qui guident le monde et l’humanité et n’imagine que très rarement un au-delà de ce monde-ci et de cette existence. S’il y a une eschatologie, une pensée de la fin des temps en écologie, elle est totalement close sur notre monde. Le slogan « Il n’y a pas de planète B » résume bien cette fermeture. Certains, y compris des chrétiens pratiquants, vont jusqu’à contester l’idée même de résurrection de la chair en objectant qu’il n’y aurait pas assez de place pour tous sur la terre si nous ressuscitions en chair et en os… tout en récitant le Credo tous les dimanches à la messe. Comment, alors, annoncer le cœur de la foi, le kerygme de la résurrection des corps, face à une éco-anxiété généralisée ?

Depuis un fameux article de Lynn White en 1967[1], il est courant d’accuser le christianisme d’avoir provoqué la crise écologique en introduisant une pensée anthropocentrée, où le reste du monde créé est à la disposition de l’être humain, qui lui est supérieur. « Dominez la terre et soumettez-là », dit Dieu au premier couple en Gn 1,28. De même, Gn 9,2 accentue le caractère brutal de cette domination.
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Dieu créateur, Guiard des Moulins, Bible historiale, début 14e siècle. Photo: Bibliothèque nationale de France.

Cette thèse s’est largement répandue et il n’est pas rare que certains milieux écologistes soient hostiles au christianisme, qu’ils assimilent d’ailleurs à la pensée technicienne occidentale issue de la modernité, à partir du XVIIe siècle. Descartes, en particulier, est un représentant de ces travers à leurs yeux. Même le théologien protestant Jacques Ellul a pu servir de caution à ces préjugés dans sa critique du Système technicien[2]. En effet, l’Occident ayant une réelle suprématie technologique, il est tentant de lui en attribuer les conséquences néfastes. Pourtant Ellul explique bien que ce système qui fait de la technique la norme de toutes les activités humaines et en prend finalement le contrôle, ne dépend ni des peuples où il se déploie, ni des régimes politiques : en Occident ou ailleurs, dans un régime capitaliste ou socialiste, dès qu’un groupe humain a accès à la technique, il réalisera tout ce qu’elle permet de faire, peu importe les conséquences éthiques. D’ailleurs, la Technique finit par produire ses propres normes morales et ceux qui s’y opposent sont traités d’obscurantistes.

Naturellement, les chrétiens ont réfuté ces discours et tenté de montrer que la Bible permet une approche vertueuse en matière d’écologie. L’être humain est présenté comme un « intendant » (steward) à qui Dieu a confié la Création, avec pour mission de la garder et la faire fructifier. Des projets de « Bibles vertes[3] » ont fleuri et les lectures écologiques de l’Ecriture et de la Doctrine de l’Eglise abondent.

