Le verbe « veiller » ne va cesser de résonner à travers de multiples échos en ce temps de l’Avent. Mais qu’est-ce que ce verbe signifie vraiment ? Cela revient-il à adopter une attitude passive? Ou, au contraire, ce verbe invite-t-il déjà à se mettre en marche, comme les mages qui se dirigent vers la Judée? Contemplation et action constituent certainement une double invitation à l’approche de Noël.

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La venue des mages, Paul Hey

 

Toute la liturgie de l’Avent est articulée autour du verbe « veiller », en vue de Noël, en vue du mystère de l’Incarnation. Pour saint Paul, veiller signifie le contraire de dormir :

C’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière. (Rm 13,11-12)

De même, les évangiles nous invitent à ne pas somnoler, car le plus beau est sur le point d’arriver. Il ne faudrait pas le rater:

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! » (Mc 13,33-37)

Nous nous préparons à célébrer Noël. Le temps de l’adventus nous pousse à regarder en avant avec les yeux grands ouverts sur ce qui vient. D’emblée nous sommes inscrits dans le registre de l’espérance et de l’attente, de l’attente de l’histoire à venir ! Noël ne relève donc pas du simple registre d’une commémoration. Noël, comme chaque étape du temps liturgique, n’est pas un simple souvenir du passé. Nous ne fêtons pas « l’anniversaire » de la naissance du sauveur ! Le temps liturgique a beaucoup plus d’épaisseur que cela. Il renferme non seulement le passé, mais également notre présent, ainsi que l’espérance de ce qui est encore à venir.

Saint Bernard décline ce « volume » du temps en trois moments ou trois venues du Seigneur :

« Nous savons qu’il y a une triple venue du Seigneur. ~ La troisième se situe entre les deux autres. ~ Celles-ci, en effet, sont manifestes, celle-là, non. Dans sa première venue, il a paru sur la terre et il a vécu avec les hommes, lorsque — comme lui-même en témoigne — ils l’ont vu et l’ont pris en haine. Mais lors de sa dernière venue, toute chair verra le salut de notre Dieu et ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé. La venue intermédiaire, elle, est cachée : les élus seuls la voient au fond d’eux-mêmes, et leur âme est sauvée. Ainsi il est venu d’abord dans la chair et la faiblesse ; puis, dans l’entre-deux, il vient en esprit et en puissance ; enfin il viendra dans la gloire et la majesté. ~ Cette venue intermédiaire est vraiment comme la voie par laquelle on passe de la première à la dernière : dans la première le Christ fut notre rédemption, dans la dernière il apparaîtra comme notre vie, et entre temps il est notre repos et notre consolation. » (Sermon de saint Bernard pour l’Avent, Lecture patristique du mercredi I de l’avent)

Saint Bernard nous fait donc d’abord tourner notre regard vers le passé, puis vers le présent dans lequel le Seigneur vient à notre rencontre, et enfin vers le futur dans l’attente de son retour en gloire. Il y a donc trois venues du Christ. Détaillons chacune d’elles :

1 Noël, un événement de l’histoire…

Noël est d’abord un événement de l’histoire des hommes. Dieu qui transcende le temps, nous disons qu’il vient, qu’il entre dans notre temps. Mystère immense. C’est cela Noël ! C’est un acte de Dieu qui s’insère dans la trame du réel historique. D’où l’importance des généalogies du Christ dans les évangiles de Matthieu et de Luc. Elles nous paraissent ennuyeuses et rébarbatives, mais il faudrait arriver à les savourer, à les entendre sans lassitude, car elles nous disent in fine qu’il entre dans la chair : la chair d’Israël, la chair du Christ, la chair du messie. Il entre dans un calendrier : « Dans les jours d’Hérode », dit l’évangile. C’est cela que rappelle l’annonce solennelle de la naissance historique du Sauveur que nous lisons traditionnellement en la nuit de Noël :

