Éperon rocheux entouré de ravins et dominant la rive occidentale de la mer Morte, non loin de la presqu’île de Lisan qui permettait de traverser la mer à gué. Ce rocher fut fortifié par le grand prêtre Jonathan lors des guerres maccabéennes, mais c’est Hérode le Grand qui lui donna toute son importance. D’après le témoignage de Flavius Josèphe, en ~ 40, Hérode, poursuivi par les Parthes, y mit à l’abri sa famille. Plus tard, il décida d’y bâtir un palais-forteresse qui soit un séjour plus agréable au cas où il serait obligé d’y chercher refuge.

Durant la première révolte juive, les sicaires s’emparent de cette forteresse après en avoir massacré la garnison romaine. Après la chute de Jérusalem en 70, des groupes importants de révoltés sont repliés sur la forteresse de Masada et, pendant deux ans, organisent des coups de main contre les détachements romains du désert de Juda.

En 72-73, le gouverneur romain Flavius Silva commence, avec la Xe légion, le siège de cette forteresse « imprenable ». Après plusieurs mois de siège, au printemps de 73 ou 74, les Romains, qui ont construit une rampe de siège du côté ouest, sont sur le point de donner l’assaut final ; alors, les quelque mille Zélotes qui défendent la forteresse, femmes et enfants compris, suivent le conseil de leur chef Éléazar Ben Yaïr et décident de se tuer plutôt que de se rendre. Lorsque les Romains donnent l’assaut, ils ne rencontrent que sept survivants, deux femmes et cinq enfants

Inscription du 1er ou 2è siècle indiquant LEG X FRE COH IIX qui signifie la "huitième cohorte de la dixième légion" Musée d'Israël, Jérusalem Photo : E. Pastore

Le site archéologique, reconnu depuis longtemps, a été fouillé de 1963 à 1965 sous la direction de Y. Yadin. Les fouilles ont mis au jour un magnifique palais à trois étages, doté d’un décor de peintures pariétales, des entrepôts, des bains, des citernes construites par Hérode, les camps militaires et la rampe d’accès construite par les soldats romains, la synagogue et le bain rituel utilisés par les sicaires. Parmi les nombreux objets découverts, il faut mentionner les fragments de quatorze rouleaux de textes apocryphes ou biblique dont un de l’Ecclésiastique, de petits ostraca, l’un d’eux portant probablement le nom d’Éléazar Ben Yaïr, une belle collection de monnaies ainsi que des mosaïques de pavement d’époque byzantine.

Extraits du récit de la prise de Masada

par l’historien Flavius Josèphe dans La guerre des Juifs, Livre VII

2. Le général romain marcha avec ses troupes contre Éléazar et les sicaires qui occupaient avec lui Masada ; il s’empara rapidement de tout le territoire, dont il garnit de troupes les positions les plus avantageuses. Puis il éleva un mur tout autour de la place, pour rendre la fuite difficile aux assiégés, et y posta des gardes. Lui-même choisit, pour l’assiette de son camp, le lieu le plus propre aux opérations de siège, là où les rochers de la forteresse se rapprochaient de la montagne voisine ; l’approvisionnement y offrait d’ailleurs des difficultés. Non seulement les vivres y étaient convoyés de loin, au prix de grandes fatigues pour les Juifs chargés de cette tâche, mais encore l’eau devait être apportée dans le camp, en l’absence de toute source, voisine. Après avoir veillé à ces préparatifs, Silva entreprit le siège, qui exigea beaucoup d’habileté et d’efforts, à cause de la force de cette citadelle, qui est naturellement disposée comme je vais le dire. (…)