Mais certains vont plus loin dans leurs accusations. Ainsi, Bruno Latour, qui reconnaît pourtant le caractère spirituel de toute démarche écologique, estime que : « la fin des temps a fait irruption, non pas comme la réalisation d’une promesse enfin accomplie venue d’en haut… mais comme la réalisation… d’une réalité dont les humains… sont les seuls responsables. (…) C’est la transcendance qui est devenue mensongère, pour ne pas dire diabolique et c’est l’immanence… qui devient désirable[4]. »
Alors, que faire ? Annoncer la foi chrétienne et, tout particulièrement, son kerygme, serait-il diabolique ? Peut-on encore en parler à l’heure où les écologistes et autres collapsologues nous prédisent la fin de la planète, ou en tous cas, de l’humanité ? Quelle espérance pour ce monde et ses habitants ?
Pour avoir une réponse crédible, il nous semble qu’il faut revisiter le cœur de notre foi, en partant de l’expérience concrète des croyants et, singulièrement, l’expérience du corps. La foi en la résurrection des corps a émergé en Israël à partir d’une expérience : le Deuxième livre des Maccabées, premier texte de la Bible à attester de cette croyance, nous montre au chapitre 7 une femme, la mère des sept frères, qui proclame son espérance en la résurrection à partir de son expérience concrète de la maternité. D’autres personnages de la Bible, et souvent des femmes, disent leur espérance dans la vie à partir d’une expérience corporelle, comme Anne, la mère de Samuel, ou Elisabeth, la mère de Jean-Baptiste. Dans les deux cas, c’est leur grossesse après une longue stérilité qui leur fait vivre une ‘petite résurrection’ après l’exclusion, et même une sorte de mort sociale que vivent les femmes stériles dans leur culture.
Souvent, c’est le soin concret à l’autre, y compris mort, qui précède la vie. Les Saintes femmes vont prendre soin du cadavre de Jésus, et c’est là qu’elles le voient ressuscité. Les Apôtres, restés en arrière, doivent attendre de le voir venir à eux, manger et se laisser toucher, pour enfin les croire. Les Disciples d’Emmaüs reconnaissent le Ressuscité, là aussi, à un geste concret sur un des produits de la Création : la fraction du pain.
Cela nous dit donc que la vie, et même l’espérance d’une vie plus forte que la mort, ont partie liée avec le concret du corps et du soin qui lui est donné, bref, le charnel. Ce ne sont pas des croyances qui coupent chacun de ses responsabilités, y compris les plus terre-à-terre, contrairement à ce que pense Latour. En outre, d’autres textes de la Bible nous montrent une espérance, là aussi bien physique, pour notre écosystème. Pensons en particulier aux cieux nouveaux et à la nouvelle terre que le Voyant de l’Apocalypse découvre en Ap 21,1. En Ap 22,2, cette nouvelle création contient des arbres au bord de l’eau qui portent des fruits, et des feuilles qui guérissent. Rien d’éthéré dans ces visions, finalement : la Création est bien là, elle est féconde, les besoins vitaux sont pris en charge.
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Dieu créateur, Guiard des Moulins, Bible historiale, début 14e siècle. Photo: Bibliothèque nationale de France.

Le théologien orthodoxe John Behr nous invite à relire ces textes. Selon lui, il ne faut pas « s’accrocher à la figure du monde qui passe », qui reste seulement « l’écume » de la réalité, mais à faire advenir le monde nouveau[5]. Cela ne nous décharge pas de nos responsabilités pour une terre plus juste et plus habitable, au contraire. Les efforts pour sauvegarder nos écosystèmes et défendre la dignité humaine sont plus que jamais nécessaires. Mais c’est l’horizon d’une Création renouvelée qui nous anime et, pour cela, « il faut prendre au sérieux la résurrection de la chair ». La place donnée au corps humain, à sa dignité est la clef d’une écologie réellement respectueuse de tout le créé. C’est pour cela que depuis St Paul VI, la théologie catholique a introduit la notion d’« écologie humaine », ou « écologie de l’homme », qui part du respect de la personne pour lui associer un réel respect de la Création. Le Pape François a élargi cette idée avec le concept d’ « écologie intégrale » dans Laudato si[6].  

Disons-le autrement : s’il n’y a pas une « Planète B », comme le crient les écologistes dans les manifestations, il y a bien peut-être une « Planète A’ » que nous devons faire advenir, au temps eschatologique mais autant que possible dès maintenant. Cette planète A’ est destinée à une Création sauvée et à des hommes ressuscités.
Christel Koehler

[1] L. White, Les racines historiques de notre crise écologique, PUF, Paris, 2019.

[2] J. Ellul, Le système technicien, Le Cherche Midi, Paris, 2004.

[3] Pensons, par exemple à N. Habel, The Birth, the Curse and the Greening of Earth, An Ecological Reading of Genesis 1–11, Sheffield Phoenix Press, Sheffield, 2011.

[4] B. Latour, « Sur une nette inversion du schème du temps », Recherches de sciences religieuses 107/4 (2019), 601-615.

