Le pèlerinage, une démarche ponctuelle
et une manière de vivre
et une manière de vivre
Le pèlerinage peut être une démarche ponctuelle, lorsqu’on a le désir de vivre une expérience de foi sur un lieu emblématique, lorsqu’on a le besoin de se recueillir en Dieu et loin de son quotidien, ou encore lorsqu’on a une importante intention de prière à présenter devant le Seigneur. Ce type de pèlerinage marque alors une étape sur notre chemin de vie.
Mais il y a également une autre manière d’entrevoir le pèlerinage. Il ne s’agit plus tant de « faire un pèlerinage » que « d’être un pèlerin ». Dans l’Empire romain, les « pérégrins » sont des étrangers, hommes libres, habitant les provinces conquises par Rome, mais ne disposant pas de la citoyenneté romaine. Par analogie, la condition du chrétien est celle d’un pérégrin. L’auteur de la Lettre à Diognète, un écrivain chrétien du 2ème siècle l’avait bien compris en décrivant le mode de vie des chrétiens:
« Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie une terre étrangère. Ils passent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. »
Dans cet esprit, la vie à vivre sur terre se présente comme une route à parcourir jusqu’à atteindre son but final: Dieu. Ainsi, la vie entière devient un pèlerinage, c’est-à-dire une quête de Dieu, une recherche de Celui qui détient les réponses à toutes nos aspirations.
Le long pèlerinage d’une vie peut donc être ponctué par de « petits » pèlerinages sur des lieux choisis. Essayons de retracer la dynamique et l’histoire de la démarche du pèlerinage.
La condition humaine,
celle de l’homo viator
Un adage classique décrit la condition humaine comme celle de l’homo viator. Autrement dit, tout être humain est par définition un être en mouvement, un être en chemin, un être changeant. Il est comme poussé en avant de lui-même pour tracer la route de sa vie, mais aussi et surtout pour découvrir par là son origine. Il s’agit d’aller de l’avant, dans le temps qui ne se répète pas, ni ne rétrocède, afin de retrouver son point de départ. Cela peut sembler paradoxal: on va vers sa fin pour atteindre son commencement. Une racine de la langue hébraïque illustre à merveille cette dimension de la vie humaine. La racine « kdm » a deux sens: elle indique à la fois l’action d’avancer et à la fois le point cardinal de l’est. L’est, c’est là que le soleil se lève, c’est là que tout commence, symbole de l’origine. En hébreu, on va donc bien de l’avant en remontant à son origine!
Dans l’oeuvre d’Homère, l’Odyssée, Ulysse cherche à rentrer chez lui, à Ithaque, après maintes péripéties et aventures dans des terres éloignées. Sa destinée illustre celle des hommes que nous sommes. Nos aspirations nous conduisent parfois très loin de chez nous, en quête de la vérité, mais finalement nos propres aspirations nous reconduisent aussi à nos racines les plus profondes, là d’où nous sommes. Un beau poème de Constantin Cavafy (1863-1933) retrace ce retour d’Ulysse vers Ithaque, qui est sa terre et son royaume.
Le poème a été écrit à Alexandrie en 1911, en grec moderne et en vers:
Ithaque
Quand tu partiras pour Ithaque, souhaite que le chemin soit long, riche en péripéties et en expériences. Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes, ni la colère de Neptune. Tu ne verras rien de pareil sur ta route si tes pensées restent hautes, si ton corps et ton âme ne se laissent effleurer que par des émotions sans bassesse. Tu ne rencontreras ni les Lestrygons, ni les Cyclopes, ni le farouche Neptune, si tu ne les portes pas en toi-même, si ton cœur ne les dresse pas devant toi.
Souhaite que le chemin soit long, que nombreux soient les matins d’été, où (avec quelles délices !) tu pénétreras dans des ports vus pour la première fois. Fais escale à des comptoirs phéniciens, et acquiers de belles marchandises : nacre et corail, ambre et ébène, et mille sortes d’entêtants parfums. Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums. Visite de nombreuses cités égyptiennes, et instruis-toi avidement auprès de leurs sages.
