Présentation
À un kilomètre environ des rives occidentales de la mer Morte, vers le nord, se trouve un site archéologique dont l’appellation moderne est Khirbet Qumrān ou simplement Qumrān. Depuis le XIXe siècle, explorateurs et voyageurs visitèrent régulièrement les lieux. D’aucuns, l’orientaliste Félix de Saulcy entre autres, en 1853, étaient convaincus qu’il y avait là les restes de la Gomorrhe biblique. Plus récemment, en 1940 puis 1946, on imputait ces ruines à la période byzantine ou arabe. Le site acquit une importance majeure, scientifique et médiatique, après la découverte des manuscrits dits de la mer Morte, entre 1947 et 1956. Onze grottes plus ou moins proches de Qumrān livrèrent les restes d’environ neuf cents rouleaux antiques, tous d’origine exclusivement judaïque. Quels sont les enjeux de cette découverte?
Grâce surtout à la paléographie, avec l’appoint de la méthode du carbone 14, on date ces documents du IIe ou IIIe siècle avant J.-C. au Ier siècle de l’ère courante. Voilà la plus grande découverte archéologique du XXe siècle. Depuis la fin de 2001, les textes retrouvés sont entièrement disponibles, dans leurs langues originales du moins (hébreu, araméen et grec). Leur lecture globale et transversale est en passe de révolutionner la connaissance et la compréhension de la société judaïque à la veille de ses irréversibles ruptures (fin du judaïsme du Temple et naissance du christianisme) et de ses grandes mutations (recomposition du judaïsme synagogal fondé de la seule Torah et de son commentaire). D’entrée de jeu, les savants avaient fait le lien entre les manuscrits découverts et les occupants du site de Qumrān, assimilés longtemps aux Esséniens. La connaissance de l’ensemble des textes et les fruits de nouvelles missions archéologiques déterminent de plus en plus l’évolution voire la modification de cette façon de voir.
Le mer Morte et les emplacements des découvertes
D’après A. Paul, Les manuscrits de la mer Morte, 2è édition, Paris, Bayard, 2000, p. 8.
La thèse « essénienne »
Extrait de la Règle de la Communauté
En 1948, on était en possession de sept rouleaux plus ou moins bien conservés, six en hébreu et un en araméen. On saura plus tard qu’ils venaient de la première des onze grottes dites à manuscrits. Il s’y trouvait entre autres un texte étonnant que l’on intitula d’abord « Manuel de Discipline » (à l’instar du catéchisme méthodiste) puis une fois pour toutes « Règle de la communauté ». Une sorte de règle monastique avant l’heure, la codification stricte d’une vie communautaire sanctifiée, avec entre autres : les phases de probation et d’initiation, les rites de purification avec bains rituels, la lecture assidue et qualifiée de la Loi, les moments de prière et de repas collectifs.
Le professeur Sukenik, de l’Université hébraïque de Jérusalem, fit très vite le lien entre ce premier lot d’écrits, qu’il data spontanément du Ier siècle avant J.-C., et la « secte » des Esséniens. Au tournant de l’ère, ces derniers constituaient un ensemble de fraternités d’ascètes dont Pline l’Ancien (mort lors de l’irruption du Vésuve en 79) décrit l’implantation et le mode de vie à l’ouest de la mer Morte, dans son Histoire naturelle de 77. La théorie essénienne de l’origine des manuscrits se trouvait alors initiée.
En 1951, le dominicain Roland de Vaux, directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, établit la relation entre le contenu non littéraire (céramique, tissus et autres) de la grotte d’où venaient les rouleaux et les ruines de Qumrān qu’il venait d’explorer à la tête d’une mission archéologique. La thèse essénienne fut reprise, élargie et confortée. Nul ne soupçonnait alors que dix autres « cachettes » seraient par la suite découvertes. De Vaux ajouta donc une troisième donnée à celle de Sukenik. Et l’on rechercha un maximum de correspondances entre les témoignages des auteurs antiques sur les Esséniens, les textes découverts dans ladite grotte et le site archéologique. Aussi parlera-t-on désormais des « grottes de Qumrān » ou des « textes de Qumrān ». Les ruines furent considérées comme les vestiges d’un établissement communautaire, un « monastère » disait-on.
Rare dans cette région, l’eau de pluie qui déferlait dans le wadi Qumrân au sud du plateau était canalisée vers les citernes communautaires. Cette eau arrivait d’abord dans un premier bassin (3 sur le plan) à l’entrée nord-ouest du site. Juste à côté de cette entrée on avait aménagé un mikveh (bain rituel) qui servait aux ablutions rituelles des membres de la communauté (2), très stricts sur les questions de pureté rituelle. À l’Est de l’entrée, le grand enclos devait servir à garder quelques moutons et chèvres.
Une fois passé l’enclos, on entre dans le « complexe ». Une imposante tour de garde s’impose à l’entrée (10). À l’ouest de la grosse tour on trouve la citerne ronde qui a alimenté les installations humaines depuis l’époque du Fer jusqu’à la destruction en 70 (7; la seule citerne de forme ronde). Juste à l’est de la grosse tour on voit une salle rectangulaire avec trois petits piliers au centre. C’était la cuisine communautaire (11). Au Sud de la grosse tour : la longue salle du scriptorium (12) et, à la gauche de ce dernier, une salle carrée à trois pièces avec des banquettes aux murs, ce qui donne à penser à une salle de réunion du conseil (13).
Complètement au Sud, une grande pièce rectangulaire orientée est-ouest devait servir de salle d’assemblée et de réfectoire (20), tandis que la petite salle à gauche du réfectoire, avec un petit pilier, servait de remise (21). Dans le coin sud-est, proche de la grosse citerne rectangulaire, on a trouvé des installations de potier et des fours pour cuire les poteries (17).
Et l’on fut porté à explorer et décrire les lieux en fonction des informations contenues dans les textes, la « Règle de la communauté » principalement. Ce schéma triangulaire s’imposa vite à la majorité des chercheurs et fut largement vulgarisé. Un autre savant français y fut pour beaucoup : André Dupont-Sommer. Personnalité académique fort distinguée, ce dernier ajoutait aux sources anciennes sur les Esséniens les notices substantielles de Philon d’Alexandrie et de Flavius Josèphe, bien connues depuis des siècles. Désormais, tout ce qui avait été découvert, et tout ce que l’on découvrirait par la suite, serait naturellement « essénien ». Les voix divergentes demeuraient minoritaires et marginales. Et l’on parlera sans discernement de la « bibliothèque (de la secte) essénienne » ou de « la bibliothèque sectaire ». Et de renouer avec des idées anciennes, du siècle des Lumières puis réaffirmées par Renan : elles faisaient du mouvement essénien le prototype du christianisme. On avait élaboré ladite thèse à partir d’une brassée de manuscrits. Les premiers écrits déchiffrés eussent-ils été d’autres parmi les neuf centaines à venir, nul doute que l’on se serait engagé sur des voies différentes. De plus, on considérait que ces premiers textes découverts étaient le reflet direct d’une communauté réelle, comme de leur côté les dires de Philon et de Josèphe sur les Esséniens. Pour l’heure, on n’y voyait rien de polémique, ni de symbolique, voire d’utopique.
Une décennie de découvertes
Les premiers rouleaux furent découverts fortuitement par des bédouins du désert de Juda. Ils apparurent à Bethléem dans le courant de l’hiver de 1947. Dès 1948, le professeur Sukénik en Palestine et l’éminent épigraphiste Albright aux États-Unis, chacun de son côté, les identifièrent comme d’authentiques manuscrits hébraïques du Ier siècle avant J.-C. Après l’armistice de 1949 entre Israéliens et Arabes, sous l’égide des Jordaniens, plusieurs campagnes d’exploration et de fouilles furent menées, jusqu’en 1956. Ce fut la course et l’émulation entre savants et bédouins, au net avantage de ces derniers. Les missions successives s’achèveront par la découverte de la dernière grotte, la onzième (on les numérote dans l’ordre chronologique de leur découverte : 1Qumrān ou 1Q, 2Qumrān ou 2Q, etc.). Cinq de ces grottes sont naturelles, dont quatre éloignées du site de Qumrān : les nos 1 et 2, à un bon kilomètre au nord ; les nos 3 et 11, à quelque deux kilomètres sur le même axe ; la no 6 étant bien plus proche des ruines, à l’ouest. Les six autres, nos 4, 5 et 7 à 10, proches voire très proches des ruines, ont été creusées de main d’homme dans la roche marneuse. Découverte en 1952, la grotte no 4 est double et de loin la plus vaste. Elle a bien résisté au temps, ce qui n’est pas le cas des autres environnantes, certaines étant passablement écroulées. On n’y a retrouvé que des fragments, mais une quinzaine de milliers au moins. À elle seule, elle contenait les restes de presque six cents rouleaux, soit environ les cinq huitièmes des documents découverts.