[5] J. Behr, « Our Theological Traditions Review to Face the Ecological Challenge », Communication au Colloque des RSR,  Conversion écologique, Traduction de la version remise aux participants en français par R. Kremer, .Paris, 17-19 novembre 2022,

La déchristianisation entraîne une perte de la foi en la résurrection des corps chez nos contemporains, même ceux qui se disent catholiques. Par ailleurs, le discours écologique met l’accent sur les dangers qui guident le monde et l’humanité et n’imagine que très rarement un au-delà de ce monde-ci et de cette existence. S’il y a une eschatologie, une pensée de la fin des temps en écologie, elle est totalement close sur notre monde. Le slogan « Il n’y a pas de planète B » résume bien cette fermeture. Certains, y compris des chrétiens pratiquants, vont jusqu’à contester l’idée même de résurrection de la chair en objectant qu’il n’y aurait pas assez de place pour tous sur la terre si nous ressuscitions en chair et en os… tout en récitant le Credo tous les dimanches à la messe. Comment, alors, annoncer le cœur de la foi, le kerygme de la résurrection des corps, face à une éco-anxiété généralisée ?

Depuis un fameux article de Lynn White en 1967[1], il est courant d’accuser le christianisme d’avoir provoqué la crise écologique en introduisant une pensée anthropocentrée, où le reste du monde créé est à la disposition de l’être humain, qui lui est supérieur. « Dominez la terre et soumettez-là », dit Dieu au premier couple en Gn 1,28. De même, Gn 9,2 accentue le caractère brutal de cette domination.
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Dieu créateur, Guiard des Moulins, Bible historiale, début 14e siècle. Photo: Bibliothèque nationale de France.

Cette thèse s’est largement répandue et il n’est pas rare que certains milieux écologistes soient hostiles au christianisme, qu’ils assimilent d’ailleurs à la pensée technicienne occidentale issue de la modernité, à partir du XVIIe siècle. Descartes, en particulier, est un représentant de ces travers à leurs yeux. Même le théologien protestant Jacques Ellul a pu servir de caution à ces préjugés dans sa critique du Système technicien[2]. En effet, l’Occident ayant une réelle suprématie technologique, il est tentant de lui en attribuer les conséquences néfastes. Pourtant Ellul explique bien que ce système qui fait de la technique la norme de toutes les activités humaines et en prend finalement le contrôle, ne dépend ni des peuples où il se déploie, ni des régimes politiques : en Occident ou ailleurs, dans un régime capitaliste ou socialiste, dès qu’un groupe humain a accès à la technique, il réalisera tout ce qu’elle permet de faire, peu importe les conséquences éthiques. D’ailleurs, la Technique finit par produire ses propres normes morales et ceux qui s’y opposent sont traités d’obscurantistes.

Naturellement, les chrétiens ont réfuté ces discours et tenté de montrer que la Bible permet une approche vertueuse en matière d’écologie. L’être humain est présenté comme un « intendant » (steward) à qui Dieu a confié la Création, avec pour mission de la garder et la faire fructifier. Des projets de « Bibles vertes[3] » ont fleuri et les lectures écologiques de l’Ecriture et de la Doctrine de l’Eglise abondent.