De nombreux siècles écoulés depuis que Dieu a créé le ciel et la terre et depuis qu’il a fait l’homme à son image et à sa ressemblance ; de nombreux siècles se sont également écoulés depuis la fin du déluge, et que le Très haut a fait resplendir l’Arc-en-ciel comme preuve d’alliance et de paix ; Vingt et un siècles après la naissance d’Abraham, note père ; treize siècles après qu’Israël soit sorti d’Égypte, guidé par Moïse, près de mille ans après que David ait reçu l’onction royale ; pendant la soixante cinquième semaine de la prophétie de Daniel ; Au temps de la cent quatre-vingt quinzième Olympiade ; l’année sept cent cinquante-deux de la fondation de Rome, l’an quarante-deux de l’empire de César Octave Auguste ; et en la sixième ère du monde, alors que la paix régnait sur toute la terre, Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils éternel du Père, voulant consacrer le monde par sa sainte venue, fut conçu par l’œuvre de l’Esprit Saint et, après neuf mois, naquit à Bethléem de Juda, de la Vierge Marie, comme homme véritable. Naissance de notre Seigneur Jésus-Christ selon la nature humaine.

Noël c’est faire mémoire de cette extraordinaire césure à l’intérieur de l’histoire du monde. C’est cette mémoire qui est marquée à chaque angélus. Il est capital de maintenir le réalisme de cet événement, sinon nous serions dans de la mythologie.

2 … qui s’actualise dans notre présent, aujourd’hui

Le propre de l’incarnation est que c’est un événement de Dieu, donc d’un passé qui ne passe pas, à la différence des événements de l’histoire humaine. Alors, il ne s’agit pas seulement de « se souvenir », mais il s’agit d’une actualité totale : aujourd’hui, le Christ naît dans notre humanité et dans le cœur de celui qui le célèbre. Les homélies anciennes ne se lassaient pas de le redire : « S’il ne naît pas aujourd’hui en nos cœurs, il est né en vain. » D’ailleurs, le jour de Pâques, dans la liturgie, le mot « aujourd’hui » (hodie) résonne à plusieurs reprises.

« Tout en célébrant ainsi les mystères de la Rédemption, elle l’Église ouvre aux fidèles les richesses de la puissance et des mérites de son Seigneur ; de la sorte, ces mystères sont en quelque manière rendus présents tout au long du temps, les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis par la grâce du salut. » (Sacrosanctum Concilium, n°102)

La première venue du Christ dans la chair et dont nous faisons mémoire aujourd’hui déjà nous plonge dans un mystère sans borne : « Il s’agit de comprendre comment vient celui qui est toujours présent » (Grégoire de Nazianze).

À propos de l’aujourd’hui de la venue du Seigneur, relisons ce beau texte de Maxime le Confesseur :

« La naissance dans la chair du Verbe de Dieu n’a eu lieu qu’une seule fois ; mais sa naissance selon l’esprit se produit sans cesse, ainsi qu’il le désire, chez ceux qui eux aussi le désirent, à cause de sa bonté envers les hommes. Il devient un enfant, qui s’adapte à leurs capacités, et il se manifeste dans la mesure où celui qui le reçoit est capable de lui faire place. C’est sans aucune amertume qu’il réduit l’apparence de sa véritable grandeur : il se conforme à la mesure dont ceux qui désirent le voir sont capables. Ainsi le Verbe de Dieu se manifeste toujours de façon adaptée à ceux qui participent à lui, mais il demeure toujours invisible à tous, parce que son mystère est au-delà de tout. C’est pourquoi le divin Apôtre parle avec sagesse lorsqu’il dit, en considérant la force du mystère : Jésus Christ est le même, hier et aujourd’hui ; il le sera pour l’éternité. Il veut dire que son mystère est toujours nouveau ; il ne vieillit jamais parce qu’il ne peut être embrassé par aucun esprit. » (Maxime le Confesseur, Enturies)

