Un parchemin du 13ème siècle reproduisant les voies romaines du 1er siècle

Détail de la carte de Peutinger. Photo : Wikipédia.

Réalisé en 1265 par un moine de Colmar et constitué de 11 parchemins hauts d’environ 34 cm qui, bout à bout, totalisent une longueur de 6,74 m., ce document a été découvert en 1494 par Conrad Meissel alias Celtes et remis en 1507 à un antiquaire d’Augsbourg, Conrad Peutinger.

Il s’agit d’un planisphère décrivant le monde connu dans l’Antiquité. En effet plusieurs localités disparues, comme Pompéi ou Herculanum, sont indiquées et d’autres lieux portent leurs noms d’époque romaine, par exemple Hatra en Irak ou Tégée en Grèce, noms perdus au Moyen Âge. Par ailleurs, diverses inscriptions font référence à des idées antiques, par exemple un grand fleuve « coulant » sous le Sahara, ou aux conquêtes d’Alexandre le Grand. Ajoutons que les localités sont reliées par des routes et que les distances sont marquées en chiffres romains indiquant les milles (1480 m.) ou, à l’ouest de Lyon, les lieues gauloises (2220 m.)

Les grandes villes sont représentées par des vignettes de taille variable et une importance particulière est accordée au dessin des villes thermales. Les métropoles de cette carte sont Rome, Constantinople et Antioche et les villes de taille immédiatement inférieure sont Nicomédie (Izmit), Nicée (Iznik), Aquilée et Ravenne. Ancyre (Ankara) paraît être une ville de la taille de Ravenne mais son nom n’a pas été inscrit. Il en va de même d’Alexandrie.

En outre, la carte semble indiquer certains trajets maritimes ou fluviaux sans marquer clairement les lieux de départ et d’arrivée, par exemple un bac pourrait exister au sud du Péloponnèse, peut être vers la Crète ou la Cyrénaïque, et Ostie, le port de Rome, est placée exactement en face de Carthage. Il est aussi fait allusion à un trajet fluvial entre Ostiglia et l’Adriatique ou Ravenne.

Tout cela permet de conclure que la carte de Peutinger, est le résultat de copies successives avec surcharges réalisées à diverses époques à partir d’un ou de plusieurs originaux antiques. Les informations les plus anciennes datent vraisemblablement d’avant 79 apr. J.-C. puisque Pompéi est indiquée. D’autres indications temporelles peuvent êtres tirées de Jérusalem qui est nommée Aelia Capitolina, nom attribué en 132 apr. J.-C. et de Constantinople, nom usuel de Byzance à partir du Ve siècle.

Une carte routière étirée et aplatie

Le lecteur est désorienté à la vue de ce planisphère étiré et aplati où la péninsule italienne semble s’étendre d’ouest en est et où Rhodes voisine avec la région de Tel-Aviv. En réalité, on s’aperçoit rapidement que cette carte constitue une compilation et un positionnement d’itinéraires précédemment écrits sous forme de catalogues comme l’Itinéraire d’Antonin du IIIe siècle. Il en résulte que la carte entière ressemble à certains plans modernes de métro. Les trajets sont dessinés de façon à être clairement lisibles sans tenir compte de l’échelle ni de l’exacte orientation géographique, l’essentiel étant de montrer les distances et les croisements de voies et non la topographie des lieux.

Tout cela rend la table de Peutinger particulièrement intéressante. En effet, il ne s’agit pas d’une description physique et scientifique du monde comme dans l’œuvre de Ptolémée mais d’un document à vocation utilitaire comparable aux cartes routières actuelles. On y voit les principales routes du service de poste impérial, ou cursus publicus, et cela permettait au voyageur de repérer assez aisément les étapes, de calculer les distances à parcourir et d’organiser son ravitaillement aux principaux lieux thermaux ou points d’eau.

Il s’agit donc d’un document exceptionnel qui n’a pas connu d’équivalent avant le XVIe siècle. On peut d’ailleurs supposer que les pèlerins, les commerçants ou les armées du Moyen Âge ont utilisé des cartes de ce type dans leurs longs voyages de l’Occident vers l’Orient. Chacun peut essayer de calculer l’itinéraire de Trèves à Rome ou de Rome à Jérusalem. Ydrunte (Otrante) se trouve en face de Scobre (Shkodër) et de Dyrratio (Durrës): c’est donc qu’un passage du détroit d’Otrante est possible en cet endroit.

Cela étant, de nombreuses erreurs apparaissent sans que l’on sache si elles sont dues à :

  • Des oublis (absence de Malte),

  • Un manque de temps (emplacement libre pour le dessin de la vignette Alexandrie: seul apparaît le dessin du Phare)

  • Des tracés de côtes mal compris (absence de l’Eubée),

  • Des copies mal comprises d’originaux différents (pays des Parisi vers Xanten),

  • Des dénominations antiques réelles (Grecia vers Masilia Grecorum ou Marseille des Grecs),

  • Des villes identiques inscrites sous deux noms différents (Avodiaco – Abodiaco; In Naronia – Narona)

  • Des itinéraires confus existant ou copiés à double (trajet non identifié de Catispi à Masabi)

Remarquons en dernier lieu que, contrairement aux cartes médiévales, la table de Peutinger ne mentionne pas des êtres fantastiques, dragons ou humains monstrueux. Les seules inscriptions non utilitaires se rapportent à des données littéraires connues, par exemple:

  • Grin, un grand fleuve coulant sous la terre (sans doute le Niger),

  • Désert où les enfants d’Israël ont erré pendant 40 ans (Sinaï),

  • « Ici naissent des éléphants » (Inde),

  • Sera Major ou pays de la Soie, c’est à dire la Chine,

  • « Jusqu’où Alexandre » pour marquer l’extrémité du monde.

Actuellement la table de Peutinger est conservée auprès de la Bibliothèque nationale autrichienne (Österreichische Nationalbibliothek)

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