Parmi les écrits récupérés, il y a de vrais rouleaux, certains en bon état, neuf en tout, dont sept de la grotte no 1 : deux manuscrits du livre d’Isaïe, dont un pratiquement complet dit le Grand Rouleau d’Isaïe ; la Règle de la communauté, la Règle de la guerre des fils de lumière et des fils de ténèbres, les Hymnes d’action de grâce, le Commentaire d’Habacuc, l’Apocryphe de la Genèse; les deux autres viennent de la grotte no 11 : l’excellent Rouleau du Temple, le plus long de tous (soixante-sept colonnes), et un précieux Rouleau de Psaumes. Cet ensemble représente plus du tiers du matériau exhumé. Ajoutons le Rouleau de cuivre : recueilli dans le grotte no 3, il est unique (avec une liste certainement symbolique des pièces d’un trésor immense cachées en des lieux répertoriés). Le restant n’est que fragments, quelques-uns conservant plusieurs colonnes et d’autres quelques lettres. Dans la grotte no 1, et probablement en d’autres, les rouleaux se trouvaient enveloppés d’une toile de lin ; par deux ou trois, ils étaient placés dans des jarres que l’on crut longtemps destinées à ce seul usage. Nul doute qu’il y eut à l’origine bien plus d’écrits. Au cours des siècles, nombre d’entre eux ont sans doute été détruits sans intervention humaine ; d’autres ont pu tomber sous la main des hommes. Au début du IIIe siècle, Origène attestait la découverte d’une version des Psaumes inconnue jusqu’alors, « à Jéricho (à seulement une dizaine de kilomètres au nord de Qumrān), dans une jarre ». Au IXe siècle, on était informé de découvertes plus frappantes encore. Vers l’an 800, le patriarche nestorien de Bagdad Timothée Ier nous apprend que, toujours aux environs de Jéricho, un chasseur arabe à la poursuite d’un chien disparu dans un trou découvrit une cachette avec « les livres de l’Ancien Testament et d’autres livres en écriture hébraïque ». Plusieurs grottes distinctes des onze cataloguées contenaient des vestiges de jarres et de tissus ; on y aurait sans doute déposé des rouleaux, aujourd’hui disparus.
Un demi-siècle de publication
La récupération des fragments ne fut pas facile. Au fur et à mesure de leur acquisition (aux bédouins) par le gouvernement jordanien, on les déposa dans une salle réservée, la scrollery (de l’anglais scroll, « rouleau »), au Musée archéologique de la Palestine, à Jérusalem-Est. Et l’on se mit vite à la publication. Les sept rouleaux de la grotte no 1 furent très vite publiés, d’une façon brute et sans apprêt. Dans un premier temps, on se contenta de reproductions photographiques des documents, accompagnées de leur transcription. Puis afflua la masse des milliers de fragments, dans l’éclatement et le désordre, surtout ceux de la grotte no 4. La tâche éditoriale était inédite et passionnante, complexe et périlleuse. Les écrits recueillis avaient subi les dommages du temps. Ils souffrirent aussi des manipulations ravageuses après leur découverte. En théorie, publier un document exigeait qu’on le restituât dans son état initial. Chose volontiers impossible vu le nombre des avaries et l’importance des lacunes. Il n’y avait au début ni méthode ni règle. On dut nettoyer et déchiffrer les restes, rapprocher puis recoller les morceaux ; souvent reconstituer le texte. Il fallut du génie. On ne disposait que des yeux, de la brosse, et si besoin la loupe ; la mémoire et le flair ou l’intuition. Très vite, on fit d’excellentes photos, aux infrarouges et aux ultraviolets. Malgré la modestie des moyens, les premières années connurent des résultats fulgurants, avec peu de gens et moins encore d’outils sinon d’argent. Mais l’état de grâce eut une fin. Vint une longue période de stagnation apparente, à la vérité bien plus productive qu’on ne l’a dit. Elle correspondit aux temps d’une maturation latente des données et des problèmes. Elle fut marquée, de plus, par la nouvelle conjoncture politique et les conflits afférents qui embrasèrent le pays après le retrait de l’administration et des troupes britanniques, le 14 mai 1948. Deux dates, 1956 (guerre du Sinaï, avec transfert provisoire des manuscrits à Amman) et 1967 (guerre de Six Jours, avec la récupération des rouleaux par les Israéliens) demeurent des repères marquants dans cette histoire longue et tourmentée.
Commencée en 1950 (pour les pièces de la grotte no 1) mais surtout en 1953 avec une équipe internationale constituée, la publication des rouleaux et des fragments était achevée un demi-siècle plus tard, à la fin de 2001. Objectivement, ce n’est pas trop. On peut distinguer trois étapes. De 1953 à 1960, l’enthousiasme et le dynamisme furent constants et les résultats surprenants. En 1955 parut à Oxford le premier volume (il y en aura une quarantaine en tout) de l’impressionnante série présentant l’édition princeps : Discoveries in the Judæan Desert. De 1960 à 1985 vint l’heure de l’essoufflement et du ralentissement, accentués par l’attentisme préconisé par les chancelleries occidentales après la guerre de Six Jours. Stockés à Jérusalem-Est dans le Musée archéologique de la Palestine que la Jordanie venait juste de nationaliser, les textes dans leur quasi-totalité (à l’exception du Rouleau de cuivre et de quelques fragments, toujours à Amman) étaient prise de guerre israélienne. De 1985 à 2002, ce fut le réveil et l’achèvement. L’équipe chargée de l’édition des textes s’élargit alors considérablement : de moins de dix membres dans les débuts, elle atteint cinquante puis quatre-vingt-dix-huit au total, avec une représentation féminine notable. Autre fait marquant, l’entrée en force de savants israéliens, hommes et femmes et hautement compétents.
Une bibliothèque diversifiée
Dans leur grande majorité, les rouleaux étaient de parchemin, une centaine seulement de papyrus. Plusieurs des textes sont en araméen, la langue courante du pays depuis la conquête perse, fin VIe siècle avant J.-C. Le reste est en hébreu, la langue littéraire et cultuelle, déclarée sainte. Quelques fragments ou bribes sont en grec. On considère l’ensemble comme très largement littéraire, non documentaire. Il ne s’y trouve en effet ni lettres, ni factures, ni contrats. Il s’agit d’une bibliothèque, dont on ne saura peut-être jamais l’origine.
Le classement des rouleaux et des fragments autrement que par grottes ne va pas de soi. On peut d’abord mettre à part ceux que l’on considère comme bibliques, autrement dit présents dans nos Bibles : entre 23 et 25 p. 100, ce qui correspond à quelque deux cents rouleaux différents. À l’exception du livre d’Esther, et encore, car il a pu disparaître dans le temps, tous les livres du corpus judaïque des livres saints se trouvent attestés. Beaucoup sont représentés par plusieurs voire de nombreux exemplaires. Ainsi, vingt de la Genèse, dix-sept de l’Exode, quatorze du Lévitique, une trentaine du Deutéronome et des Psaumes. Le plus ancien de ces témoins, un fragment de Samuel, est daté du milieu du IIIe siècle avant J.-C. Mais la plupart sont un peu plus récents, sans dépasser toutefois le milieu du Ier siècle de notre ère. Il est acquis qu’aucun texte chrétien n’y figurait. Les plus anciens manuscrits de la Biblia hebraica que l’on possédait auparavant datent du Xe siècle chrétien. Ajoutons que l’on a retrouvé l’original hébraïque de Ben Sira et les versions en hébreu et en araméen de Tobit. Ces deux livres sont absents du corpus judaïque, mais reçus dans les Bibles chrétiennes, du moins catholiques, par le canal de la version grecque des Septante.
Pour une très large part, le reste des rouleaux, « non bibliques » dit-on, environ les deux tiers de l’ensemble, se présente plus ou moins comme des relectures ou réécritures, prolongements ou commentaires, réfections ou systématisations de traditions et de formes réellement « bibliques ». On est en présence d’un ample conservatoire littéraire, avec en amont un riche laboratoire où se croisent différents courants de pensée et d’idéaux de la société judaïque préchrétienne. Ce qui n’a été acquis que progressivement, et pour certains éléments récemment. À la fin des années 1980 et plus encore au long des années 1990, on a perçu que bien des textes n’entraient guère dans le cadre des écrits « sectaires », « esséniens » ou « communautaires » qui, avec des traits et formules spécifiques, ne sont environ qu’une centaine. Ainsi, un important corpus de prières du IIe ou Ier siècle avant J.-C. s’est trouvé mis au jour et publié. On compte en tout quelque deux cents psaumes, hymnes et autres pièces liturgiques « non bibliques » dans la bibliothèque de Qumrān.
Voilà une quinzaine d’années, on fit une découverte dans les découvertes : une collection de livres de sagesse, qui mobilisent toujours les chercheurs. Bref, dans cette masse littéraire, le christianisme de Jésus de Nazareth et celui de Paul de Tarse se perçoivent çà et là en formation, ainsi que, de quelque façon, le judaïsme rabbinique. Le courant mystique menant à la Kabbale se manifeste nettement. Une gnose véritable, judaïque, évolue entre autres sous les habits d’un dualisme cosmique et d’une sagesse élitiste. Longtemps majoritaire sinon exclusive aux yeux des savants, la part dévolue aux Esséniens semblerait pour beaucoup perdre ses marques.
Collaboration entre exégètes et archéologues
Jusqu’à la fin du XXe siècle, la parole diffusée sur tout ce qui touche Qumrān émanait essentiellement de spécialistes des textes. Pour la majorité des personnes informées, le lien entre les rouleaux et le site va toujours de soi. Beaucoup concèdent néanmoins qu’une partie seulement des textes est l’œuvre directe des résidants locaux. Or, dans un passé assez récent, les archéologues se sentirent sollicités. Jusqu’alors, leur discipline évoluait volontiers à l’ombre du traitement des documents écrits par des érudits non archéologues. Bien plus, sur ces terres dites saintes, l’archéologie biblique régnait, servante des textes canoniques et de leur étude. Les choses ont bougé. Des archéologues d’une « nouvelle vague » se sont manifestés, venus d’Amérique du Nord, d’Australie et d’Israël. Ils imposent de plus en plus dans leur recherche, l’objet, les procédures et les outils d’une discipline adulte et autonome. Ils sont en rupture plus ou moins déclarée avec la thèse lointaine de Roland de Vaux, non sans affronter l’opposition des tenants fidèles de celle-ci.
Ces dix ou quinze dernières années, ces archéologues « libérés » ont fouillé le site de Qumrān avec rigueur et à nouveaux frais. Mais en lien avec d’autres investigations, à Jérusalem et à Jéricho, et dans bien d’autres lieux des bords de la mer Morte, jusque vers le sud et à l’est de celle-ci. Ils ont fait revivre l’économie régionale de l’époque, tout autre que celle d’aujourd’hui. Ce qui eut pour résultat de désenclaver l’établissement. Ils ont retrouvé les axes et les voies de communication, les réseaux de fortifications militaires et les espaces de cultures ou d’exploitations agricoles, de transformations et d’écoulement des produits, de production de poteries et autres objets destinés au négoce, proche ou lointain. Et les bâtiments de Qumrān de se retrouver liés à un ensemble contemporain d’installations explorées. Les réservoirs d’eau ne correspondraient pas tous ni forcément à des bassins de purification. Les « jarres à manuscrits » ne seraient pas d’office l’exclusivité du lieu, leur usage de surcroît pouvant s’avérer divers. En d’autres sites de la mer Morte, vers le sud et jusqu’aux abords de la rive orientale, on montre un mode de sépulture semblable à celui de Qumrān. Le désenclavement est évident ; il entraîne la désacralisation du moins partielle du site et partant sa dé-communautarisation.
Il semble que l’on doive considérer aujourd’hui le site de Qumrān avec ses environs élargis comme un espace socio-économique avec probablement des lieux circonscrits d’activités cultuelles. Loin du Temple, la lecture commentée de la Loi et des Prophètes et la prière de louange pouvaient trouver place, dans un endroit ou dans l’autre. Des représentants d’une élite aux fortes tendances ascétiques auraient rassemblé, copié et peut-être, pour une part seulement, composé les fameux rouleaux. Ces gens étaient portés par l’idéal du désert ; ils pouvaient cependant vivre au milieu d’autres, aux motivations différentes sinon nettement séculières.
Il n’est pas exclu qu’eux-mêmes ou d’autres, à l’approche des troupes romaines de Titus, soit avant ou après la prise de Jérusalem en 70, aient transporté vers le nord, dans des grottes naturelles, une sélection de leur fonds littéraire. Y avait-il des Esséniens parmi eux ? Rien ne l’atteste, rien ne le nie.
Bibliographie
André PAUL, « QUMRĀN », Encyclopædia Universalis