En 1884, dans la petite ville de Madaba, ancienne cité moabite mentionnée dans le Livre des Nombres (Nb 21, 30), des moines grecs font la découverte fortuite et étonnante d’une grande mosaïque qui devait orner le sol d’une église byzantine. Il s’agit d’une carte de la Terre Sainte indiquant les principaux lieux de pèlerinage chrétiens.

 

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Carte de Madaba, Jordanie

Photo : E. Pastore

 

La carte de Madaba est la plus ancienne carte de Terre Sainte qui nous soit parvenue. Elle doit dater de la fin du VIe siècle, tant par la langue utilisée dans les inscriptions mentionnant certains bâtiments construits par Justinien (527-565) que par le style de la mosaïque. L’artiste est sans doute palestinien, car il utilise l’orthographe araméenne de plusieurs noms de lieux. Il s’est sans doute inspiré du premier grand ouvrage sur la topographie de la Terre Sainte, l’Onomasticon, écrit par l’évêque Eusèbe de Césarée au milieu du IVe siècle. Cet ouvrage reste une source importante pour l’identification de lieux anciens aujourd’hui disparus.

 

Cette carte, connue des biblistes sous le nom de « carte mosaïque » ou « mosaïque géographique » de Madaba, aurait été réalisée sous l’empereur romain Justinien vers 560 ap. Il s’agit de la plus ancienne représentation connue de la terre d’origine du christianisme. Elle frappe par la vision unifiée et homogène qu’elle offre avant l’arrivée de l’islam (vers 635) et le Grand Schisme d’Orient (en 1054). Après un tremblement de terre au VIIIe siècle et les destructions causées par les iconoclastes, seule la moitié de cette œuvre a survécu. Composée à l’origine de deux millions de tesselles (un bon artisan ne peut en poser plus de 200 par jour…) de pas moins de 40 couleurs différentes, elle mesure seize mètres sur six et offre une vaste perspective cartographiée, s’étendant de la côte phénicienne et de la Syrie jusqu’à la vallée du Nil.

 

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Eglise saint Georges, Madaba, Jordanie

Photographie : E. Pastore

 

La mosaïque de Madaba, orientée vers l’est – en supposant que le visiteur arrive de la Méditerranée – a été découverte lors de la construction de l’église actuelle sur un bâtiment byzantin en ruine. Immédiatement, des biblistes de renom se sont intéressés au site, notamment le père Marie-Joseph Lagrange, dominicain et fondateur de l’École biblique de Jérusalem. Pas moins de cent cinquante inscriptions grecques ont survécu, presque toutes identifiées, et c’est un plaisir de les découvrir dans une représentation fidèle et bien proportionnée.

 

Interprétation de la carte

 

Les noms des villes sont indiqués à l’intérieur des murs. Les lieux les plus importants, porteurs de souvenirs bibliques, ont leur nom accompagné d’une citation du texte biblique correspondant – Ancien et Nouveau Testament.

 

Les anciennes régions des tribus sont également indiquées par une grande inscription en rouge, accompagnée d’une citation des bénédictions de Jacob et de Moïse sur ces tribus.

 

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Jérusalem, Madaba, Jordanie

Photo : E. Pastore

 

Au centre, une vignette spéciale représente Jérusalem et, en raison de ses proportions plus importantes, démontre la position éminente de la ville dans l’histoire du salut. Elle montre les portes et les murs, la rue principale et le Saint-Sépulcre, représenté par des tesselles jaunes.

L’autre zone géographique clé, non loin de Madaba (et donc bien connue des mosaïstes), est le confluent du Jourdain et de la mer Morte, connu ici sous le nom de lac salé, où plusieurs bateaux sont représentés. Certains détails frappent par leur véracité : par exemple, pour échapper à la salinité de la mer Morte, les poissons remontent le Jourdain, dont on aperçoit plusieurs gués et ponts-levis.

Le désert voisin est symbolisé par une gazelle poursuivie par un lion, de même qu’un crocodile est visible non loin du Nil dans le désert égyptien.

La ville de Jéricho est encadrée de tours et entourée de ses célèbres palmiers. Bethléem, Hébron, Naplouse, Emmaüs, les montagnes de Judée, Gaza et la côte méditerranéenne, ainsi que le Sinaï, sont précisément situés.

Des lieux moins connus sont mentionnés : le chêne de Mambré, où Yahvé est apparu à Abraham ; le tombeau de Joseph, fils de Jacob ; Béthanie, où Jean a baptisé ; le puits de Jacob, où le Christ a rencontré la Samaritaine ; et Gethsémani, où il a été trahi par Judas.

La seule erreur géographique évidente, due à l’ignorance des artistes ou au manque de place dans l’ancien bâtiment byzantin, est que le Nil inférieur coule ici d’est en ouest, et non du sud au nord ; cependant, les cinq branches principales de son delta sont bien différenciées.

 

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Le confluent du Jourdain et de la mer Morte, Madaba, Jordanie

Photo : E. Pastore

 

La ville de Jérusalem

 

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A : Porte de Damas ; B : Porte Saint-Étienne ; C : Porte d’Or ; D : Porte de Jaffa ; E : Porte de Nea ; F : Bâtiment non identifié ; G : Saint Sépulcre ; H : La Nea ; J : Église de la Sainte Sion.

 

La « ville sainte de Jérusalem » occupe le centre de la carte. La topographie générale est très bien conservée. La muraille compte 21 tours, 6 portes et 36 bâtiments.

À A, la porte nord de la ville, se trouve une place ovale à l’intérieur de la ville, avec une colonne en son centre. Depuis l’occupation de Jérusalem par les Arabes au XIVe siècle, cette porte est appelée « Porte des colonnes » (Bal-el-Amud). Une colonne n’avait pas été vue ici depuis des siècles, même avant la conquête arabe, de sorte que le plan de Madaba conserve un rappel authentique. Une petite rue à colonnades à l’est et une grande rue à colonnades au centre marquent les principales artères de la ville.

À G, le mosaïste a voulu représenter l’Anastasis, l’église de la Résurrection construite par Constantin peu après 325, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’église du Saint-Sépulcre. Les éléments suivants sont facilement reconnaissables : un escalier monumental menant à la rue principale à colonnades ; derrière lui, les trois grandes portes menant à un atrium (cour ouverte, caractéristique des églises byzantines) ; au troisième plan, le tympan en tesselles d’or (ce qui signifie qu’il était décoré de mosaïques à dominante dorée) et le toit (tuiles) rouge du martyrium (l’église proprement dite) ; et enfin, au dernier plan, une grande coupole, également dorée, appelée anastasis (résurrection) parce qu’elle recouvrait le tombeau du Christ. Il s’agit du plus ancien plan connu de ce précieux monument de la communauté chrétienne, que les recherches archéologiques des 30 dernières années ont permis de vérifier dans son intégralité ; seule la rotonde voûtée de l’anastasis, jusqu’à la base de la coupole, a été conservée. Du reste de l’édifice, nous n’avons que des fragments, mais ils sont suffisamment significatifs pour vérifier la disposition générale du gros œuvre.

 

Enfin, en H, le mosaïste met clairement en évidence la plus récente des églises de Jérusalem : la Nea (Nouvelle), construite par Justinien en 542 et dédiée à Marie. C’est dans cette partie de la ville que les archéologues israéliens ont découvert, il y a une quinzaine d’années, les fondations de la Nea, clairement identifiées par une longue inscription de Justinien sur l’une des grosses pierres des premières fondations.

Emanuelle Pastore