Mais certains vont plus loin dans leurs accusations. Ainsi, Bruno Latour, qui reconnaît pourtant le caractère spirituel de toute démarche écologique, estime que : « la fin des temps a fait irruption, non pas comme la réalisation d’une promesse enfin accomplie venue d’en haut… mais comme la réalisation… d’une réalité dont les humains… sont les seuls responsables. (…) C’est la transcendance qui est devenue mensongère, pour ne pas dire diabolique et c’est l’immanence… qui devient désirable[4]. »
Alors, que faire ? Annoncer la foi chrétienne et, tout particulièrement, son kerygme, serait-il diabolique ? Peut-on encore en parler à l’heure où les écologistes et autres collapsologues nous prédisent la fin de la planète, ou en tous cas, de l’humanité ? Quelle espérance pour ce monde et ses habitants ?
Pour avoir une réponse crédible, il nous semble qu’il faut revisiter le cœur de notre foi, en partant de l’expérience concrète des croyants et, singulièrement, l’expérience du corps. La foi en la résurrection des corps a émergé en Israël à partir d’une expérience : le Deuxième livre des Maccabées, premier texte de la Bible à attester de cette croyance, nous montre au chapitre 7 une femme, la mère des sept frères, qui proclame son espérance en la résurrection à partir de son expérience concrète de la maternité. D’autres personnages de la Bible, et souvent des femmes, disent leur espérance dans la vie à partir d’une expérience corporelle, comme Anne, la mère de Samuel, ou Elisabeth, la mère de Jean-Baptiste. Dans les deux cas, c’est leur grossesse après une longue stérilité qui leur fait vivre une ‘petite résurrection’ après l’exclusion, et même une sorte de mort sociale que vivent les femmes stériles dans leur culture.
Souvent, c’est le soin concret à l’autre, y compris mort, qui précède la vie. Les Saintes femmes vont prendre soin du cadavre de Jésus, et c’est là qu’elles le voient ressuscité. Les Apôtres, restés en arrière, doivent attendre de le voir venir à eux, manger et se laisser toucher, pour enfin les croire. Les Disciples d’Emmaüs reconnaissent le Ressuscité, là aussi, à un geste concret sur un des produits de la Création : la fraction du pain.
Cela nous dit donc que la vie, et même l’espérance d’une vie plus forte que la mort, ont partie liée avec le concret du corps et du soin qui lui est donné, bref, le charnel. Ce ne sont pas des croyances qui coupent chacun de ses responsabilités, y compris les plus terre-à-terre, contrairement à ce que pense Latour. En outre, d’autres textes de la Bible nous montrent une espérance, là aussi bien physique, pour notre écosystème. Pensons en particulier aux cieux nouveaux et à la nouvelle terre que le Voyant de l’Apocalypse découvre en Ap 21,1. En Ap 22,2, cette nouvelle création contient des arbres au bord de l’eau qui portent des fruits, et des feuilles qui guérissent. Rien d’éthéré dans ces visions, finalement : la Création est bien là, elle est féconde, les besoins vitaux sont pris en charge.
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Dieu créateur, Guiard des Moulins, Bible historiale, début 14e siècle. Photo: Bibliothèque nationale de France.

Le théologien orthodoxe John Behr nous invite à relire ces textes. Selon lui, il ne faut pas « s’accrocher à la figure du monde qui passe », qui reste seulement « l’écume » de la réalité, mais à faire advenir le monde nouveau[5]. Cela ne nous décharge pas de nos responsabilités pour une terre plus juste et plus habitable, au contraire. Les efforts pour sauvegarder nos écosystèmes et défendre la dignité humaine sont plus que jamais nécessaires. Mais c’est l’horizon d’une Création renouvelée qui nous anime et, pour cela, « il faut prendre au sérieux la résurrection de la chair ». La place donnée au corps humain, à sa dignité est la clef d’une écologie réellement respectueuse de tout le créé. C’est pour cela que depuis St Paul VI, la théologie catholique a introduit la notion d’« écologie humaine », ou « écologie de l’homme », qui part du respect de la personne pour lui associer un réel respect de la Création. Le Pape François a élargi cette idée avec le concept d’ « écologie intégrale » dans Laudato si[6].  

Disons-le autrement : s’il n’y a pas une « Planète B », comme le crient les écologistes dans les manifestations, il y a bien peut-être une « Planète A’ » que nous devons faire advenir, au temps eschatologique mais autant que possible dès maintenant. Cette planète A’ est destinée à une Création sauvée et à des hommes ressuscités.
Christel Koehler

[1] L. White, Les racines historiques de notre crise écologique, PUF, Paris, 2019.

[2] J. Ellul, Le système technicien, Le Cherche Midi, Paris, 2004.

[3] Pensons, par exemple à N. Habel, The Birth, the Curse and the Greening of Earth, An Ecological Reading of Genesis 1–11, Sheffield Phoenix Press, Sheffield, 2011.

[4] B. Latour, « Sur une nette inversion du schème du temps », Recherches de sciences religieuses 107/4 (2019), 601-615.

[5] J. Behr, « Our Theological Traditions Review to Face the Ecological Challenge », Communication au Colloque des RSR,  Conversion écologique, Traduction de la version remise aux participants en français par R. Kremer, .Paris, 17-19 novembre 2022,