Se mettre à l’écoute de l’Écriture
Si les événements bibliques sont exprimés dans une langue qui n’a pas de temps, ce fait ne nous invite-t-il pas à y chercher du sens ? « Ce n’est pas avec nos Pères que le Seigneur a conclu cette Alliance, mais avec nous, nous qui sommes aujourd’hui tous vivants. » (Dt 5,3). Pour la foi juive, toutes les générations du peuple d’Israël se trouvaient au pied du Sinaï lors du don de la Torah, et pas seulement celles qui venaient de sortir d’Egypte. Cela est rappelé au cours du repas pascal : « A chaque génération, chacun doit se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Egypte. » (Michna Pesahim). Par-delà l’histoire d’un peuple, ce qui est relaté dans la Bible, c’est l’Histoire de l’humanité-avec-Dieu (Ex 3,12-14), la révélation de l’homme de ce qu’il est : partenaire du Dieu vivant.
« 12 Dieu dit : “Je serai avec toi, et voici le signe qui te montrera que c’est moi qui t’ai envoyé. Quand tu feras sortir le peuple d’Égypte, vous servirez Dieu sur cette montagne.” 13 Moïse dit à Dieu : “Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. Mais s’ils me disent : Quel est son nom ? Que leur dirai-je ?” 14 Dieu dit à Moïse : “Je suis celui qui est.” Et il dit : “Voici ce que tu diras aux Israélites : Je suis m’a envoyé vers vous.” » (Ex 3,12‑14)
Car la Bible hébraïque est destinée à l’humanité entière. Livre de mémoire, en faisant l’inventaire des comportements de l’homme vis-à-vis de Dieu comme vis-à-vis de ses semblables elle permet à chacun de lire et de relire la trame de son existence. A son miroir, tout homme peut découvrir son propre visage et surtout connaître le chemin à suivre. La « forme inaccomplie » de l’hébreu annonce ce qui est déjà « accompli », et « l’accompli », ce qui reste à accomplir dans chaque existence.
Moïse dira aux Hébreux : « Vous n’avez vu aucune image, simplement une VOIX ». (Dt 4,15)
« La Voix de Dieu tonne merveilleusement, parce que, avec une force cachée, elle pénètre nos cœurs. Par des mouvements secrets, elle les presse dans la crainte, elle les modèle dans l’amour, elle leur crie en quelque sorte dans le silence qu’il faut avec ardeur le suivre. Il se produit alors dans notre esprit une irrésistible impulsion, tandis que la Voix continue d’être éloquente dans le silence. Elle est en nous d’autant plus pressante que l’oreille de notre cœur est rendue par elle plus sourde au tumulte extérieur. L’âme recueillie en elle-même admire ce que cette clameur intérieure fait entendre, et elle sent s’épancher en elle une componction qu’elle ne connaissait pas. » (Moralia in Job)
Mais cette voix a cette particularité de se faire « silence » pour rencontrer l’homme en son cœur profond… un « silence » d’une telle plénitude que Dieu devra éduquer le prophète à le reconnaître « dans un fin silence ». La voix d’un silence (demana en hébreu) subtil : le silence n’est pas vide mais rempli de la Présence divine. Dans ce silence, Elie reçoit de nouveau sa mission comme une confidence : revenir aux sources. (1 R 19,12). Quand la Parole de Dieu se fait « voix de fin silence », elle est plus efficace que jamais pour changer nos cœurs. L’ouragan du Mont Sinaï fendait les rochers, mais la parole silencieuse de Dieu est capable de briser les cœurs de pierre.
Désert du Sinaï, Egypte. Photo: BiblePlaces
Ainsi donc, la VOIX du Seigneur a cette particularité de porter la force, la présence, l’amour à leur incandescence, à ce feu tel que les pèlerins d’Emmaüs le décriront ainsi : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous expliquait les Ecritures… (Lc 24, 32)
« Après avoir à maintes reprises, et sous différentes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles. Resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance, ce Fils qui soutient l’univers par sa parole puissante… » (He 1, 1-3).
Le buisson ardent, Marc Chagall
Et quand il n’est pas reconnu et accueilli, Dieu passe outre, reprenant son chemin, comme celui qui pleure sur sa ville bien-aimée qui n’a pas compris le temps de sa visite : « Tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée ! » (Lc 19,44).
