Salomon est une figure captivante de la Bible. Connu pour sa sagesse incomparable et pour sa richesse sans limite, il est également tristement connu pour s’être détourné du Seigneur à la fin de sa vie. Qui n’a pas entendu parler des mille épouses et concubines étrangères qui ont séduit le roi de Jérusalem ? Pourtant, avant d’avoir « aimé » ces femmes (1 R 11,1), Salomon avait « aimé » le Seigneur (1 R 3,3) et lui vouait un culte fidèle. Même le second nom de Salomon, Yedidyia (2 S 12,25) – qui signifie « aimé de Yahvé » – indiquait une prédilection divine pour le fils de David. Alors comment rendre compte de l’ambivalence qui caractérise le règne de Salomon ? Comment la grandeur et la misère peuvent-elles se côtoyer à ce point dans la vie de la même personne ? Il se pourrait bien que le récit sur Salomon nous offre quelques clés pour notre vie croyante.

Commençons par le début. Salomon est un tout jeune garçon lorsqu’il accède au trône d’Israël. Dans l’épisode fondateur de son règne, on le voit se rendre sur la colline de Gabaon qui surplombe Jérusalem afin d’invoquer le Seigneur son Dieu et lui faire l’hommage de sacrifices. Le Seigneur se révèle à lui, de nuit, en songe. Il faut remarquer qu’il s’agit-là d’un grand privilège. En effet, durant toute la durée de son règne, Salomon ne sera jamais assisté par des prophètes. Il n’en a pas besoin puisque Dieu lui parle en direct. Salomon n’aura pas moins de quatre conversations avec le Seigneur durant sa vie (1 R 3,5-15 ; 6,11-13 ; 9,1-19 ; 11,11-13).

Lors de la première apparition divine à Gabaon, Salomon se présente devant Dieu comme un chef inexpérimenté. Il lui demande de lui accorder la qualité suprême et première selon la logique biblique : l’écoute. Littéralement, il demande « un cœur qui sache écouter » (1 R 3,9). L’écoute est l’attitude naturelle du croyant qui se reçoit sans cesse d’un Autre, de Dieu :

« ­4 Ecoute, Israël : Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé. ­5 Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. » (Dt 6, 4‑5)

L’écoute rejoint la foi, car c’est se laisser modeler, éduquer, guider par la parole qui vient de Dieu. Cette noblesse de cœur du jeune Salomon plaît au Seigneur qui décide de lui accorder le plus beau fruit de l’écoute : la sagesse.

Dans le contexte du Proche-Orient ancien, la sagesse est l’attribut royal par excellence. Qu’est-ce que la sagesse ? Il s’agit d’une connaissance qui est à la fois pratique et encyclopédique. Elle concerne tout ce qui se trouve dans le monde. Cette science suppose de connaître les lois qui régissent le cosmos et tout ce qu’il contient : les astres du ciel, le rythme des saisons, le cycle de vie des plantes, des animaux et bien sûr des humains.

Sur les photos ci-dessus (Mosaïques, Basilique Saint Marc, Venise, E. Pastore) est représentée la création du monde selon Gn 1-2. Le Dieu créateur est à l’origine de la sagesse, puisque c’est lui-même qui fixe les lois régissant l’univers.

La sagesse implique également une parfaite maîtrise des différents aspects de la vie en société, comme le gouvernement des peuples, les relations internationales, l’art de la diplomatie ou encore la prospérité d’un royaume. Puisque Salomon est doté d’une sagesse toute divine (1 R 3,28), il n’est pas surprenant de lire, dans les chapitres qui racontent sa vie (1 R 3-10), comment la réussite couronne chacune de ses entreprises. Salomon est reconnu par tout Israël comme un juge impartial capable de discernement même dans les situations les plus embrouillées. Lors d’un fameux jugement, il dut trancher dans un litige opposant deux prostituées. Toutes les deux assurent être la mère légitime du même enfant. Mais Salomon réussit à distinguer la vérité du mensonge. La sagesse de Salomon éclate aux yeux du peuple tout entier.

