Ce terme « tardemah » tend à évoquer un sommeil de nature inhabituelle, un état de surdité par rapport aux choses quotidiennes et proches, une chute à travers les niveaux de l’être jusqu’à cette profondeur où l’homme parvient à son origine et touche le centre ultime du réel : Dieu.
Son premier emploi se trouve en Genèse 2 :
« Alors le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur sur l’humain, qui s’endormit. Il prit un de ses côtés et referma la chair à sa place. Puis, du côté qu’il avait tiré de l’humain, le Seigneur Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. » (Gn 2,21‑22)
Nous comprenons tout d’abord qu’Adam ne participe en rien à la création de la femme, sortie entièrement des Mains de Dieu. Cette « tardemah », dont Adam est saisi, cette suspension des sens est semblable à une extase qui saisit Adam aux origines de l’humanité quand lui est révélé la présence et le mystère de la femme. « Celle-ci est vraiment la chair de ma chair… » (Gn 1,23)
Adam et Eve. France, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 226
Nous en rencontrons un second emploi en Genèse 15 :
« 5 Il conduisit Abram dehors et dit : “Lève les yeux au ciel et dénombre les étoiles si tu peux les dénombrer” et il lui dit : “Telle sera ta postérité.” 6 Abram crut en le Seigneur, qui le lui compta comme justice. 7 Il lui dit : “Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Ur des Chaldéens, pour te donner ce pays en possession.” 8 Abram répondit : “Mon Seigneur, à quoi saurai-je que je le posséderai ?” 9 Il lui dit : “Va me chercher une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et un pigeonneau.” 10 Il lui amena tous ces animaux, les partagea par le milieu et plaça chaque moitié vis-à-vis de l’autre ; cependant il ne partagea pas les oiseaux. 11 Les rapaces s’abattirent sur les cadavres, mais Abram les chassa. 12 Comme le soleil allait se coucher, une torpeur tomba sur Abram et voici qu’un grand effroi le saisit. […] 17 Quand le soleil fut couché et que les ténèbres s’étendirent, voici qu’un four fumant et un brandon de feu passèrent entre les animaux partagés. 18 Ce jour-là le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : A ta postérité je donne ce pays, du Fleuve d’Egypte jusqu’au Grand Fleuve, le fleuve d’Euphrate, » (Gn 15, 5‑12.17‑18)
Ce texte résonne étrangement à nos oreilles. L’événement rapporté par le texte appartient au centre de l’histoire du salut : il s’agit de la conclusion du pacte entre Dieu et Abraham. Au coucher du soleil, dit ce passage, Abraham fut saisi de « torpeur », « tardemah », mot que nous avons trouvé au moment où Dieu créait la femme, pendant qu’Adam dormait. C’est pendant cette « tardemah » qu’Abraham a contemplé les « magnalia » de Dieu, les grandes œuvres qu’il opère et qui sont la véritable histoire, et devant leur grandeur mystérieuse, son âme a défailli comme sous un poids trop lourd, plus lourd que l’homme charnel ne peut le contempler… une sorte d’extase le saisit, une terreur, une obscurité. (Gn 15, 12).
Un troisième personnage du Nouveau Testament cette fois, sera favorisé de cette « tardemah » : il s’agit de Joseph, l’époux de Marie, l’homme « juste », c’est-à-dire « ajusté » à Dieu, celui qui se situe respectueusement devant l’intervention de Dieu. Cette réaction est aussi celle des « justes » de l’Ancien Testament : celle de Moïse, lors de la théophanie ; celle des prophètes, Isaïe (6, 1-4)… Quand Dieu se manifeste et intervient dans l’histoire de l’homme, le «juste» se retire avec crainte, il recule devant la majesté de Dieu.
« Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit. » (Mt 1, 19)
Sachant que l’Esprit-Saint est ici à l’œuvre, Joseph s’est effacé devant le « mystère ». C’est par respect et par crainte religieuse devant le Mystère de Dieu que Joseph veut se retirer. Ainsi l’écrit saint Thomas d’Aquin : « Joseph voulut rendre à la Vierge sa liberté, non parce qu’il la soupçonnait d’adultère, mais par respect pour sa sainteté, il craignait d’aller habiter avec elle ».
Songe de Joseph. Basilique de saint Joseph, Nazaret. Photo: E. Pastore
Il faudra donc l’intervention de l’ange, à travers le « songe » (« tardemah ») pour que Joseph, en cette annonciation, comprenne que celle (Marie) qu’il était prêt à céder totalement à Dieu, lui était rendue : « Ne crains pas ! » : Dieu donne Marie à Joseph, comme il avait donné Eve à Adam, et ainsi réaliser la vocation d’Israël et de l’Église : apporter le Salut au monde.
Sr. Marie-Christophe Maillard
Ce terme « tardemah » tend à évoquer un sommeil de nature inhabituelle, un état de surdité par rapport aux choses quotidiennes et proches, une chute à travers les niveaux de l’être jusqu’à cette profondeur où l’homme parvient à son origine et touche le centre ultime du réel : Dieu.
Son premier emploi se trouve en Genèse 2 :
« Alors le Seigneur Dieu fit tomber une torpeur sur l’humain, qui s’endormit. Il prit un de ses côtés et referma la chair à sa place. Puis, du côté qu’il avait tiré de l’humain, le Seigneur Dieu façonna une femme et l’amena à l’homme. » (Gn 2,21‑22)
Nous comprenons tout d’abord qu’Adam ne participe en rien à la création de la femme, sortie entièrement des Mains de Dieu. Cette « tardemah », dont Adam est saisi, cette suspension des sens est semblable à une extase qui saisit Adam aux origines de l’humanité quand lui est révélé la présence et le mystère de la femme. « Celle-ci est vraiment la chair de ma chair… » (Gn 1,23)
Adam et Eve. France, Paris, Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 226
Nous en rencontrons un second emploi en Genèse 15 :
« 5 Il conduisit Abram dehors et dit : “Lève les yeux au ciel et dénombre les étoiles si tu peux les dénombrer” et il lui dit : “Telle sera ta postérité.” 6 Abram crut en le Seigneur, qui le lui compta comme justice. 7 Il lui dit : “Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Ur des Chaldéens, pour te donner ce pays en possession.” 8 Abram répondit : “Mon Seigneur, à quoi saurai-je que je le posséderai ?” 9 Il lui dit : “Va me chercher une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et un pigeonneau.” 10 Il lui amena tous ces animaux, les partagea par le milieu et plaça chaque moitié vis-à-vis de l’autre ; cependant il ne partagea pas les oiseaux. 11 Les rapaces s’abattirent sur les cadavres, mais Abram les chassa. 12 Comme le soleil allait se coucher, une torpeur tomba sur Abram et voici qu’un grand effroi le saisit. […] 17 Quand le soleil fut couché et que les ténèbres s’étendirent, voici qu’un four fumant et un brandon de feu passèrent entre les animaux partagés. 18 Ce jour-là le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : A ta postérité je donne ce pays, du Fleuve d’Egypte jusqu’au Grand Fleuve, le fleuve d’Euphrate, » (Gn 15, 5‑12.17‑18)
Ce texte résonne étrangement à nos oreilles. L’événement rapporté par le texte appartient au centre de l’histoire du salut : il s’agit de la conclusion du pacte entre Dieu et Abraham. Au coucher du soleil, dit ce passage, Abraham fut saisi de « torpeur », « tardemah », mot que nous avons trouvé au moment où Dieu créait la femme, pendant qu’Adam dormait. C’est pendant cette « tardemah » qu’Abraham a contemplé les « magnalia » de Dieu, les grandes œuvres qu’il opère et qui sont la véritable histoire, et devant leur grandeur mystérieuse, son âme a défailli comme sous un poids trop lourd, plus lourd que l’homme charnel ne peut le contempler… une sorte d’extase le saisit, une terreur, une obscurité. (Gn 15, 12).
Un troisième personnage du Nouveau Testament cette fois, sera favorisé de cette « tardemah » : il s’agit de Joseph, l’époux de Marie, l’homme « juste », c’est-à-dire « ajusté » à Dieu, celui qui se situe respectueusement devant l’intervention de Dieu. Cette réaction est aussi celle des « justes » de l’Ancien Testament : celle de Moïse, lors de la théophanie ; celle des prophètes, Isaïe (6, 1-4)… Quand Dieu se manifeste et intervient dans l’histoire de l’homme, le «juste» se retire avec crainte, il recule devant la majesté de Dieu.
« Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit. » (Mt 1, 19)
Sachant que l’Esprit-Saint est ici à l’œuvre, Joseph s’est effacé devant le « mystère ». C’est par respect et par crainte religieuse devant le Mystère de Dieu que Joseph veut se retirer. Ainsi l’écrit saint Thomas d’Aquin : « Joseph voulut rendre à la Vierge sa liberté, non parce qu’il la soupçonnait d’adultère, mais par respect pour sa sainteté, il craignait d’aller habiter avec elle ».
Songe de Joseph. Basilique de saint Joseph, Nazaret. Photo: E. Pastore
Il faudra donc l’intervention de l’ange, à travers le « songe » (« tardemah ») pour que Joseph, en cette annonciation, comprenne que celle (Marie) qu’il était prêt à céder totalement à Dieu, lui était rendue : « Ne crains pas ! » : Dieu donne Marie à Joseph, comme il avait donné Eve à Adam, et ainsi réaliser la vocation d’Israël et de l’Église : apporter le Salut au monde.
Sr. Marie-Christophe Maillard