3. Un rocher d’un assez vaste pourtour et d’une grande hauteur est de toutes parts isolé par de profonds ravins, dont on ne voit pas le fond. Ils sont escarpés et inaccessibles aux pieds de tout être vivant, sauf en deux endroits où la roche se prête à une ascension pénible. De ces deux chemins, l’un part du lac Asphaltite dans la direction de l’est ; l’autre est à l’ouest et offre plus de facilité à la marche. On appelle le premier « serpent », à cause de son étroitesse et de ses nombreux détours : car il est coupé là où les escarpements font saillie, revient souvent sur lui-même, puis. s’allongeant peu à peu, poursuit à grand peine sa progression. Tout homme qui suit ce chemin doit s’appuyer alternativement sur chaque pied, car la mort le guette ; de chaque côté s’ouvrent des abîmes qui peuvent glacer d’effroi le plus brave. Quand on a suivi le chemin l’espace de trente stades, on n’a plus devant soi qu’un sommet sans pointe terminale, qui forme sur la crête une surface plane. C’est sur ce plateau que le grand-prêtre Jonathas construisit d’abord une forteresse, qu’il appela Masada ; dans la suite, le roi Hérode s’occupa avec grand zèle de mettre cette place en état. Il éleva tout autour du sommet, sur une longueur de sept stades, une muraille de pierres blanches, haute de douze coudées, épaisse de huit ; au-dessus d’elle se dressaient trente-sept tours, hautes de cinquante coudées, d’où l’on pouvait passer dans des habitations construites sur toute la face intérieure du mur. (…)

Le palais d’Hérode, face nord, reconstitution
Ce qu’il reste de la rampe construite par les romains – Photos : E. Pastore

L’assaut romain

5. Lorsque le général romain eut comme nous l’avons dit (63), entouré extérieurement d’une muraille tout le terrain et prévenu, par la plus stricte surveillance, la fuite vies défenseurs, il entreprit le siège, n’avant trouvé qu’un endroit capable de recevoir des terrasses. Il y avait, en effet, derrière la tour qui protégeait la route de l’ouest vers le palais et le faite de la colline, un éperon rocheux d’une largeur considérable et formant saillie, mais de trois cents pieds au-dessous du sommet de Masada : on l’appelait Leuké, la « Roche blanche ». Silva y monta donc, !’occupa et ordonna à l’armée d’apporter des charges de terre. Grâce au zèle que les soldats déployèrent dans ce travail et à leur grand nombre, la terrasse s’éleva, solide, à la hauteur de deux cents pieds. Cependant une plate-forme de ces dimensions ne parut pas assez solide et résistante pour porter les machines destinées à l’assaut : aussi éleva-t-on au-dessus un « cavalier », de fortes pierres bien ajustées, large et haut de cinquante coudées. La construction des engins fut analogue à celle que Vespasien d’abord, et ensuite Titus avaient imaginée pour le siège des places ; de plus, on éleva une tour de cent coudées entièrement blindée de fer, du haut de laquelle les Romains, grâce au grand nombre de leurs oxybèles et onagres, lançaient des projectiles contre les défenseurs du rempart, dont ils les chassaient en les obligeant à se dérober.

Représentation de la tour d’assaut Photo : E. Pastore
Coucher de soleil sur Masada Photos : E. Pastore
La rampe

En même temps Silva mit en place un puissant bélier, avec ordre de battre continuellement la muraille, qui fut entamée, non sans peine, sur une certaine étendue et renversée. Les sicaires s’empressèrent de bâtir à l’intérieur un autre mur, auquel les machines ne devaient pas faire subir le même sort qu’au premier, car pour le rendre flexible et capable d’amortir la violence du choc, ils le construisirent de la façon suivante. Ils unirent les unes aux autre, à leurs extrémités, de grandes poutres disposées dans le sens de leur longueur. Il y en avait ainsi deux rangées parallèles, séparées l’une de l’autre par un intervalle égal à l’épaisseur du mur, et l’entre-deux était formé d’un amoncellement de terre. En outre, dans la crainte que la terre ne se répandit quand on battrait cette terrasse (64), ils relièrent encore par des poutres transversales celles qui étaient disposées en longueur. L’ouvrage était donc, aux yeux des ennemis, semblable à un édifice maçonné. Les coups des machines, portés contre cette matière qui leur cédait, s’amortissaient, et même, comme ce martèlement la comprimait, elle n’en devenait que plus solide. A cette vue, Silva jugea qu’il détruirait plutôt ce mur par le feu; il ordonna donc aux soldats de lancer en grand nombre des torches enflammées. Le mur, formé surtout de pièces de bois, prit feu rapidement ; embrasé dans sa profondeur, il développa un grand incendie.

Dès le début de cet incendie, le vent du nord qui soufflait dans leurs visages inspira des craintes aux Romains ; comme il se rabattait sur eux d’en haut, il poussait les flammes contre eux, et peu s’en fallut même qu’ils ne désespérassent de leurs machines, prêtes à s’embraser aussi. Mais ensuite le vent, comme par une intervention surhumaine, changea subitement, et celui du sud, soufflant avec violence en sens contraire, ramena et rejeta l’incendie contre la muraille, qui bientôt flamba tout entière du haut en bas. Les Romains, ainsi assistés du secours de Dieu, se retirèrent joyeux dans leur camp, résolus à attaquer les ennemis le lendemain ; pendant cette nuit, leurs postes de garde veillèrent avec plus de soin que jamais, afin de ne laisser échapper aucun fuyard.

6. Cependant Éléazar ne conçut pas la pensée de fuir et n’autorisa personne à le faire. Quand il vit que le mur était consumé par le feu, il n’imagina aucun moyen de salut ni de défense et, réfléchissant sur le traitement que les Romains, une fois maîtres de la place, feraient subir aux défenseurs, à leurs femmes et à leurs enfants, il décida que tous devaient mourir après avoir pris cette résolution, la meilleure dans les circonstances présentes, il réunit les plus courageux lie ses compagnons et les exhorta en ces termes à agir ainsi :


« Il y a longtemps, mes braves, que nous avons résolu de n’être asservis ni aux Romains, ni à personne, sauf à Dieu, qui est le seul vrai, le seul juste maître des hommes; et voici venu l’instant qui commande de confirmer cette résolution par des actes. En ce moment donc, ne nous déshonorons pas, nous qui n’avons pas auparavant enduré une servitude exempte de péril et qui sommes maintenant exposés à des châtiments inexorables accompagnant la servitude, si les Romains nous tiennent vivants entre leurs mains ; car nous fûmes les premiers à nous révolter, et nous sommes les derniers à leur faire la guerre. Je crois d’ailleurs que nous avons reçu de Dieu cette grâce de pouvoir mourir noblement, en hommes libres, tandis que d’autres, vaincus contre leur attente, n’ont pas eu cette faveur. Nous avons sous les yeux, pour demain, la prise de la place, mais aussi la liberté de choisir une noble mort que nous partagerons avec nos amis les plus chers. Car les ennemis, qui souhaitent ardemment de nous prendre vivants, peuvent aussi peu s’opposer à notre décision que nous-mêmes leur arracher la victoire dans un combat. Peut-être eût-il fallu dès l’origine, quand nous voyions, malgré notre désir de revendiquer notre liberté, tous les maux cruels que nous nous infligions à nous-mêmes, et les maux pires encore dont nous accablaient les ennemis – reconnaître le dessein de Dieu, et la condamnation dont il avait frappé la race des Juifs, jadis chère à son coeur ; car s’il nous était resté propice, ou si du moins sa colère eût été modérée, il n’aurait pas laissé se consommer la perte d’un si grand nombre d’hommes ; il n’aurait pas abandonné la plus sainte de ses villes à l’incendie et à la sape des ennemis. Avons-nous donc espéré, seuls de tous les Juifs, d’échapper à notre perte en sauvant la liberté ? Comme si nous n’étions pas coupables envers Dieu, comme si nous n’avions participé à aucune iniquité après avoir enseigné l’iniquité aux autres ? Mais voyez comment Dieu confond notre vaine attente, en faisant fondre sur nous des malheurs qui passent nos espérances. Car nous n’avons pas même trouvé notre salut dans la force naturelle de cette place imprenable, et, bien que possédant des vivres en abondance, une multitude d’armes et tous les autres approvisionnements en quantité, c’est manifestement Dieu lui-même qui nous a ravi tout espoir de nous sauver. Ce n’est pas, en effet, de son propre mouvement que le feu porté contre les ennemis s’est retourné contre le mur bâti par nous, mais c’est là l’effet d’une colère soulevée par nos crimes si nombreux, que nous avons, dans notre fureur, osé commettre sur nos compatriotes. Payons donc de nous-mêmes la peine de ces forfaits, non pas aux Romains, nos ennemis pleins de haine, mais à Dieu sont les châtiments sont plus modérés que les leurs. Que nos femmes meurent, sans subir d’outrages ; que nos enfants meurent sans connaître la servitude ! Après les avoir tués nous nous rendrons les uns aux autres un généreux office, en conservant la liberté qui sera notre noble linceul. Mais d’abord détruisons par le feu nos richesses et la forteresse ! Les Romains, je le sais bien, seront affligés de n’être pas les maîtres de nos personnes et d’être frustrés de tout gain. Laissons seulement les vivres ; ceux-ci témoigneront pour les morts que ce n’est pas la disette qui nous a vaincus, mais que, fidèles à notre résolution première, nous avons préféré la mort à la servitude.  » (…)

