La fête de Pentecôte est l’occasion de s’interroger sur la manière dont l’Esprit est à l’œuvre dans les textes sacrés. La Bible contient la Parole de Dieu. Pourtant, cela ne saute pas toujours aux yeux, surtout lorsqu’on se trouve face à des textes présentant un Dieu violent ou sanguinaire, lorsque certaines pratiques archaïques sont préconisées… Alors, où est Dieu dans tout cela? Que faut-il comprendre par « livre inspiré »
Les scribes qui, au fil des siècles, ont écrit, recopié, réécrit, parfois modifié les textes bibliques, ont-ils eu une révélation divine avant de se mettre à écrire? Dieu leur a-t-il dicté ce qu’il fallait écrire? Certainement pas. Alors ont-ils tiré de leur propre sagesse humaine ce qu’ils ont écrit? La Bible n’est-elle qu’un livre comme les autres? Certainement pas non plus. De fait, une lecture chrétienne veille à tenir ensemble les deux bouts: la Bible est à la fois humaine et à la fois divine: 100% humaine et 100% divine. Pas 50 et 50, mais 100% de chaque composante. Impossible de faire la part de Dieu et la part des hommes dans la Bible.
D’un côté:
Pour composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il a eu recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. (Dei Verbum 11)
De l’autre côté:
Les réalités divinement révélées, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y ont été consignées sous l’inspiration de l’Esprit Saint. (Dei Verbum 11)
Cela signifie que Dieu n’est pas passé au-dessus de l’humanité des écrivains, ni au-dessous, mais en eux! In-spirare, signifie « souffler dedans ». Dieu passe à travers, un peu comme l’haleine de vie que Dieu insuffla au premier humain, lors de sa création, en Genèse 2.
Parole d’homme
Le fait que la Bible soit tout de Dieu et tout de l’homme a plusieurs implications. Tout d’abord, la parole humaine qui est transmise dans tout texte biblique doit être lue à la lumière du contexte dans lequel elle a été formulée, sans quoi on risque de faire d’énormes contre-sens. Cela implique de prendre le temps de lire quelques explications sur l’époque et le lieu dans lesquels chaque texte a été produit, mais aussi sur le genre littéraire employé dans chaque texte. On ne peut lire un code de loi comme on lit de la poésie. On ne peut lire un oracle prophétique comme on lit un récit fictif. On ne peut lire une prière comme on lit des annales royales.
Dans une bibliothèque aussi vaste que la Bible, il est normal de trouver des textes de genres très divers :
-
Les récits des origines : ils disent la conviction des écrivains concernant l’origine du monde et la place de l’homme dans l’univers. Exemple : Genèse 1-11.
-
Les récits légendaires : ils s’intéressent aux origines d’un peuple ou d’une dynastie au travers de récits qui mêlent souvenirs du passé et contes populaires. Exemple : l’histoire de Samson (Jg 13-16).
-
Les récits épiques : ils racontent le passé dans un style destiné à provoquer enthousiasme et admiration. Exemple : la sortie d’Égypte dans le livre de l’Exode.
-
Les textes législatifs : ils organisent la vie commune du peuple. Exemple : Deutéronome 12-26.
-
Les textes liturgiques : ils organisent la vie cultuelle. Exemple : le rituel de la Pâque (Ex 12, 1-14).
-
Les chants liturgiques : les Psaumes, en particulier, sont le recueil de chants du Temple de Jérusalem.
-
Les oracles des prophètes : ce sont les paroles où les prophètes se font les interprètes de la Parole de Dieu (« Ainsi parle le Seigneur… »). Exemple: Ézéchiel 34.
-
Les écrits de sagesse : ils sont l’expression de la réflexion des sages sur les grandes questions humaines : la vie, la mort, le bonheur, le malheur, le travail, l’éducation, etc. Exemple : Proverbes 3.
De plus, il n’est pas permis d’appliquer certaines pratiques anciennes à notre vie actuelle sans avoir interprété le texte, au risque de tomber dans une lecture fondamentaliste. ce serait ignorer « l’humanité* des écrits biblique que de vouloir y chercher des recettes valables en tout temps et en tout lieu. Il faut donc INTERPRETER les textes bibliques pour pouvoir y écouter et y discerner la Parole de Dieu.