Garde sans cesse Ithaque présente dans ton esprit. Ton but final est d’y parvenir, mais n’écourte pas ton voyage : mieux vaut qu’il dure de longues années et que tu abordes enfin dans ton île aux jours de ta vieillesse, riche de tout ce que tu as gagné en chemin, sans attendre qu’Ithaque t’enrichisse.
Ithaque t’a donné le beau voyage : sans elle, tu ne te serais pas mis en route. Elle n’a plus rien à te donner. Si tu la trouves pauvre, Ithaque ne t’a pas trompé. Sage comme tu l’es devenu à la suite de tant d’expériences, tu as enfin compris ce que signifient les Ithaques.
Traduction de Marguerite Yourcenar
Le pèlerinage, une recherche
Avant même d’être un acte religieux, le pèlerinage est par essence un acte humain. Être en mouvement, être à la recherche du sens, l’homme cherche et trouve des repères : le lieu de sa naissance, sa famille, sa patrie ou sa région. Vivant en société, l’homme vit selon un ensemble de repères sociaux qui orientent sa conduite et celle du groupe humain auquel il s’identifie. L’homme trouve alors d’autres repères que ceux de son enracinement personnel : telle ou telle idée, tel maître ou chef, un lieu particulièrement évocateur parce qu’il est aux racines : lieu de fondation de sa communauté, lieu de mémoire d’un événement majeur…
Conduit à se déplacer extérieurement et intérieurement, à grandir en quittant un certain nombre de ses repères, l’homme va trouver dans le pèlerinage un moyen idéal, à tel moment important, pour retrouver ses racines. La visite à des parents éloignés, le retour dans sa patrie, le fait d’aller de temps à autre sur la tombe de ses ancêtres constituent déjà en eux-mêmes un pèlerinage. La visite dans un lieu marquant dans sa vie personnelle ou dans la vie de la société à laquelle on s’identifie constituent elles aussi un pèlerinage. Le plus souvent, on n’ira pas seul en pèlerinage mais on ira avec des parents, des êtres auxquels on veut témoigner de son enracinement et leur transmettre un héritage personnel ou social.
Des lieux qui constituent pour beaucoup un repère deviennent alors des lieux de pèlerinage sans pour autant revêtir un sens proprement religieux. Sans remonter aux temps les plus anciens, il suffit de penser au pèlerinage d’une famille dans son pays d’origine.
Le pèlerinage, un acte religieux
Toutes les traditions religieuses ont donné une place importante au pèlerinage. En Inde, évoquons les millions d’Hindous qui convergent vers le nord du pays pour prendre part au Ardh Kumbh Mela, pèlerinage de 45 jours qui permet aux fidèles de laver leurs péchés dans les eaux du Gange. Dans le Bouddhisme, on peut citer la colonne commémorative dressée à Lumbini. Le roi Asoka signale son passage dans ce « jardin » du Téraï népalais pour vénérer le lieu de naissance du Bouddha. La tradition des pèlerinages chez les bouddhistes est étroitement associée à l’errance, au samsâra, à la transmigration et au cycle infini et douloureux des renaissances dont on veut sortir.
L’Égypte pharaonique garde bien présente la trace de pèlerinages. Il suffit de penser au sanctuaire d’Abydos qui fut un centre de pèlerinage où pharaons et plébéiens adoraient Osiris, le dieu de la végétation et de l’agriculture progressivement devenu le dieu des morts et de l’éternité. Mais le développement du monothéisme, notamment avec la tradition biblique, donne au pèlerinage un développement et un sens profondément renouvelés.
