Le royaume de Saba au sud de la péninsule arabique
Najran
Sanaa
Marib
Shabwa
Le problème de la localisation du royaume de Saba
Pour commencer, considérons les indications géographiques approximatives que donne l’Ancien Testament par rapport à Saba (שְׁבָא) :
- À quatre reprises, Saba est mentionné avec Dédan (Gn 10,7 ; 25,3 ; 1 Ch 1,9 ; Ez 8,13). Or, Dédan se situe au nord-ouest de la péninsule arabique. On l’identifie avec l’actuelle oasis d’Al-Ula.
- À deux reprises, Saba est mentionné avec Ophir (Gn 10,29 ; 1 Ch 1,22). D’après K. A. Kitchen , Ophir serait une région qui se situe tout au sud-ouest de la péninsule arabique (Yémen actuel) ou juste en face, de l’autre côté du détroit de Bab al-Mandab, au croisement de l’Érythrée, de Djibouti et de l’Éthiopie. Mais d’après E. Lipinski , Ophir correspondrait plutôt à Opiros sur la rive libyenne du golfe de Syrte, en Méditerranée. D’autres chercheurs restent cependant prudents et invitent à reconnaître qu’on ne sait pas où situer Ophir.
Les données bibliques pour situer Saba sont très approximatives. Toutefois, l’indication d’un déplacement à dos de chameau en 1 R 10,2 invite à prendre plutôt en considération deux possibilités : Saba pourrait se trouver soit au nord-ouest ou au sud-ouest de la péninsule arabique , soit de l’autre côté de la mer Rouge, en Afrique. Il est difficile de trancher en s’appuyant uniquement sur les données bibliques. W. L. Belcher évoque même l’impasse qui consisterait à vouloir à tout prix situer Saba dans un seul des deux lieux, soit en Arabie, soit en Afrique. Elle affirme que le débat qui divise les chercheurs:
dépend en grande partie de la distinction quelque peu artificielle que l’on fait entre les deux endroits, en raison des cartes mentales modernes qui établissent un fossé entre l’Afrique et le Moyen-Orient. La distance entre les deux n’est pas supérieure à 300 miles et leur histoire d’interaction et de relations remonte à trois mille ans. L’Éthiopie et le Yémen gardent tous deux une trace archéologique de l’existence de reines, tous deux ont participé à des royaumes appelés Saba, tous deux ont commercialisé de l’encens et de la myrrhe, tous deux ont cultivé le café et le qat, et tous deux ont rendu un culte à des divinités solaires. En outre, tous deux ont longtemps insisté sur le fait que la reine de Saba provenait de leur terre. (W.L. Belcher)
Un royaume de Saba au Yémen
La recherche archéologique réalisée au Yémen durant les dernières décennies a permis de mettre au jour l’histoire de l’influent royaume de Saba. On peut en effet retracer sa genèse et son développement de manière suivie tout au long du Ier millénaire av. J.-C. Il a probablement été fondé par Yatha’amar Watar, fils de Yakrubmalik. Une grande inscription sudarabique lui est dédiée, dans laquelle il est qualifié de « fédérateur » (mukarrib) de Saba. Ce premier mukarrib est vraisemblablement parvenu à fédérer les cités-états voisines afin de former son nouveau royaume. Marib devient sa capitale.
L’apogée du royaume de Saba au VIIe siècle av. J.-C. semble indiquer que le jeu d’influence qui a pris place à cette époque entre les deux rives du détroit de Bab al Mandab était dominé par le Saba-sudarabique plutôt que par l’Éthiopie. En effet, l’influence du royaume de Saba sudarabique est particulièrement visible sur différents types de monuments éthiopiens de la même époque. On a retrouvé en Éthiopie des stèles dédicacées au dieu sabéen Almouqah, des temples construits selon le plan sabéen et surtout des inscriptions en langue sabéenne, avec notamment la mention de Saba qui peut faire référence au Saba de l’Arabie du sud ou à des villes ou lieux de culte homonymes fondés par les colonisateurs sabéens en Éthiopie .
Ce sont donc les fouilles archéologiques réalisées au Yémen, ainsi que le constat d’une influence sudarabique sur la rive occidentale de la mer Rouge (et non le contraire), qui ont orienté la recherche biblique actuelle vers une localisation du royaume de Saba en Arabie du sud plutôt qu’en Afrique centre-est . Cela se vérifie chez la plupart des exégètes et historiens actuels qui situent automatiquement le royaume de la reine de Saba au Yémen .
Politique du royaume de Saba et échanges avec Israël
La politique sabéenne consistait à contrôler le commerce des aromates sur l’ensemble des territoires de l’Arabie du sud. Cette ambition transparaît pour la première fois dans une grande inscription sabéenne laissée par Yatha’’amar Watar dans le dernier quart du VIIIe siècle av. J.-C. Un réseau commercial caravanier d’envergure, organisé à partir de l’Arabie du sud, est donc bien attesté au moins dès le VIIIe siècle av. J.-C. , ce qui correspond précisément à l’émergence du royaume de Saba. Les produits les plus fameux que transportaient ces caravanes étaient sans conteste les aromates et ils figurent parmi les dons apportés à Salomon par la reine de Saba. Ils voyageaient depuis la pointe sud-ouest de la péninsule arabique (Saba) jusqu’à l’extrémité nord-est de la mer Rouge (Aqaba), puis de là en direction du nord-ouest jusqu’à la Méditerranée ou en direction du nord-est vers la Mésopotamie.
À cette même époque, les Assyriens prirent le contrôle des routes caravanières comprises entre la Mésopotamie et Aqaba, au nord de la péninsule arabique . Les villes situées le long de ces routes continuèrent à se développer et à s’enrichir. C’est notamment ainsi que s’expliquerait l’importante croissance de la région de Beersheba, sous Manassé. Une grande plaque de bronze, gravée d’un texte sabéen long de 25 lignes rend compte d’un voyage commercial entre l’Arabie du sud et « Dédan, Gaza et les villes de Juda ». L’inscription est datée du milieu du VIe siècle av. J.-C. Cette mention est particulièrement intéressante, puisqu’elle permet de confirmer la liaison entre le sud de l’Arabie et la région de Juda . En Israël, on a d’ailleurs retrouvé de très nombreux brûle-parfums cubiques manifestant un usage important de ces aromates dès le VIIe siècle av. J.-C., période qui correspond à l’activité maximale de ce commerce d’aromates grâce au royaume de Saba qui les fabriquait et les exportait.
Emanuelle Pastore