« Aujourd’hui, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples. » (Ex 19, 5)
Comment accéder à cet « aujourd’hui » ? En hébreu, le mot « teha » signifie à la fois « mot » et « boîte ». Chaque mot de l’Ecriture est donc une « boîte » qu’il faut ouvrir avec impatience et émerveillement. L’exégèse est donc une ouverture permanente : ouverture de la lettre et découverte du sens, ouverture de la lettre à l’Esprit, ouverture de notre vie à la Parole ; ainsi de découverte en découverte, nous allons jusqu’à la Source, nous devenons contemporains de la Parole : « Seigneur, à qui irions-nous ? tu as les paroles de la Vie éternelle ! » (Jn 6, 68) Pour nous, qui avons reçu dans le Verbe fait chair la plénitude de la Révélation, lorsque nous lisons l’Ecriture, nous accédons jusqu’à cet Aujourd’hui éternel dans lequel le Père engendre son unique Parole, son Fils.
Le Christ, Parole incarnée du Père
Relisons ce passage : « Leurs yeux étaient empêchés de le voir » (Luc 24,16) – deux hommes enfermés dans leur rêve de toute-puissance… Jésus se donne à VOIR, non pas une apparition, mais un itinéraire à parcourir pour découvrir une PERSONNE. Sinon, c’est la fuite en avant lorsque l’on ne sait pas lire l’événement. (v. 13) « Jésus leur dit : « Quelles choses ? » Jésus invite au mémorial, qui, seul permet de lire l’événement – sinon l’espérance est morte : « Nous espérions… » (v. 21) C’est la Parole qui éclaire l’histoire. Après l’événement en « paroles » (« il leur interpréta dans toute l’Ecriture tout ce qui le concernait » v. 27), fait suite l’événement en « gestes » : « ayant pris le pain, il le bénit, et l’ayant rompu, il le leur donna » (v. 30). « Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (v. 31). Le chrétien – comme les pèlerins d’Emmaüs – découvre qu’il doit habiter deux lieux : le lieu de la PAROLE et le lieu de la FRACTION du PAIN.
Sr. Marie-Christophe Maillard
Se mettre à l’écoute de l’Écriture
Si les événements bibliques sont exprimés dans une langue qui n’a pas de temps, ce fait ne nous invite-t-il pas à y chercher du sens ? « Ce n’est pas avec nos Pères que le Seigneur a conclu cette Alliance, mais avec nous, nous qui sommes aujourd’hui tous vivants. » (Dt 5,3). Pour la foi juive, toutes les générations du peuple d’Israël se trouvaient au pied du Sinaï lors du don de la Torah, et pas seulement celles qui venaient de sortir d’Egypte. Cela est rappelé au cours du repas pascal : « A chaque génération, chacun doit se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Egypte. » (Michna Pesahim). Par-delà l’histoire d’un peuple, ce qui est relaté dans la Bible, c’est l’Histoire de l’humanité-avec-Dieu (Ex 3,12-14), la révélation de l’homme de ce qu’il est : partenaire du Dieu vivant.
« 12 Dieu dit : “Je serai avec toi, et voici le signe qui te montrera que c’est moi qui t’ai envoyé. Quand tu feras sortir le peuple d’Égypte, vous servirez Dieu sur cette montagne.” 13 Moïse dit à Dieu : “Voici, je vais trouver les Israélites et je leur dis : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. Mais s’ils me disent : Quel est son nom ? Que leur dirai-je ?” 14 Dieu dit à Moïse : “Je suis celui qui est.” Et il dit : “Voici ce que tu diras aux Israélites : Je suis m’a envoyé vers vous.” » (Ex 3,12‑14)
Car la Bible hébraïque est destinée à l’humanité entière. Livre de mémoire, en faisant l’inventaire des comportements de l’homme vis-à-vis de Dieu comme vis-à-vis de ses semblables elle permet à chacun de lire et de relire la trame de son existence. A son miroir, tout homme peut découvrir son propre visage et surtout connaître le chemin à suivre. La « forme inaccomplie » de l’hébreu annonce ce qui est déjà « accompli », et « l’accompli », ce qui reste à accomplir dans chaque existence.
