De l’avis de nombreux chercheurs, la première formulation explicite de la foi en la résurrection des corps dans le corpus biblique est dans le chapitre 7 du Deuxième livre des Maccabées. Dans cet épisode, une femme, la mère des sept frères, affirme sa conviction qu’elle et ses fils martyrisés ressusciteront avec leur corps. Son argumentation s’appuie sur sa propre expérience du corps, l’expérience de la maternité. Là où Dieu a pu créer la vie en elle à partir de rien, il pourra recréer de la vie à partir de la mort. Cette histoire nous intéresse pour revisiter la confrontation entre le corps de la femme et la violence, et même la violence jusqu’à la mort.
Les violences physiques ou sociales vécues par les femmes
Dans la Bible comme ailleurs, de nombreuses femmes sont victimes – ou menacées – de violences au sens le plus classique du terme : viol (par exemple Dina en Gn 34, 1-29 ou les filles de Loth en Gn 19, 7), inceste (Tamar en 1 S 13, 1-22), esclavage (Gn 34, 29), prostitution (Rahab en Jos 2), gestation par autrui (Bilha en Gn 30, 3), exécution arbitraire (Thamar en Gn 38, 24 ou Suzanne en Dn 13, 43-45). Certaines de ces violences conduisent à la mort, comme avec la concubine de Guibea et les Benjaminites (Jg 19 et 21).
Une autre violence, plus subtile, pèse sur les femmes stériles. Dans bien des cultures, la stérilité est une mort sociale (cf. les travaux de l’anthropologue Françoise Héritier). L’idéal féminin des anciens Hébreux est d’être Mère en Israël et celles qui ne le peuvent vivent l’humiliation comme Sarah (Gn 16, 5), Anne (1 S 1, 6-15), Elisabeth (Lc 1, 25).
Enfin, un troisième type de violence touche spécifiquement les célibataires. Le célibat féminin est un statut précaire, caractérisé par l’absence de protection maritale, l’absence d’enfants – et donc de protection dans le grand âge – et parfois l’opprobre d’avoir des enfants hors mariage. Jésus est ainsi subtilement renvoyé à sa naissance sans père (Mc 6, 3 // Mt 13, 55).
Le célibat d’une femme strict et permanent, c’est-à-dire la virginité, est aussi dépeint comme un statut pitoyable, comme le montre l’épisode de la fille de Jephté (Jg 11, 37), sacrifiée par son père suite à un vœu hasardeux. Le théologien Lucien Legrand fait remarquer que « Pour les Hébreux, ce qui rend la destinée de cette jeune fille si pathétique, c’est qu’elle ne va pas connaître les joies du mariage et de la maternité. » Voilà un statut qui est aussi inquiétant dans de nombreuses cultures, où la vierge est un personnage à la marge. Si la fille de Jephté est plainte, Héritier fait remarquer qu’« on ne trouvait pas en Chine, dans la société traditionnelle… de célibataires primaires endurcis (…) Si une fille trop disgraciée dépasse l’âge idéal de la reproduction, elle est perdue pour toujours et n’a d’autres solution que de se réfugier dans un temple ou de se consacrer à la divination, car, du fait de sa virginité, elle peut devenir un guérisseur puissant. » Bref, le sort de la femme concernée est peu enviable, trouble et sujet à discriminations, voire pire.
Le corps contre la mort
Tant pour les hommes que pour les femmes, l’histoire du salut est une histoire de la vie qui passe malgré la mort. Singulièrement, les enfantements sont particulièrement vus comme des signes de salut. Ainsi en est-il de la naissance de Seth après le meurtre d’Abel (Gn 5, 3) ou de la Prophétie de l’Emmanuel : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). » (Is 7, 14). Cette naissance est signe d’un salut politique pour tout le peuple.
Plus spécifiquement pour les femmes, les maternités de celles qui sont stériles sont une restauration de leur dignité et vécues comme une petite résurrection. Une fois son fils né, Anne, mère de Samuel s’écrie dans son cantique « Le Seigneur fait mourir et vivre. » (1 S 2, 6). Même les maternités problématiques sur le plan social contribuent à faire triompher la vie : les filles de Loth obtiennent la descendance dont elles étaient effectivement privées par leur enfantement incestueux (Gn 19, 31), Ruth, l’étrangère, donne une descendance à Noémie privée de ses fils biologiques (Rt 4, 13-16), la généalogie de Jésus en Mt 1, 1-25 pointe, à chaque fois qu’une femme est citée, une naissance problématique, mais aussi un jalon dans le salut.
Une autre façon de voir l’action des femmes contre la mort est le récit de la nécromancienne d’Eïn-Dor en 1 S 28. Cette « maîtresse des fantômes » fait revenir les ombres des morts. Malgré l’interdit moral sur son activité, il faut tout de même reconnaitre qu’elle permet de manifester que le défunt ne disparait pas complètement après de la mort. Quelque chose de lui demeure. Sur un plan plus terre-à-terre, elle est une femme qui prend soin de l’autre. En effet, alors que le roi Saül venu la consulter défaille après avoir appris sa mort imminente, elle le nourrit pour qu’il reprenne des forces. C’est le dernier acte de miséricorde qu’il connaitra avant son funeste destin. La nécromancienne ne se contente donc pas de faire venir des spectres. Elle n’oublie pas le corps et prend soin du corps déjà « à moitié mort » du roi terrorisé. En ce sens, elle lui redonne un peu de vie.
Cet acte de miséricorde va jusqu’au soin du corps mort. Philippe Lefebvre détaille l’histoire de Ritspah, la concubine de Saül (2 S 21). Celle-ci voit ses fils et les petits fils de Saül exécutés lors d’une vendetta. Cette femme simple va protéger les dépouilles exposées aux intempéries et aux charognards à l’entrée de la ville pendant plusieurs mois et son sit in devient une vraie contestation politique. Le roi David, qui avait laissé faire l’exécution, comprend qu’il ne peut laisser cette injustice durer et autorise l’inhumation des suppliciés. La famine qui avait déclenché l’exécution prend alors fin, la justice étant rétablie. L’acte de Ritspah montre que prendre soin du corps mort est un enjeu de vie. Quand Dieu met fin à la famine, chacun voit que le respect des dépouilles des défunts débouche sur un surcroît de vie pour tous. Cette concubine annonce finalement les Saintes femmes venant au tombeau prendre soin de Jésus le matin de Pâques et ne trouvant plus un cadavre mais un vivant. Le corps joue toujours un rôle après la mort, ce que manifestera plus tard la foi en la résurrection.
Le corps pour la résurrection
Un autre type d’injustice est vécu par les martyrs, qu’ils soient juifs ou chrétiens. C’est une expérience de violence extrême où le corps est mobilisé pour manifester la foi en la vie plus forte que la mort. Le martyr accepte, en effet, de mourir pour témoigner de sa confiance en un Dieu qui ressuscite les morts. Les historiens sont frappés par la présence massive de femmes parmi eux. D’abord, la mère de 2 M 7 mentionnée en introduction, atteste pour la première fois dans la Bible de sa foi en la résurrection des corps et elle lie sa croyance à son expérience d’enfantement. Elle la transmet à ses fils et tous acceptent le martyre.
Plus tard, la martyre chrétienne Perpétue raconte qu’elle fait un rêve la veille de son supplice dans l’arène : son corps se transforme en celui d’un homme pour lutter contre un adversaire qui symbolise le mal. Il devient celui d’un athlète pour le combat spirituel. La figure virile d’un combattant est aussi une façon d’exprimer sa pudeur. Les condamnés étant nus dans l’arène, le fait de se voir masculinisée préserve sa nudité féminine, encore plus humiliée en public que les hommes, du fait des stéréotypes de l’époque. Sa dignité de femme est restaurée face à la violence aveugle et sa détermination de chrétienne vainc le mal par l’acceptation de son supplice.
Concluons alors sur le cas des vierges martyres, si nombreuses dans l’histoire du christianisme. La virginité consacrée est un choix de vie pour faire signe de la façon dont nous vivrons après la résurrection dans le Royaume des cieux. Elle est déjà une subversion des structures sociales aliénantes pour les femmes, par le refus volontaire des relations sexuelles et de la maternité. Mais cette contestation sociale n’est pas pure opposition, elle est pour plus de vie, pour annoncer le salut qui vient. Or, les Blandine, Catherine, Agnès et autres ont marqué les esprits par ce choix de vie radical et ce choix de mort, dans le martyre, tout aussi radical. Ces femmes apportent par leur consécration d’abord, et leur façon de mourir ensuite, une réponse à la violence
Le corps du martyr, et spécifiquement ici de la martyre, devient alors une arme contre le mal et la mort.
Christel Koehler
De l’avis de nombreux chercheurs, la première formulation explicite de la foi en la résurrection des corps dans le corpus biblique est dans le chapitre 7 du Deuxième livre des Maccabées. Dans cet épisode, une femme, la mère des sept frères, affirme sa conviction qu’elle et ses fils martyrisés ressusciteront avec leur corps. Son argumentation s’appuie sur sa propre expérience du corps, l’expérience de la maternité. Là où Dieu a pu créer la vie en elle à partir de rien, il pourra recréer de la vie à partir de la mort. Cette histoire nous intéresse pour revisiter la confrontation entre le corps de la femme et la violence, et même la violence jusqu’à la mort.
Les violences physiques ou sociales vécues par les femmes
Dans la Bible comme ailleurs, de nombreuses femmes sont victimes – ou menacées – de violences au sens le plus classique du terme : viol (par exemple Dina en Gn 34, 1-29 ou les filles de Loth en Gn 19, 7), inceste (Tamar en 1 S 13, 1-22), esclavage (Gn 34, 29), prostitution (Rahab en Jos 2), gestation par autrui (Bilha en Gn 30, 3), exécution arbitraire (Thamar en Gn 38, 24 ou Suzanne en Dn 13, 43-45). Certaines de ces violences conduisent à la mort, comme avec la concubine de Guibea et les Benjaminites (Jg 19 et 21).
Une autre violence, plus subtile, pèse sur les femmes stériles. Dans bien des cultures, la stérilité est une mort sociale (cf. les travaux de l’anthropologue Françoise Héritier). L’idéal féminin des anciens Hébreux est d’être Mère en Israël et celles qui ne le peuvent vivent l’humiliation comme Sarah (Gn 16, 5), Anne (1 S 1, 6-15), Elisabeth (Lc 1, 25).
Enfin, un troisième type de violence touche spécifiquement les célibataires. Le célibat féminin est un statut précaire, caractérisé par l’absence de protection maritale, l’absence d’enfants – et donc de protection dans le grand âge – et parfois l’opprobre d’avoir des enfants hors mariage. Jésus est ainsi subtilement renvoyé à sa naissance sans père (Mc 6, 3 // Mt 13, 55).
Le célibat d’une femme strict et permanent, c’est-à-dire la virginité, est aussi dépeint comme un statut pitoyable, comme le montre l’épisode de la fille de Jephté (Jg 11, 37), sacrifiée par son père suite à un vœu hasardeux. Le théologien Lucien Legrand fait remarquer que « Pour les Hébreux, ce qui rend la destinée de cette jeune fille si pathétique, c’est qu’elle ne va pas connaître les joies du mariage et de la maternité. » Voilà un statut qui est aussi inquiétant dans de nombreuses cultures, où la vierge est un personnage à la marge. Si la fille de Jephté est plainte, Héritier fait remarquer qu’« on ne trouvait pas en Chine, dans la société traditionnelle… de célibataires primaires endurcis (…) Si une fille trop disgraciée dépasse l’âge idéal de la reproduction, elle est perdue pour toujours et n’a d’autres solution que de se réfugier dans un temple ou de se consacrer à la divination, car, du fait de sa virginité, elle peut devenir un guérisseur puissant. » Bref, le sort de la femme concernée est peu enviable, trouble et sujet à discriminations, voire pire.
Le corps contre la mort
Tant pour les hommes que pour les femmes, l’histoire du salut est une histoire de la vie qui passe malgré la mort. Singulièrement, les enfantements sont particulièrement vus comme des signes de salut. Ainsi en est-il de la naissance de Seth après le meurtre d’Abel (Gn 5, 3) ou de la Prophétie de l’Emmanuel : « Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). » (Is 7, 14). Cette naissance est signe d’un salut politique pour tout le peuple.
Plus spécifiquement pour les femmes, les maternités de celles qui sont stériles sont une restauration de leur dignité et vécues comme une petite résurrection. Une fois son fils né, Anne, mère de Samuel s’écrie dans son cantique « Le Seigneur fait mourir et vivre. » (1 S 2, 6). Même les maternités problématiques sur le plan social contribuent à faire triompher la vie : les filles de Loth obtiennent la descendance dont elles étaient effectivement privées par leur enfantement incestueux (Gn 19, 31), Ruth, l’étrangère, donne une descendance à Noémie privée de ses fils biologiques (Rt 4, 13-16), la généalogie de Jésus en Mt 1, 1-25 pointe, à chaque fois qu’une femme est citée, une naissance problématique, mais aussi un jalon dans le salut.
