Une fabuleuse carte des peuples connus
entre le 7è et le 4è siècle av. J.-C.
Le contexte
Le chap. 10 de la Genèse est précédé par le récit grandiose du déluge au temps de Noé. Les chapitres 6 à 9 de la Genèse reprennent le thème mythologique du déluge, bien connu des peuples mésopotamiens. En effet, en 1872, on découvrit à Ninive une tablette en cunéiforme racontant un équivalent de l’histoire de Noé. Il y est question de la construction d’un bateau sur lequel on fait embarquer un couple de chaque espèce d’animaux, afin de sauver l’humanité d’un déluge. Il s’agit du célèbre récit du héros mésopotamien Gilgamesh. L’origine du récit figurant sur la tablette remonte au 18ème siècle avant J.-C. Il est donc bien plus ancien que le récit de Noé à dans la Bible.
Mais si le rédacteur biblique emprunte ce thème du déluge, c’est pour le redresser et le modifier de sorte qu’il soit conforme à la foi d’Israël. Contrairement aux dieux mythologiques, YHWH n’est pas dépassé par un malheur qui ne relèverait que de l’arbitraire. Il se révèle maitrisant totalement ce qui n’est que la conséquence du mal agir des hommes :
« La terre se pervertit au regard de Dieu et elle se remplit de violence. Dieu vit la terre : elle était pervertie, car toute chair avait une conduite perverse sur la terre. » (Gn 6, 11‑12)
La Bible veut montrer à quoi aboutit ce processus de convoitise et de refus de la relation : à une décréation :
« YHWH se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et il s’affligea dans son cœur. Et YHWH dit : “Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés – et avec les hommes, les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel – , car je me repens de les avoir faits.” » (Gn 6, 6‑7)
Les eaux du ciel et celles de la terre vont recouvrir la terre, le « tehom » (l’abîme) semble reprendre le dessus, mais c’est alors que « Dieu se souvint » (8,1) : ce verset constitue le centre et le cœur des chap. 6 à 9. C’est la première fois que dans la Bible apparaît le verbe de la mémoire (se souvenir), affirmation au cœur de la catastrophe que Dieu n’oublie pas son dessein sur l’homme et la création, et que là où la conduite de l’homme conduit à la mort, Dieu procède à une nouvelle création (le vocabulaire de Gn 9 reprend celui de Gn 1) qui ne remplace pas la première, mais lui offre la possibilité de parvenir à la réalisation du plan divin. Cette création est scellée par le premier signe de l’alliance, l’arc-en-ciel.
Cette nouvelle création amène un renouvellement complet de l’humanité, à partir des trois fils de Noé. Toute l’humanité va renaître. Le chap. 10 de la Genèse fait apparaître une conception du monde en trois parties, sous la forme d’un arbre généalogique résumant les connaissances géographiques et ethnographiques des rédacteurs. Soixante-dix peuples y figurent. Ils sont groupés et partagés en trois, conformément au nombre de fils de Noé qui ont peuplé le monde après le déluge.