Salomon assure également la politique interne de son royaume en nommant des préfets sur chaque région. Il maintient la paix à toutes ses frontières. Sa cour et ses invités sont si nombreux qu’il ne faut pas moins de trente bœufs et cent moutons – sans compter le gibier et la volaille – pour les nourrir chaque jour (1 R 5,2-3). Sa renommée de sagesse et de richesse parvient aux oreilles des rois de la terre, jusqu’au royaume de Saba situé au-delà d’une barrière de 3’000 km de désert (1 R 10). Mais ce n’est pas seulement la supériorité du roi qui est mise en avant, ni la légitimité du peuple d’Israël reconnu comme un très grand peuple. C’est surtout l’incomparabilité du Dieu d’Israël qui est affirmée, comme on va le voir maintenant.

En effet, l’essentiel sur Salomon n’a pas encore été dit. Cinq longs chapitres (1 R 5-9) sont consacrés à la description de la plus prestigieuse des œuvres de Salomon : le Temple de Jérusalem. Tout roi digne de sa condition est censé manifester sa fidélité à son Dieu en lui construisant un sanctuaire ou, a minima, en le rénovant. David avait été écarté de cette tâche par Dieu lui-même en raison du sang qu’il avait versé lors de ses conquêtes (1 Ch 22,8). Il revient donc à son fils Salomon de construire le premier Temple de Jérusalem. Le Temple est le lieu de la présence divine et, par conséquent, le lieu de la rencontre avec lui. C’est là qu’on offre les sacrifices et les prières. Toute la vie du royaume était rythmée par le culte qu’on y célébrait. En construisant ce Temple, Salomon a été un parfait monarque. Dieu l’a assisté et l’a béni en tout ce qui lui incombait de réaliser… du moins jusqu’au temps de sa vieillesse.

Ce n’est qu’à la toute fin de sa vie, lorsque Salomon était devenu vieux, qu’il s’attacha davantage à ses femmes étrangères et à leurs idoles qu’à Yahvé (1 R 11,4). Il construisit même des temples à ces divinités étrangères. A cause de ce grand péché, le royaume prospère sera divisé sitôt après la mort du roi. Fragilisé, Israël ne connaîtra plus jamais une gloire semblable. Faut-il s’attrister de la fin déplorable de Salomon ? Faut-il s’en scandaliser ? Le récit biblique lui-même, bien qu’en offusquant pas ce péché de vieillesse, ne s’y attarde pas. Les derniers mots concernant Salomon en 1 R 11,41 ne gardent qu’un souvenir de Salomon : celui de sa sagesse. Bien plus tard, quatre livres lui seront même attribués : le livre des Proverbes, le Cantique des Cantiques, Qohèleth (ou Ecclésiaste), ainsi que le livre de la Sagesse. La postérité du roi sage n’a donc cessé de se diffuser, malgré son infidélité au Seigneur. Comment comprendre cela ?

La réponse se trouve dans la prière du chapitre 8 du premier livre des Rois. Cette prière est justement située au cœur du grand récit sur Salomon. Le Temple de Jérusalem vient d’être achevé. Dieu vient d’en prendre possession à travers la nuée qui en emplit tout l’espace, au point que les prêtres doivent sortir. Après cela, il revient au roi de prendre la parole au nom du peuple réuni et d’adresser une prière au Seigneur (1 R 8,30-61). La prière est entièrement formulée à partir de la notion de pardon. Salomon demande à Dieu de bien vouloir pardonner d’avance à son peuple ses manquements et de ne cesser de le protéger malgré ses éventuelles infidélités. Surtout, Salomon prononce une phrase bien courte, mais extrêmement pertinente :

« Il n’y a aucun humain qui ne pèche pas. » (1 R 8,46)

Cette phrase est autant empreinte de réalisme que de pessimisme anthropologique. Même le roi Salomon qui la prononce est et se sait pécheur. Mais le péché n’a pas le dessus, puisque le Seigneur est susceptible d’accorder son pardon. Le croyant le sait et ne désespère jamais de lui-même. Salomon a beau être le roi, il est pécheur. Conscient de cela, il s’en remet entièrement à son Dieu, sans s’approprier ni la royauté, ni la gloire, ni le pouvoir. Il est et reste véritablement sage malgré son péché. Le récit sur Salomon n’a rien perdu de son actualité, même trois mille ans plus tard!

Emanuelle Pastore

Pour en savoir plus

Salomon, Editions du Cerf, Collection Personnages de la Bible, 2025.