Vue depuis Masada Photos : E. Pastore
Vue depuis Masada Photos : E. Pastore

Il voulait continuer ses exhortations quand tous l’interrompirent et, pleins d’une irrésistible ardeur, s’empressèrent pour accomplir l’acte qu’il leur conseillait. Agités comme d’un transport divin, ils s’éloignaient, impatients de se devancer les uns les autres, jugeant que c’était une preuve éclatante de courage et de sagesse de ne pas se laisser voir parmi les derniers. Tant était fort l’amour de leurs femmes, de leurs enfants et de leur propre mort qui les inspirait ! Quand ils arrivèrent à l’acte suprême, ils n’eurent pas. comme on l’eût cru, de défaillances ; ils gardèrent leur résolution aussi fermement tendue qu’à l’instant où ils entendirent le discours d’Éléazar ; chez tous subsistaient des sentiments émus et affectueux, mais la raison l’emportait, parce qu’elle leur paraissait avoir pris le parti le plus sage pour les êtres qui leur étaient les plus chers. Ensemble, ils embrassèrent, étreignirent leurs femmes, serrèrent dans leurs bras leurs enfants, s’attachant avec des larmes à ces derniers baisers ; ensemble, comme si des bras étrangers les eussent assistés dans cette œuvre, ils exécutèrent leurs résolution, et la pensée des maux que ces malheureux devaient souffrir, s’ils tombaient aux mains des ennemis, était pour les meurtriers, dans cette nécessité de donner la mort, une consolation. Enfin, nul ne se trouva inférieur à un si grand dessein; tous percèrent les êtres les plus chéris. Malheureuses victimes du sort, pour qui le meurtre de leurs femmes et de leurs enfants, exécuté de leur main, paraissait le plus léger de leurs maux ! (…) Le nombre des morts s’élevait à neuf cent-soixante, en comptant les femmes et les enfants.

Cependant les Romains, qui s’attendaient encore à combattre, équipés dès l’aurore, rejoignirent par des ponts volants les terrassements aux abords de la place et commencèrent l’assaut. Comme ils n’apercevaient aucun ennemi et voyaient de toutes parts une affreuse solitude, et à l’intérieur, dans un profond silence, l’incendie. ils se demandaient avec inquiétude ce qui s’était passé. Enfin, quand ils furent arrivés à portée de trait, ils poussèrent de grands cris pour attirer quelqu’un des défenseurs. Les pauvres femmes entendirent cette clameur ; elles sortirent des souterrains et racontèrent aux Romains ce qui était arrivé ; l’une d’elles rapporta exactement le discours d’Éléazar et les circonstances de la tuerie.

Les Romains ne crurent pas d’abord à ce récit, car la grandeur d’un pareil acte les laissait incrédules ; ils entreprirent d’éteindre le feu et bientôt, se frayant une route dans l’incendie, ils arrivèrent à l’intérieur du palais. Alors, voyant cette multitude de cadavres, ils ne se réjouirent pas comme en présence d’ennemis morts, mais admirèrent la noblesse de cette résolution et ce mépris de la vie, attesté par tant d’hommes qui avaient agi avec constance jusqu’au bout.

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