Dans l’histoire du Peuple d’Israël, on vient de toutes parts vers les principaux sanctuaires pour certaines fêtes liturgiques : Pâques, la Fête des Semaines ou Pentecôte et la Fête des Tentes. La Bible évoque différents lieux de pèlerinage pour Israël : Béershéva, Béthel, Hébron, Mambré, Sichem, Silo. Avec la construction du Temple de Jérusalem par Salomon, la Ville Sainte devient progressivement le lieu où se rassemblent toutes les tribus du Peuple de Dieu. Le peuple en exil à Babylone fait ensuite mémoire de Jérusalem, capitale spirituelle qui reste présente dans le cœur des Juifs dispersés :
« Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion… » (Ps 137, 1)
Après le retour d’exil, le peuple juif trouve sa joie dans la reconstruction du Temple. Mais nombre d’exilés resteront sur les terres qui les ont accueillis. De près ou de loin, avant et après la destruction du second Temple, le peuple de Dieu monte à Jérusalem pour les grandes fêtes. Les psaumes appelés Cantiques des Montées (Psaumes 120 à 134) témoignent de l’ardeur et du dynamisme spirituel du croyant en chemin vers la Ville Sainte. Ils évoquent aussi la joie du pèlerin qui parvient aux portes de Jérusalem :
« J’étais joyeux que l’on me dise : Allons à la maison du Seigneur ! Enfin nos pieds s’arrêtent dans tes portes, Jérusalem ! » (Ps 122, 1‑2)
le pèlerin chrétien
Fidèle aux traditions de son Peuple, Jésus se rend en pèlerinage à Jérusalem à l’occasion des grandes fêtes. L’évangéliste Luc raconte un épisode dans lequel Jésus, dès l’âge de douze ans, échappe à la vigilance de ses parents au cours d’un pèlerinage. Ils le retrouvent finalement dans le Temple, avec les docteurs de la Loi (cf. Luc 2, 41-50).
Dans l’enseignement du Christ, bien des éléments montrent un changement radical. Il n’est pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir. En cet accomplissement, il n’y a plus de temple fait de main d’homme qui tienne. Jésus Lui-même est le Temple de Dieu et l’adoration n’est plus liée à un lieu mais à une personne :
« Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les véritables adorateurs adoreront le Père dans l’esprit et la vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est dans l’esprit et la vérité qu’ils doivent adorer. » (Jn 4, 23‑24)
Consciente de cette radicale nouveauté, l’Église tente de siècle en siècle d’être fidèle au message du Christ. Le pèlerinage n’est plus un acte cultuel destiné à rendre un sacrifice à Dieu, Jésus ayant accompli en sa Personne l’unique don capable d’apporter le salut au monde. Le pèlerinage garde pourtant une place de choix, manifestant le désir du croyant de se mettre en route vers Dieu, d’imiter le Christ dans son mouvement vers le Père, d’écouter l’Esprit au cours d’une démarche de retraite, de sortie de soi et d’oubli des préoccupations quotidiennes.
Les lieux saints chrétiens
Très tôt dans la tradition chrétienne, on trouve des traces émouvantes de pèlerinages vers les lieux saints. Mais c’est au Moyen Âge que le pèlerinage chrétien prend tout son essor. Jérusalem, Rome et Saint-Jacques de Compostelle sont les principaux centres de pèlerinage mais de très nombreux de sanctuaires, ne serait-ce que par leur localisation sur de grandes routes fréquentées par les pèlerins, accueillent des multitudes de chercheurs de Dieu, ainsi que des brigands attirés par ces masses. On se met en route pour prier pour soi et pour les siens. On est parfois envoyé en délégation par une ville ou une corporation qui charge le pèlerin de ses intentions.
Égérie, pèlerine infatigable
Égérie est celle dont le nom a inspiré ce site internet. Qui était-elle? Une grande dame venue d’Occident, s’est rendue à Jérusalem en 381 ; pendant trois ans, elle a visité tous les lieux saints du Proche-Orient chrétien, non seulement en Palestine, mais aussi en Égypte, dans le Sinaï, en Transjordanie, en Syrie. De Constantinople, où elle faisait étape après son périple, elle écrit à des correspondantes d’Occident le récit de son voyage, décrivant tous les lieux saints qu’elle a visités et, de manière particulièrement détaillée, la liturgie qu’elle a vu célébrer dans les sanctuaires de Jérusalem.
C’est un des rarissimes écrits que l’Antiquité nous ait laissé d’une femme. Un récit savoureux, qui révèle une personnalité, une mine de renseignements sur les débuts du pèlerinage chrétien au Proche-Orient, un témoin important du latin parlé au IVe siècle : ces qualités lui ont valu, depuis sa découverte il y a un peu plus d’un siècle, de nombreux lecteurs.
Découvrez quelques extraits de son journal de voyage: