Pourquoi les évangélistes parlent-ils tant de persécution ? Faut-il être martyr pour être un bon chrétien ? Essayons d’y voir plus clair en relisant l’un des discours de Jésus :
Le ton de ce passage est celui de l’incompréhension. C’est Jésus qui est incompris, et le message qu’il porte. En effet, c’est « à cause de lui » ou « à cause de son nom », précise l’évangéliste à deux reprises, que ses disciples devront subir de rudes épreuves. L’Évangile est une source de scandale dans le judaïsme des Ier et IIe siècles. Tous les juifs n’acceptent pas le message proclamé par Jésus, ni le même message transmis par ses disciples. Le contexte est celui d’un judaïsme hostile à la reconnaissance de Jésus comme Messie d’Israël. C’est d’ailleurs devant le Sanhédrin (assemblée des chefs religieux juifs) et dans les synagogues que les disciples de Jésus ont été jugés et condamnés.
Notez que le discours de Jésus est au futur. En effet, les jugements décrits affecteront les générations de chrétiens après la mort et la résurrection de Jésus. L’Évangile de Matthieu a été écrit une cinquantaine d’années après la mort de Jésus et s’adresse donc à des communautés chrétiennes qui avaient besoin d’être encouragées dans le contexte de la persécution qu’elles subissaient, notamment de la part des Juifs.
Les persécutions contre les chrétiens ne s’arrêtent pas là, mais se multiplient jusqu’à l’édit de tolérance de Milan en 313, promulgué par l’empereur Constantin et accordant aux chrétiens la liberté de culte. Voici les dix vagues de persécution des quatre premiers siècles de notre ère :
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La persécution de Néron (54-68), à laquelle la tradition rattache le martyre de Pierre et Paul.
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La persécution de Domitien (81-96)
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la persécution de Trajan (98-117)
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la persécution de Marc Aurèle (161-180), les martyrs de Lyon, en particulier sainte Blandine
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La persécution de Septime Sévère (193-211)
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Persécution par Maximien le Thrace (235-238)
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Persécution par Dèce (249-251), martyre de Fabien
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Persécution de Valérien (253-260), martyre de Laurent de Rome et de Cyprien de Carthage
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Persécution d’Aurélien (270-275)
La persécution de Dioclétien (284-305), la dernière et la plus grave des persécutions, le martyre de saint Georges.
Jules Comparat, Le martyre de sainte Blandine. 1886. Lyon, Église Sainte-Blandine de Lyon, tympan. Photo : Wikipedia
Revenons à notre passage de l’Évangile. L’évangéliste utilise un terme très concret pour dire que les disciples seront « livrés ». Il s’agit du même verbe que celui utilisé pour décrire la manière dont Jésus lui-même a été livré (voir par exemple Mt 20,18 ou 26,23). Ainsi, les disciples connaîtront le même sort que leur maître. Les disciples sont en quelque sorte un autre Christ. Ils vivent dans leur chair ce que Jésus-Christ lui-même a vécu. L’identification entre Jésus et ses disciples est donc très étroite. Proximité dans l’épreuve, mais aussi proximité dans l’amitié ou dans le salut promis : « Vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui tiendra bon jusqu’au bout sera sauvé ».
L’expression « être haï de tous » atteint son point culminant avec l’exemple donné par Jésus. L’incompréhension ou la haine affectent même les relations interpersonnelles les plus profondes : celles de la fraternité et de la filiation. Un frère livrera son frère (le même verbe mentionné ci-dessus) à la mort, et un père son fils. Paradoxalement, l’Évangile est une bonne nouvelle pour tous, mais il est aussi source de division. Nous pouvons ressentir dans ces mots la tragédie qu’ont vécue de nombreuses familles juives lorsque l’un de leurs membres est devenu chrétien. Mais ces difficultés n’étaient pas propres aux premiers siècles de notre ère : ne sommes-nous pas confrontés aujourd’hui à des situations similaires lorsqu’un adulte, juif ou chrétien, demande à être baptisé en tant que chrétien ?
Dans ce tableau plutôt sombre, il y a pourtant un signe fort d’espérance : l’Esprit Saint, l’Esprit du Père, est donné à tous ceux qui vivent ces situations. Notons aussi que, puisque l’Esprit est donné, le texte est placé après la Pentecôte. Maintenant que Jésus a rejoint le Père aux cieux, c’est l’Esprit qui guide et soutient les croyants. L’Esprit guide les pensées et les paroles des disciples persécutés de Jésus. L’évangéliste nous exhorte à la confiance et à l’abandon. L’Esprit est notre force dans l’épreuve de l’incompréhension et du rejet de l’Évangile. Nous pouvons nous-mêmes traverser de telles épreuves dans notre vie familiale, professionnelle ou amicale. Mais l’Esprit Saint, qui nous a été donné lors de notre baptême et de notre confirmation, est une source de force toujours présente dans les moments difficiles. Invoquons l’Esprit !
Emanuelle Pastore