Parole de Dieu
Parce que ces textes sont inspirés, ils peuvent délivrer un message sur Dieu. Il y a donc une certaine dimension divine des Écritures bibliques. Mais attention, la Bible n’a pas de pouvoir magique!
Les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les Lettres sacrées pour notre salut. (Dei Verbum 11)
Parce qu’elle est écrite par des croyants pour des communautés de croyants, parce ce sont des croyants qui ouvrent et lisent ensemble la Bible, la Bible tout entière peut leur parler de Dieu. « Lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom », dit Jésus, « je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20). On ne peut accéder à la juste compréhension des textes bibliques que si on les lit dans le même Esprit qui les a écrits.
Cela signifie que l’inspiration se situe des deux côtés: à la fois du côté de celui qui écrit et à la fois du côté de ceux qui lisent ces textes. L’inspiration n’est pas l’apanage des rédacteurs bibliques! Lire la Bible en Église, en tant que baptisés et disciples du Christ, nous inspire aussi une meilleure connaissance de Dieu! Parce que la Bible est inspirée, elle peut être inspirante pour nous. C’est d’ailleurs ce critère fondamental qui explique que certains livres aient été reconnus comme inspirés, tandis que d’autres non. Ceux-là n’ont pas été intégrés dans le canon de notre Bible, on les appelle « apocryphes », c’est-à-dire « qui doivent restés cachés », afin de ne pas être lus.
Dimension humano-divine des écrits bibliques
Cette dimension humaine et divine des Écrits bibliques est merveilleusement illustrés dans deux peintures successives du Caravage. La première ayant été refusée, le peintre a du en proposer une deuxième.
Le Caravage chercha à rendre ce qu’avait pu être un pauvre et vieux travailleur, placé tout à coup devant la rude tâche de faire, par écrit, le récit d’événements solennels. Il peignit par conséquent son saint Matthieu chauve, jambes nues, manches retroussées, les pieds couverts de poussière, serrant gauchement contre lui le livre vierge, fronçant les sourcils, concentré laborieusement dans un effort qui ne lui est pas familier.
Le tableau, destiné à orner l’autel de l’église Saint Louis des Français à Rome, a été refusé par ses commanditaires en raison de l’excessive humanité de l’évangéliste et de l’ange. En effet, Matthieu semble très maladroit, peu apte à la tâche qui est la sienne. Il croise les jambes avec une telle désinvolture qu’elle a semblée inappropriée pour un saint homme. Surtout, le corps du vieil homme et celui du jeune ange sont trop rapprochés, l’attitude même de l’ange apparaissant comme sensuelle. D’autant plus que les deux personnages apparaissent déchaussés, ce qui ne pouvait convenir à leur rang.
Surtout, une autre raison, plus théologique, cette fois, explique également le refus du tableau. L’ange tient et conduit la main de l’évangéliste, comme si l’œuvre qui était en train de s’écrire se faisait sans Matthieu, comme si Matthieu ne comprenait pas ce qu’il est en train d’écrire. Comme on l’a dit plus haut, l’inspiration de la Bible ne doit pas être comprise comme une révélation divine, mais comme une œuvre qui est à la fois de l’homme et de Dieu. La peinture ne rend pas compte de cela.
Ecartée, l’œuvre trouva aussitôt acquéreur en la personne de Vincenzo Giustiniani, le banquier génois des papes qui possédait un palais situé juste en face de l’Eglise. Le tableau a ensuite été emporté à Berlin. Conservé au Kaiser-Friedrich-Museum, il a été détruit en 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aucune reproduction colorée de cette huile monumentale (232 x 183 cm) n’existe pour cette raison.
Notre peintre dut donc se remettre au travail. La même année, il en produit un deuxième et nouvel exemplaire.
Avec cette seconde version, la dimension humaine de la scène est amoindrie. L’évangéliste semble être un homme digne et cultivé, à la hauteur de sa tache. Surtout, l’ange ne téléguide plus sa main, mais l’inspire d’en haut. L’humanité et la divinité des écritures sont parfaitement honorées. Le tableau a été accepté. Il se trouve aujourd’hui encore dans l’église saint Louis des Français, à Rome.