3 … et qui fait appel du futur

Sans doute s’agit-il de la dimension du temps liturgique dont nous avons le moins conscience. Attendons-nous véritablement sa venue glorieuse et définitive à la fin des temps ? D’une attente consciente et ardente ? L’anamnèse de chaque messe – que nous avons peut-être l’habitude de réciter sans y prêter attention – ne nous fait pas dire autre chose : « Nous attendons ta venue dans la gloire. » Proclamer et attendre son retour doivent caractériser le veilleur. Maranatha, lit-on dans le livre de l’Apocalypse, en sa dernière page. L’ensemble des Écritures bibliques se termine – sans se terminer vraiment, du coup – sur cette apostrophe dirigée à Jésus : « Viens ! »

Dans le temps liturgique, tout est donné, mais sans que tout soit encore dévoilé. Nous ne sommes pas encore dans le temps de tous les achèvements. Bien sûr, il y a de l’achèvement – « Tout est accompli », dit Jésus -, mais un achèvement qui est aussi en attente de la plénitude de l’accomplissement :

« Car notre salut est objet d’espérance ; et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer : ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance. » (Rm 8,24‑25)

En d’autres termes, nous sommes invités à vivre sous le mode de la mémoire et de l’espérance et toute la création vit sous ce double mode. A la fois, les Écritures s’accomplissent (mémoire), comme l’exprime Siméon :

« “Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël.” » (Lc 2, 29‑32)

Et à la fois, nous sommes dans l’attente de la gloire dans la parousie (espérance).

Donc une invitation à vivre dans le double exercice de la mémoire et de l’espérance. Sans mémoire, Noël est indéchiffrable ou alors elle prend un sens au rabais. Et sans espérance, la fête devient vaine. Si on n’a pas l’horizon de la troisième venue, on est enfermé dans une histoire qui remâche les grands souvenirs du passé, une histoire qui est faite de nostalgie et d’émotion, mais à quoi cela mène-t-il si tout cela n’est pas aimanté par l’espérance finale du retour du Christ ?

Le verbe « veiller » ne va cesser de résonner à travers de multiples échos en ce temps de l’Avent. Mais qu’est-ce que ce verbe signifie vraiment ? Cela revient-il à adopter une attitude passive? Ou, au contraire, ce verbe invite-t-il déjà à se mettre en marche, comme les mages qui se dirigent vers la Judée? Contemplation et action constituent certainement une double invitation à l’approche de Noël.

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La venue des mages, Paul Hey

 

Toute la liturgie de l’Avent est articulée autour du verbe « veiller », en vue de Noël, en vue du mystère de l’Incarnation. Pour saint Paul, veiller signifie le contraire de dormir :

C’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière. (Rm 13,11-12)

De même, les évangiles nous invitent à ne pas somnoler, car le plus beau est sur le point d’arriver. Il ne faudrait pas le rater:

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. C’est comme un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et demandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin ; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! » (Mc 13,33-37)

Nous nous préparons à célébrer Noël. Le temps de l’adventus nous pousse à regarder en avant avec les yeux grands ouverts sur ce qui vient. D’emblée nous sommes inscrits dans le registre de l’espérance et de l’attente, de l’attente de l’histoire à venir ! Noël ne relève donc pas du simple registre d’une commémoration. Noël, comme chaque étape du temps liturgique, n’est pas un simple souvenir du passé. Nous ne fêtons pas « l’anniversaire » de la naissance du sauveur ! Le temps liturgique a beaucoup plus d’épaisseur que cela. Il renferme non seulement le passé, mais également notre présent, ainsi que l’espérance de ce qui est encore à venir.