Moïse dira aux Hébreux : « Vous n’avez vu aucune image, simplement une VOIX ». (Dt 4,15)
« La Voix de Dieu tonne merveilleusement, parce que, avec une force cachée, elle pénètre nos cœurs. Par des mouvements secrets, elle les presse dans la crainte, elle les modèle dans l’amour, elle leur crie en quelque sorte dans le silence qu’il faut avec ardeur le suivre. Il se produit alors dans notre esprit une irrésistible impulsion, tandis que la Voix continue d’être éloquente dans le silence. Elle est en nous d’autant plus pressante que l’oreille de notre cœur est rendue par elle plus sourde au tumulte extérieur. L’âme recueillie en elle-même admire ce que cette clameur intérieure fait entendre, et elle sent s’épancher en elle une componction qu’elle ne connaissait pas. » (Moralia in Job)
Mais cette voix a cette particularité de se faire « silence » pour rencontrer l’homme en son cœur profond… un « silence » d’une telle plénitude que Dieu devra éduquer le prophète à le reconnaître « dans un fin silence ». La voix d’un silence (demana en hébreu) subtil : le silence n’est pas vide mais rempli de la Présence divine. Dans ce silence, Elie reçoit de nouveau sa mission comme une confidence : revenir aux sources. (1 R 19,12). Quand la Parole de Dieu se fait « voix de fin silence », elle est plus efficace que jamais pour changer nos cœurs. L’ouragan du Mont Sinaï fendait les rochers, mais la parole silencieuse de Dieu est capable de briser les cœurs de pierre.
Désert du Sinaï, Egypte. Photo: BiblePlaces
Ainsi donc, la VOIX du Seigneur a cette particularité de porter la force, la présence, l’amour à leur incandescence, à ce feu tel que les pèlerins d’Emmaüs le décriront ainsi : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, quand il nous expliquait les Ecritures… (Lc 24, 32)
« Après avoir à maintes reprises, et sous différentes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles. Resplendissement de sa gloire, effigie de sa substance, ce Fils qui soutient l’univers par sa parole puissante… » (He 1, 1-3).
Le buisson ardent, Marc Chagall
Et quand il n’est pas reconnu et accueilli, Dieu passe outre, reprenant son chemin, comme celui qui pleure sur sa ville bien-aimée qui n’a pas compris le temps de sa visite : « Tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée ! » (Lc 19,44).
« Aujourd’hui, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples. » (Ex 19, 5)
Comment accéder à cet « aujourd’hui » ? En hébreu, le mot « teha » signifie à la fois « mot » et « boîte ». Chaque mot de l’Ecriture est donc une « boîte » qu’il faut ouvrir avec impatience et émerveillement. L’exégèse est donc une ouverture permanente : ouverture de la lettre et découverte du sens, ouverture de la lettre à l’Esprit, ouverture de notre vie à la Parole ; ainsi de découverte en découverte, nous allons jusqu’à la Source, nous devenons contemporains de la Parole : « Seigneur, à qui irions-nous ? tu as les paroles de la Vie éternelle ! » (Jn 6, 68) Pour nous, qui avons reçu dans le Verbe fait chair la plénitude de la Révélation, lorsque nous lisons l’Ecriture, nous accédons jusqu’à cet Aujourd’hui éternel dans lequel le Père engendre son unique Parole, son Fils.
Le Christ, Parole incarnée du Père
Relisons ce passage : « Leurs yeux étaient empêchés de le voir » (Luc 24,16) – deux hommes enfermés dans leur rêve de toute-puissance… Jésus se donne à VOIR, non pas une apparition, mais un itinéraire à parcourir pour découvrir une PERSONNE. Sinon, c’est la fuite en avant lorsque l’on ne sait pas lire l’événement. (v. 13) « Jésus leur dit : « Quelles choses ? » Jésus invite au mémorial, qui, seul permet de lire l’événement – sinon l’espérance est morte : « Nous espérions… » (v. 21) C’est la Parole qui éclaire l’histoire. Après l’événement en « paroles » (« il leur interpréta dans toute l’Ecriture tout ce qui le concernait » v. 27), fait suite l’événement en « gestes » : « ayant pris le pain, il le bénit, et l’ayant rompu, il le leur donna » (v. 30). « Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (v. 31). Le chrétien – comme les pèlerins d’Emmaüs – découvre qu’il doit habiter deux lieux : le lieu de la PAROLE et le lieu de la FRACTION du PAIN.
Sr. Marie-Christophe Maillard