Une autre façon de voir l’action des femmes contre la mort est le récit de la nécromancienne d’Eïn-Dor en 1 S 28. Cette « maîtresse des fantômes » fait revenir les ombres des morts. Malgré l’interdit moral sur son activité, il faut tout de même reconnaitre qu’elle permet de manifester que le défunt ne disparait pas complètement après de la mort. Quelque chose de lui demeure. Sur un plan plus terre-à-terre, elle est une femme qui prend soin de l’autre. En effet, alors que le roi Saül venu la consulter défaille après avoir appris sa mort imminente, elle le nourrit pour qu’il reprenne des forces. C’est le dernier acte de miséricorde qu’il connaitra avant son funeste destin. La nécromancienne ne se contente donc pas de faire venir des spectres. Elle n’oublie pas le corps et prend soin du corps déjà « à moitié mort » du roi terrorisé. En ce sens, elle lui redonne un peu de vie.
Cet acte de miséricorde va jusqu’au soin du corps mort. Philippe Lefebvre détaille l’histoire de Ritspah, la concubine de Saül (2 S 21). Celle-ci voit ses fils et les petits fils de Saül exécutés lors d’une vendetta. Cette femme simple va protéger les dépouilles exposées aux intempéries et aux charognards à l’entrée de la ville pendant plusieurs mois et son sit in devient une vraie contestation politique. Le roi David, qui avait laissé faire l’exécution, comprend qu’il ne peut laisser cette injustice durer et autorise l’inhumation des suppliciés. La famine qui avait déclenché l’exécution prend alors fin, la justice étant rétablie. L’acte de Ritspah montre que prendre soin du corps mort est un enjeu de vie. Quand Dieu met fin à la famine, chacun voit que le respect des dépouilles des défunts débouche sur un surcroît de vie pour tous. Cette concubine annonce finalement les Saintes femmes venant au tombeau prendre soin de Jésus le matin de Pâques et ne trouvant plus un cadavre mais un vivant. Le corps joue toujours un rôle après la mort, ce que manifestera plus tard la foi en la résurrection.
Le corps pour la résurrection
Un autre type d’injustice est vécu par les martyrs, qu’ils soient juifs ou chrétiens. C’est une expérience de violence extrême où le corps est mobilisé pour manifester la foi en la vie plus forte que la mort. Le martyr accepte, en effet, de mourir pour témoigner de sa confiance en un Dieu qui ressuscite les morts. Les historiens sont frappés par la présence massive de femmes parmi eux. D’abord, la mère de 2 M 7 mentionnée en introduction, atteste pour la première fois dans la Bible de sa foi en la résurrection des corps et elle lie sa croyance à son expérience d’enfantement. Elle la transmet à ses fils et tous acceptent le martyre.
Plus tard, la martyre chrétienne Perpétue raconte qu’elle fait un rêve la veille de son supplice dans l’arène : son corps se transforme en celui d’un homme pour lutter contre un adversaire qui symbolise le mal. Il devient celui d’un athlète pour le combat spirituel. La figure virile d’un combattant est aussi une façon d’exprimer sa pudeur. Les condamnés étant nus dans l’arène, le fait de se voir masculinisée préserve sa nudité féminine, encore plus humiliée en public que les hommes, du fait des stéréotypes de l’époque. Sa dignité de femme est restaurée face à la violence aveugle et sa détermination de chrétienne vainc le mal par l’acceptation de son supplice.
Concluons alors sur le cas des vierges martyres, si nombreuses dans l’histoire du christianisme. La virginité consacrée est un choix de vie pour faire signe de la façon dont nous vivrons après la résurrection dans le Royaume des cieux. Elle est déjà une subversion des structures sociales aliénantes pour les femmes, par le refus volontaire des relations sexuelles et de la maternité. Mais cette contestation sociale n’est pas pure opposition, elle est pour plus de vie, pour annoncer le salut qui vient. Or, les Blandine, Catherine, Agnès et autres ont marqué les esprits par ce choix de vie radical et ce choix de mort, dans le martyre, tout aussi radical. Ces femmes apportent par leur consécration d’abord, et leur façon de mourir ensuite, une réponse à la violence
Le corps du martyr, et spécifiquement ici de la martyre, devient alors une arme contre le mal et la mort.
Christel Koehler