Emanuelle Pastore
La fête de Pentecôte est l’occasion de s’interroger sur la manière dont l’Esprit est à l’œuvre dans les textes sacrés. La Bible contient la Parole de Dieu. Pourtant, cela ne saute pas toujours aux yeux, surtout lorsqu’on se trouve face à des textes présentant un Dieu violent ou sanguinaire, lorsque certaines pratiques archaïques sont préconisées… Alors, où est Dieu dans tout cela? Que faut-il comprendre par « livre inspiré »
Les scribes qui, au fil des siècles, ont écrit, recopié, réécrit, parfois modifié les textes bibliques, ont-ils eu une révélation divine avant de se mettre à écrire? Dieu leur a-t-il dicté ce qu’il fallait écrire? Certainement pas. Alors ont-ils tiré de leur propre sagesse humaine ce qu’ils ont écrit? La Bible n’est-elle qu’un livre comme les autres? Certainement pas non plus. De fait, une lecture chrétienne veille à tenir ensemble les deux bouts: la Bible est à la fois humaine et à la fois divine: 100% humaine et 100% divine. Pas 50 et 50, mais 100% de chaque composante. Impossible de faire la part de Dieu et la part des hommes dans la Bible.
D’un côté:
Pour composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il a eu recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. (Dei Verbum 11)
De l’autre côté:
Les réalités divinement révélées, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y ont été consignées sous l’inspiration de l’Esprit Saint. (Dei Verbum 11)
Cela signifie que Dieu n’est pas passé au-dessus de l’humanité des écrivains, ni au-dessous, mais en eux! In-spirare, signifie « souffler dedans ». Dieu passe à travers, un peu comme l’haleine de vie que Dieu insuffla au premier humain, lors de sa création, en Genèse 2.
Parole d’homme
Le fait que la Bible soit tout de Dieu et tout de l’homme a plusieurs implications. Tout d’abord, la parole humaine qui est transmise dans tout texte biblique doit être lue à la lumière du contexte dans lequel elle a été formulée, sans quoi on risque de faire d’énormes contre-sens. Cela implique de prendre le temps de lire quelques explications sur l’époque et le lieu dans lesquels chaque texte a été produit, mais aussi sur le genre littéraire employé dans chaque texte. On ne peut lire un code de loi comme on lit de la poésie. On ne peut lire un oracle prophétique comme on lit un récit fictif. On ne peut lire une prière comme on lit des annales royales.
Dans une bibliothèque aussi vaste que la Bible, il est normal de trouver des textes de genres très divers :
-
Les récits des origines : ils disent la conviction des écrivains concernant l’origine du monde et la place de l’homme dans l’univers. Exemple : Genèse 1-11.
-
Les récits légendaires : ils s’intéressent aux origines d’un peuple ou d’une dynastie au travers de récits qui mêlent souvenirs du passé et contes populaires. Exemple : l’histoire de Samson (Jg 13-16).
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Les récits épiques : ils racontent le passé dans un style destiné à provoquer enthousiasme et admiration. Exemple : la sortie d’Égypte dans le livre de l’Exode.
-
Les textes législatifs : ils organisent la vie commune du peuple. Exemple : Deutéronome 12-26.
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Les textes liturgiques : ils organisent la vie cultuelle. Exemple : le rituel de la Pâque (Ex 12, 1-14).
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Les chants liturgiques : les Psaumes, en particulier, sont le recueil de chants du Temple de Jérusalem.
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Les oracles des prophètes : ce sont les paroles où les prophètes se font les interprètes de la Parole de Dieu (« Ainsi parle le Seigneur… »). Exemple: Ézéchiel 34.
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Les écrits de sagesse : ils sont l’expression de la réflexion des sages sur les grandes questions humaines : la vie, la mort, le bonheur, le malheur, le travail, l’éducation, etc. Exemple : Proverbes 3.
De plus, il n’est pas permis d’appliquer certaines pratiques anciennes à notre vie actuelle sans avoir interprété le texte, au risque de tomber dans une lecture fondamentaliste. ce serait ignorer « l’humanité* des écrits biblique que de vouloir y chercher des recettes valables en tout temps et en tout lieu. Il faut donc INTERPRETER les textes bibliques pour pouvoir y écouter et y discerner la Parole de Dieu.