Salomon est une figure captivante de la Bible. Connu pour sa sagesse incomparable et pour sa richesse sans limite, il est également tristement connu pour s’être détourné du Seigneur à la fin de sa vie. Qui n’a pas entendu parler des mille épouses et concubines étrangères qui ont séduit le roi de Jérusalem ? Pourtant, avant d’avoir « aimé » ces femmes (1 R 11,1), Salomon avait « aimé » le Seigneur (1 R 3,3) et lui vouait un culte fidèle. Même le second nom de Salomon, Yedidyia (2 S 12,25) – qui signifie « aimé de Yahvé » – indiquait une prédilection divine pour le fils de David. Alors comment rendre compte de l’ambivalence qui caractérise le règne de Salomon ? Comment la grandeur et la misère peuvent-elles se côtoyer à ce point dans la vie de la même personne ? Il se pourrait bien que le récit sur Salomon nous offre quelques clés pour notre vie croyante.

Commençons par le début. Salomon est un tout jeune garçon lorsqu’il accède au trône d’Israël. Dans l’épisode fondateur de son règne, on le voit se rendre sur la colline de Gabaon qui surplombe Jérusalem afin d’invoquer le Seigneur son Dieu et lui faire l’hommage de sacrifices. Le Seigneur se révèle à lui, de nuit, en songe. Il faut remarquer qu’il s’agit-là d’un grand privilège. En effet, durant toute la durée de son règne, Salomon ne sera jamais assisté par des prophètes. Il n’en a pas besoin puisque Dieu lui parle en direct. Salomon n’aura pas moins de quatre conversations avec le Seigneur durant sa vie (1 R 3,5-15 ; 6,11-13 ; 9,1-19 ; 11,11-13).

Lors de la première apparition divine à Gabaon, Salomon se présente devant Dieu comme un chef inexpérimenté. Il lui demande de lui accorder la qualité suprême et première selon la logique biblique : l’écoute. Littéralement, il demande « un cœur qui sache écouter » (1 R 3,9). L’écoute est l’attitude naturelle du croyant qui se reçoit sans cesse d’un Autre, de Dieu :

« ­4 Ecoute, Israël : Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé. ­5 Tu aimeras Yahvé ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. » (Dt 6, 4‑5)

L’écoute rejoint la foi, car c’est se laisser modeler, éduquer, guider par la parole qui vient de Dieu. Cette noblesse de cœur du jeune Salomon plaît au Seigneur qui décide de lui accorder le plus beau fruit de l’écoute : la sagesse.

Dans le contexte du Proche-Orient ancien, la sagesse est l’attribut royal par excellence. Qu’est-ce que la sagesse ? Il s’agit d’une connaissance qui est à la fois pratique et encyclopédique. Elle concerne tout ce qui se trouve dans le monde. Cette science suppose de connaître les lois qui régissent le cosmos et tout ce qu’il contient : les astres du ciel, le rythme des saisons, le cycle de vie des plantes, des animaux et bien sûr des humains.

Sur les photos ci-dessus (Mosaïques, Basilique Saint Marc, Venise, E. Pastore) est représentée la création du monde selon Gn 1-2. Le Dieu créateur est à l’origine de la sagesse, puisque c’est lui-même qui fixe les lois régissant l’univers.

La sagesse implique également une parfaite maîtrise des différents aspects de la vie en société, comme le gouvernement des peuples, les relations internationales, l’art de la diplomatie ou encore la prospérité d’un royaume. Puisque Salomon est doté d’une sagesse toute divine (1 R 3,28), il n’est pas surprenant de lire, dans les chapitres qui racontent sa vie (1 R 3-10), comment la réussite couronne chacune de ses entreprises. Salomon est reconnu par tout Israël comme un juge impartial capable de discernement même dans les situations les plus embrouillées. Lors d’un fameux jugement, il dut trancher dans un litige opposant deux prostituées. Toutes les deux assurent être la mère légitime du même enfant. Mais Salomon réussit à distinguer la vérité du mensonge. La sagesse de Salomon éclate aux yeux du peuple tout entier.

