Comment faut-il entendre les deux affirmations : « vous êtes le sel de la terre» et « vous êtes la lumière du monde » ? Certainement pas dans un sens de supériorité ou de triomphalisme, mais plutôt comme une présence au monde simple et naturelle, car elle se mêle au plus ordinaire de la vie. Et pourtant, suffit-il de dire cela ? La vie dans la foi relève aussi de l’extraordinaire. Thérèse de Lisieux invitait à faire du plus ordinaire quelque chose d’extraordinaire. Commençons par relire ce texte:
« 13 “Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens. 14 “Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d’un mont. 15 Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16 Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Mt 5, 13‑16)
Cet évangile nous propose deux images de la vie chrétienne. « Vous êtes le sel de la terre » et « vous êtes la lumière du monde ». Ces deux éléments accompagnent notre vie quotidienne de telle manière que nous n’y prêtons peut-être plus attention. Prenons-les dans leur sens le plus immédiat. Notre vie est rythmée par des repas, lesquels sont tous assaisonnés par le sel. De même, notre journée se déroule au tempo de la lumière du soleil. L’évangile suggère que la présence chrétienne à notre monde soit du même ordre. Peut-être est-elle peu visible, peut-être le monde y prête-t-il peu d’attention et pourtant… la nourriture sans sel est difficilement mangeable et une journée sans soleil est plus dure à affronter.
Mais revenons à la formulation de l’Évangile. Littéralement, Jésus dit que le sel « qui devient fou » n’est plus apte à saler et est bon à être jeté et foulé aux pieds. Le registre est celui de la folie et – par conséquent – de la sagesse. Le chrétien serait-il appelé à être la sagesse du Christ dans le monde ? Ce serait devenir fou que d’être chrétien sans apporter cette petite touche de différence dans le monde qui nous entoure, cette saveur en plus, si commune, mais si essentielle. Soyons porteurs de la sagesse du Christ, messagers de la sagesse messianique, comme disait T. Kowalski.
La deuxième image évoquée est celle de la lampe. Qui aurait l’idée de la couvrir pour qu’elle n’éclaire plus si on l’a allumée précisément dans le but d’éclairer ? Une tradition pharisienne voulait qu’au moment de se coucher, on ne se changeât pas devant la lampe, de crainte que la lumière ne soit au contact de la nudité et ne devienne impure. Jésus renverse l’image pour exhorter les siens à devenir lumière pour le monde. C’est sans doute une manière de dire que le contact avec le monde ne rend pas impur ! On sait que cette question a fait l’objet de vifs débats au sein des premières communautés chrétiennes avant d’être peu à peu apaisée : un juif pouvait-il entrer sous le toit d’un païen et manger avec lui ? Les premiers chrétiens étaient majoritairement juifs et, par conséquent, règles de pureté/impureté constituaient un vrai problème qu’il fallait résoudre théologiquement.
L’exhortation à être sel de la terre et lumière du monde renvoie directement au mode de présence des baptisés au monde. Un ancien texte de la tradition de l’Eglise, la lettre à Diognète, offre une belle réflexion sur cette question et nous permet de conclure :
1. Car les Chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements.
2. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier.
3. Ce n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine.
4. Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.
5. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère.
6. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés.
7. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche.
8. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair.
9. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel.
10. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois.
13. Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre. Ils manquent de tout et ils surabondent en toutes choses.
Emanuelle Pastore
Comment faut-il entendre les deux affirmations : « vous êtes le sel de la terre» et « vous êtes la lumière du monde » ? Certainement pas dans un sens de supériorité ou de triomphalisme, mais plutôt comme une présence au monde simple et naturelle, car elle se mêle au plus ordinaire de la vie. Et pourtant, suffit-il de dire cela ? La vie dans la foi relève aussi de l’extraordinaire. Thérèse de Lisieux invitait à faire du plus ordinaire quelque chose d’extraordinaire. Commençons par relire ce texte:
« 13 “Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel vient à s’affadir, avec quoi le salera-t-on ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens. 14 “Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher, qui est sise au sommet d’un mont. 15 Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16 Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux. » (Mt 5, 13‑16)
Cet évangile nous propose deux images de la vie chrétienne. « Vous êtes le sel de la terre » et « vous êtes la lumière du monde ». Ces deux éléments accompagnent notre vie quotidienne de telle manière que nous n’y prêtons peut-être plus attention. Prenons-les dans leur sens le plus immédiat. Notre vie est rythmée par des repas, lesquels sont tous assaisonnés par le sel. De même, notre journée se déroule au tempo de la lumière du soleil. L’évangile suggère que la présence chrétienne à notre monde soit du même ordre. Peut-être est-elle peu visible, peut-être le monde y prête-t-il peu d’attention et pourtant… la nourriture sans sel est difficilement mangeable et une journée sans soleil est plus dure à affronter.
Mais revenons à la formulation de l’Évangile. Littéralement, Jésus dit que le sel « qui devient fou » n’est plus apte à saler et est bon à être jeté et foulé aux pieds. Le registre est celui de la folie et – par conséquent – de la sagesse. Le chrétien serait-il appelé à être la sagesse du Christ dans le monde ? Ce serait devenir fou que d’être chrétien sans apporter cette petite touche de différence dans le monde qui nous entoure, cette saveur en plus, si commune, mais si essentielle. Soyons porteurs de la sagesse du Christ, messagers de la sagesse messianique, comme disait T. Kowalski.
La deuxième image évoquée est celle de la lampe. Qui aurait l’idée de la couvrir pour qu’elle n’éclaire plus si on l’a allumée précisément dans le but d’éclairer ? Une tradition pharisienne voulait qu’au moment de se coucher, on ne se changeât pas devant la lampe, de crainte que la lumière ne soit au contact de la nudité et ne devienne impure. Jésus renverse l’image pour exhorter les siens à devenir lumière pour le monde. C’est sans doute une manière de dire que le contact avec le monde ne rend pas impur ! On sait que cette question a fait l’objet de vifs débats au sein des premières communautés chrétiennes avant d’être peu à peu apaisée : un juif pouvait-il entrer sous le toit d’un païen et manger avec lui ? Les premiers chrétiens étaient majoritairement juifs et, par conséquent, règles de pureté/impureté constituaient un vrai problème qu’il fallait résoudre théologiquement.
L’exhortation à être sel de la terre et lumière du monde renvoie directement au mode de présence des baptisés au monde. Un ancien texte de la tradition de l’Eglise, la lettre à Diognète, offre une belle réflexion sur cette question et nous permet de conclure :
1. Car les Chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements.
2. Ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier.
3. Ce n’est pas à l’imagination ou aux rêveries d’esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine.
4. Ils se répartissent dans les cités grecques et barbares suivant le lot échu à chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur république spirituelle.
5. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère.
6. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés.
7. Ils partagent tous la même table, mais non la même couche.
8. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair.
9. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel.
10. Ils obéissent aux lois établies et leur manière de vivre l’emporte en perfection sur les lois.
13. Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre. Ils manquent de tout et ils surabondent en toutes choses.
Emanuelle Pastore