Parole de Dieu
Parce que ces textes sont inspirés, ils peuvent délivrer un message sur Dieu. Il y a donc une certaine dimension divine des Écritures bibliques. Mais attention, la Bible n’a pas de pouvoir magique!
Les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée dans les Lettres sacrées pour notre salut. (Dei Verbum 11)
Parce qu’elle est écrite par des croyants pour des communautés de croyants, parce ce sont des croyants qui ouvrent et lisent ensemble la Bible, la Bible tout entière peut leur parler de Dieu. « Lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom », dit Jésus, « je suis là au milieu d’eux » (Mt 18,20). On ne peut accéder à la juste compréhension des textes bibliques que si on les lit dans le même Esprit qui les a écrits.
Cela signifie que l’inspiration se situe des deux côtés: à la fois du côté de celui qui écrit et à la fois du côté de ceux qui lisent ces textes. L’inspiration n’est pas l’apanage des rédacteurs bibliques! Lire la Bible en Église, en tant que baptisés et disciples du Christ, nous inspire aussi une meilleure connaissance de Dieu! Parce que la Bible est inspirée, elle peut être inspirante pour nous. C’est d’ailleurs ce critère fondamental qui explique que certains livres aient été reconnus comme inspirés, tandis que d’autres non. Ceux-là n’ont pas été intégrés dans le canon de notre Bible, on les appelle « apocryphes », c’est-à-dire « qui doivent restés cachés », afin de ne pas être lus.
Dimension humano-divine des écrits bibliques
Cette dimension humaine et divine des Écrits bibliques est merveilleusement illustrés dans deux peintures successives du Caravage. La première ayant été refusée, le peintre a du en proposer une deuxième.
Le Caravage chercha à rendre ce qu’avait pu être un pauvre et vieux travailleur, placé tout à coup devant la rude tâche de faire, par écrit, le récit d’événements solennels. Il peignit par conséquent son saint Matthieu chauve, jambes nues, manches retroussées, les pieds couverts de poussière, serrant gauchement contre lui le livre vierge, fronçant les sourcils, concentré laborieusement dans un effort qui ne lui est pas familier.
Le tableau, destiné à orner l’autel de l’église Saint Louis des Français à Rome, a été refusé par ses commanditaires en raison de l’excessive humanité de l’évangéliste et de l’ange. En effet, Matthieu semble très maladroit, peu apte à la tâche qui est la sienne. Il croise les jambes avec une telle désinvolture qu’elle a semblée inappropriée pour un saint homme. Surtout, le corps du vieil homme et celui du jeune ange sont trop rapprochés, l’attitude même de l’ange apparaissant comme sensuelle. D’autant plus que les deux personnages apparaissent déchaussés, ce qui ne pouvait convenir à leur rang.
Surtout, une autre raison, plus théologique, cette fois, explique également le refus du tableau. L’ange tient et conduit la main de l’évangéliste, comme si l’œuvre qui était en train de s’écrire se faisait sans Matthieu, comme si Matthieu ne comprenait pas ce qu’il est en train d’écrire. Comme on l’a dit plus haut, l’inspiration de la Bible ne doit pas être comprise comme une révélation divine, mais comme une œuvre qui est à la fois de l’homme et de Dieu. La peinture ne rend pas compte de cela.
Ecartée, l’œuvre trouva aussitôt acquéreur en la personne de Vincenzo Giustiniani, le banquier génois des papes qui possédait un palais situé juste en face de l’Eglise. Le tableau a ensuite été emporté à Berlin. Conservé au Kaiser-Friedrich-Museum, il a été détruit en 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aucune reproduction colorée de cette huile monumentale (232 x 183 cm) n’existe pour cette raison.
Notre peintre dut donc se remettre au travail. La même année, il en produit un deuxième et nouvel exemplaire.
Avec cette seconde version, la dimension humaine de la scène est amoindrie. L’évangéliste semble être un homme digne et cultivé, à la hauteur de sa tache. Surtout, l’ange ne téléguide plus sa main, mais l’inspire d’en haut. L’humanité et la divinité des écritures sont parfaitement honorées. Le tableau a été accepté. Il se trouve aujourd’hui encore dans l’église saint Louis des Français, à Rome.
Emanuelle Pastore