Salomon assure également la politique interne de son royaume en nommant des préfets sur chaque région. Il maintient la paix à toutes ses frontières. Sa cour et ses invités sont si nombreux qu’il ne faut pas moins de trente bœufs et cent moutons – sans compter le gibier et la volaille – pour les nourrir chaque jour (1 R 5,2-3). Sa renommée de sagesse et de richesse parvient aux oreilles des rois de la terre, jusqu’au royaume de Saba situé au-delà d’une barrière de 3’000 km de désert (1 R 10). Mais ce n’est pas seulement la supériorité du roi qui est mise en avant, ni la légitimité du peuple d’Israël reconnu comme un très grand peuple. C’est surtout l’incomparabilité du Dieu d’Israël qui est affirmée, comme on va le voir maintenant.

En effet, l’essentiel sur Salomon n’a pas encore été dit. Cinq longs chapitres (1 R 5-9) sont consacrés à la description de la plus prestigieuse des œuvres de Salomon : le Temple de Jérusalem. Tout roi digne de sa condition est censé manifester sa fidélité à son Dieu en lui construisant un sanctuaire ou, a minima, en le rénovant. David avait été écarté de cette tâche par Dieu lui-même en raison du sang qu’il avait versé lors de ses conquêtes (1 Ch 22,8). Il revient donc à son fils Salomon de construire le premier Temple de Jérusalem. Le Temple est le lieu de la présence divine et, par conséquent, le lieu de la rencontre avec lui. C’est là qu’on offre les sacrifices et les prières. Toute la vie du royaume était rythmée par le culte qu’on y célébrait. En construisant ce Temple, Salomon a été un parfait monarque. Dieu l’a assisté et l’a béni en tout ce qui lui incombait de réaliser… du moins jusqu’au temps de sa vieillesse.

Ce n’est qu’à la toute fin de sa vie, lorsque Salomon était devenu vieux, qu’il s’attacha davantage à ses femmes étrangères et à leurs idoles qu’à Yahvé (1 R 11,4). Il construisit même des temples à ces divinités étrangères. A cause de ce grand péché, le royaume prospère sera divisé sitôt après la mort du roi. Fragilisé, Israël ne connaîtra plus jamais une gloire semblable. Faut-il s’attrister de la fin déplorable de Salomon ? Faut-il s’en scandaliser ? Le récit biblique lui-même, bien qu’en offusquant pas ce péché de vieillesse, ne s’y attarde pas. Les derniers mots concernant Salomon en 1 R 11,41 ne gardent qu’un souvenir de Salomon : celui de sa sagesse. Bien plus tard, quatre livres lui seront même attribués : le livre des Proverbes, le Cantique des Cantiques, Qohèleth (ou Ecclésiaste), ainsi que le livre de la Sagesse. La postérité du roi sage n’a donc cessé de se diffuser, malgré son infidélité au Seigneur. Comment comprendre cela ?

La réponse se trouve dans la prière du chapitre 8 du premier livre des Rois. Cette prière est justement située au cœur du grand récit sur Salomon. Le Temple de Jérusalem vient d’être achevé. Dieu vient d’en prendre possession à travers la nuée qui en emplit tout l’espace, au point que les prêtres doivent sortir. Après cela, il revient au roi de prendre la parole au nom du peuple réuni et d’adresser une prière au Seigneur (1 R 8,30-61). La prière est entièrement formulée à partir de la notion de pardon. Salomon demande à Dieu de bien vouloir pardonner d’avance à son peuple ses manquements et de ne cesser de le protéger malgré ses éventuelles infidélités. Surtout, Salomon prononce une phrase bien courte, mais extrêmement pertinente :

« Il n’y a aucun humain qui ne pèche pas. » (1 R 8,46)

Cette phrase est autant empreinte de réalisme que de pessimisme anthropologique. Même le roi Salomon qui la prononce est et se sait pécheur. Mais le péché n’a pas le dessus, puisque le Seigneur est susceptible d’accorder son pardon. Le croyant le sait et ne désespère jamais de lui-même. Salomon a beau être le roi, il est pécheur. Conscient de cela, il s’en remet entièrement à son Dieu, sans s’approprier ni la royauté, ni la gloire, ni le pouvoir. Il est et reste véritablement sage malgré son péché. Le récit sur Salomon n’a rien perdu de son actualité, même trois mille ans plus tard!

Emanuelle Pastore

Pour en savoir plus

Salomon, Editions du Cerf, Collection Personnages de la Bible, 2025.