Saint Bernard décline ce « volume » du temps en trois moments ou trois venues du Seigneur :

« Nous savons qu’il y a une triple venue du Seigneur. ~ La troisième se situe entre les deux autres. ~ Celles-ci, en effet, sont manifestes, celle-là, non. Dans sa première venue, il a paru sur la terre et il a vécu avec les hommes, lorsque — comme lui-même en témoigne — ils l’ont vu et l’ont pris en haine. Mais lors de sa dernière venue, toute chair verra le salut de notre Dieu et ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé. La venue intermédiaire, elle, est cachée : les élus seuls la voient au fond d’eux-mêmes, et leur âme est sauvée. Ainsi il est venu d’abord dans la chair et la faiblesse ; puis, dans l’entre-deux, il vient en esprit et en puissance ; enfin il viendra dans la gloire et la majesté. ~ Cette venue intermédiaire est vraiment comme la voie par laquelle on passe de la première à la dernière : dans la première le Christ fut notre rédemption, dans la dernière il apparaîtra comme notre vie, et entre temps il est notre repos et notre consolation. » (Sermon de saint Bernard pour l’Avent, Lecture patristique du mercredi I de l’avent)

Saint Bernard nous fait donc d’abord tourner notre regard vers le passé, puis vers le présent dans lequel le Seigneur vient à notre rencontre, et enfin vers le futur dans l’attente de son retour en gloire. Il y a donc trois venues du Christ. Détaillons chacune d’elles :

1 Noël, un événement de l’histoire…

Noël est d’abord un événement de l’histoire des hommes. Dieu qui transcende le temps, nous disons qu’il vient, qu’il entre dans notre temps. Mystère immense. C’est cela Noël ! C’est un acte de Dieu qui s’insère dans la trame du réel historique. D’où l’importance des généalogies du Christ dans les évangiles de Matthieu et de Luc. Elles nous paraissent ennuyeuses et rébarbatives, mais il faudrait arriver à les savourer, à les entendre sans lassitude, car elles nous disent in fine qu’il entre dans la chair : la chair d’Israël, la chair du Christ, la chair du messie. Il entre dans un calendrier : « Dans les jours d’Hérode », dit l’évangile. C’est cela que rappelle l’annonce solennelle de la naissance historique du Sauveur que nous lisons traditionnellement en la nuit de Noël :

De nombreux siècles écoulés depuis que Dieu a créé le ciel et la terre et depuis qu’il a fait l’homme à son image et à sa ressemblance ; de nombreux siècles se sont également écoulés depuis la fin du déluge, et que le Très haut a fait resplendir l’Arc-en-ciel comme preuve d’alliance et de paix ; Vingt et un siècles après la naissance d’Abraham, note père ; treize siècles après qu’Israël soit sorti d’Égypte, guidé par Moïse, près de mille ans après que David ait reçu l’onction royale ; pendant la soixante cinquième semaine de la prophétie de Daniel ; Au temps de la cent quatre-vingt quinzième Olympiade ; l’année sept cent cinquante-deux de la fondation de Rome, l’an quarante-deux de l’empire de César Octave Auguste ; et en la sixième ère du monde, alors que la paix régnait sur toute la terre, Jésus-Christ, Dieu éternel et Fils éternel du Père, voulant consacrer le monde par sa sainte venue, fut conçu par l’œuvre de l’Esprit Saint et, après neuf mois, naquit à Bethléem de Juda, de la Vierge Marie, comme homme véritable. Naissance de notre Seigneur Jésus-Christ selon la nature humaine.

Noël c’est faire mémoire de cette extraordinaire césure à l’intérieur de l’histoire du monde. C’est cette mémoire qui est marquée à chaque angélus. Il est capital de maintenir le réalisme de cet événement, sinon nous serions dans de la mythologie.

2 … qui s’actualise dans notre présent, aujourd’hui

Le propre de l’incarnation est que c’est un événement de Dieu, donc d’un passé qui ne passe pas, à la différence des événements de l’histoire humaine. Alors, il ne s’agit pas seulement de « se souvenir », mais il s’agit d’une actualité totale : aujourd’hui, le Christ naît dans notre humanité et dans le cœur de celui qui le célèbre. Les homélies anciennes ne se lassaient pas de le redire : « S’il ne naît pas aujourd’hui en nos cœurs, il est né en vain. » D’ailleurs, le jour de Pâques, dans la liturgie, le mot « aujourd’hui » (hodie) résonne à plusieurs reprises.

« Tout en célébrant ainsi les mystères de la Rédemption, elle l’Église ouvre aux fidèles les richesses de la puissance et des mérites de son Seigneur ; de la sorte, ces mystères sont en quelque manière rendus présents tout au long du temps, les fidèles sont mis en contact avec eux et remplis par la grâce du salut. » (Sacrosanctum Concilium, n°102)

La première venue du Christ dans la chair et dont nous faisons mémoire aujourd’hui déjà nous plonge dans un mystère sans borne : « Il s’agit de comprendre comment vient celui qui est toujours présent » (Grégoire de Nazianze).

À propos de l’aujourd’hui de la venue du Seigneur, relisons ce beau texte de Maxime le Confesseur :

« La naissance dans la chair du Verbe de Dieu n’a eu lieu qu’une seule fois ; mais sa naissance selon l’esprit se produit sans cesse, ainsi qu’il le désire, chez ceux qui eux aussi le désirent, à cause de sa bonté envers les hommes. Il devient un enfant, qui s’adapte à leurs capacités, et il se manifeste dans la mesure où celui qui le reçoit est capable de lui faire place. C’est sans aucune amertume qu’il réduit l’apparence de sa véritable grandeur : il se conforme à la mesure dont ceux qui désirent le voir sont capables. Ainsi le Verbe de Dieu se manifeste toujours de façon adaptée à ceux qui participent à lui, mais il demeure toujours invisible à tous, parce que son mystère est au-delà de tout. C’est pourquoi le divin Apôtre parle avec sagesse lorsqu’il dit, en considérant la force du mystère : Jésus Christ est le même, hier et aujourd’hui ; il le sera pour l’éternité. Il veut dire que son mystère est toujours nouveau ; il ne vieillit jamais parce qu’il ne peut être embrassé par aucun esprit. » (Maxime le Confesseur, Enturies)

3 … et qui fait appel du futur

Sans doute s’agit-il de la dimension du temps liturgique dont nous avons le moins conscience. Attendons-nous véritablement sa venue glorieuse et définitive à la fin des temps ? D’une attente consciente et ardente ? L’anamnèse de chaque messe – que nous avons peut-être l’habitude de réciter sans y prêter attention – ne nous fait pas dire autre chose : « Nous attendons ta venue dans la gloire. » Proclamer et attendre son retour doivent caractériser le veilleur. Maranatha, lit-on dans le livre de l’Apocalypse, en sa dernière page. L’ensemble des Écritures bibliques se termine – sans se terminer vraiment, du coup – sur cette apostrophe dirigée à Jésus : « Viens ! »

Dans le temps liturgique, tout est donné, mais sans que tout soit encore dévoilé. Nous ne sommes pas encore dans le temps de tous les achèvements. Bien sûr, il y a de l’achèvement – « Tout est accompli », dit Jésus -, mais un achèvement qui est aussi en attente de la plénitude de l’accomplissement :

« Car notre salut est objet d’espérance ; et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer : ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore ? Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance. » (Rm 8,24‑25)

En d’autres termes, nous sommes invités à vivre sous le mode de la mémoire et de l’espérance et toute la création vit sous ce double mode. A la fois, les Écritures s’accomplissent (mémoire), comme l’exprime Siméon :

« “Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël.” » (Lc 2, 29‑32)

Et à la fois, nous sommes dans l’attente de la gloire dans la parousie (espérance).

Donc une invitation à vivre dans le double exercice de la mémoire et de l’espérance. Sans mémoire, Noël est indéchiffrable ou alors elle prend un sens au rabais. Et sans espérance, la fête devient vaine. Si on n’a pas l’horizon de la troisième venue, on est enfermé dans une histoire qui remâche les grands souvenirs du passé, une histoire qui est faite de nostalgie et d’émotion, mais à quoi cela mène-t-il si tout cela n’est pas aimanté par l’espérance finale du retour du Christ ?