« Les fils de Noé qui sortirent de l’arche étaient Sem, Cham et Japhet ; Cham est le père de Canaan. Ces trois-là étaient les fils de Noé et à partir d’eux se fit le peuplement de toute la terre. » (Gn 9, 18‑19)
La table des peuples selon Gn 10
La table des peuples évoquée en Gn 10 peut sembler rébarbative à la première lecture. Néanmoins, elle s’avère passionnante pour reconstituer les connaissances des rédacteurs bibliques. Chaque peuple est issu d’un ancêtre prestigieux qui a donné son nom à un peuple :
« 1 Voici la descendance des fils de Noé, Sem, Cham et Japhet, auxquels des fils naquirent après le déluge :
2 Fils de Japhet : Gomer, Magog, les Mèdes, Yavân, Tubal, Moshek, Tiras. 3 Fils de Gomer : Ashkenaz, Riphat, Togarma. 4 Fils de Yavân : Elisha, Tarsis, les Kittim, les Dananéens. 5 A partir d’eux se fit la dispersion dans les îles des nations. Tels furent les fils de Japhet, d’après leurs pays et chacun selon sa langue, selon leurs clans et d’après leurs nations.6 Fils de Cham : Kush, Miçrayim, Put, Canaan. 7 Fils de Kush : Séba, Havila, Sabta, Rama, Sabteka. Fils de Rama : Sheba, Dedân. 8 Kush engendra Nemrod, qui fut le premier potentat sur la terre. 9 C’était un vaillant chasseur devant Yahvé, et c’est pourquoi l’on dit : “Comme Nemrod, vaillant chasseur devant Yahvé.” 10 Les soutiens de son empire furent Babel, Erek et Akkad, villes qui sont toutes au pays de Shinéar. 11 De ce pays sortit Ashshur, et il bâtit Ninive, Rehobot-Ir, Kalah, 12 et Rèsèn entre Ninive et Kalah (c’est la grande ville). 13 Miçrayim engendra les gens de Lud, de Anam, de Lehab, de Naphtuh, 14 de Patros, de Kasluh et de Kaphtor, d’où sont sortis les Philistins. 15 Canaan engendra Sidon, son premier-né, puis Hèt, 16 et le Jébuséen, l’Amorite, le Girgashite, 17 le Hivvite, l’Arqite, le Sinite, 18 l’Arvadite, le Cemarite, le Hamatite ; ensuite se dispersèrent les clans cananéens. 19 La frontière des Cananéens allait de Sidon en direction de Gérar, jusqu’à Gaza, puis en direction de Sodome, Gomorrhe, Adma et Ceboyim, et jusqu’à Lésha. 20 Tels furent les fils de Cham, selon leurs clans et leurs langues, d’après leurs pays et leurs nations.
21 Une descendance naquit également à Sem, l’ancêtre de tous les fils de Eber et le frère aîné de Japhet. 22 Fils de Sem : Elam, Ashshur, Arpakshad, Lud, Aram. 23 Fils d’Aram : Uç, Hul, Géter et Mash. 24 Arpakshad engendra Shélah et Shélah engendra Eber. 25 A Eber naquirent deux fils : le premier s’appelait Péleg, car ce fut en son temps que la terre fut divisée, et son frère s’appelait Yoqtân. 26 Yoqtân engendra Almodad, Shéleph, Haççarmavet, Yérah, 27 Hadoram, Uzal, Diqla, 28 Obal, Abimaël, Sheba, 29 Ophir, Havila, Yobab ; tous ceux-là sont fils de Yoqtân. 30 Ils habitaient à partir de Mesha en direction de Sephar, la montagne de l’Orient. 31 Tels furent les fils de Sem, selon leurs clans et leurs langues, d’après leurs pays et leurs nations.
32 Tels furent les clans des descendants de Noé, selon leurs lignées et d’après leurs nations. Ce fut à partir d’eux que les peuples se dispersèrent sur la terre après le déluge. » (Gn 10)
Tous ces noms propres sont des toponymes qui permettent d’établir une grande carte des peuples, telle que les rédacteurs bibliques se la représentaient entre le 7ème et le 4ème siècle av. J.-C.
Retrouvez ces lieux sur une carte !
Les cartes en T-O
A partir de Gn 10, on a représenté des cartes « en T-O » symbolisant le monde connu à travers une croix (T) inscrite dans un cercle (O). La carte ci-dessous représente la géographie conformément à l’iconographie chrétienne et identifie les peuples des trois continents connus aux descendants de Sem, Cham et Japeth.
Ce mappa mundi est une carte du monde connu, d’après la première version imprimée des Etymologiae d’Isidore de Séville (560-636). Cette encyclopédie a été écrite en 623 et imprimée pour la première fois en 1472 à Augsbourg par un certain Günther Zainer (Guntherus Ziner), l’esquisse d’Isidor devenant ainsi la plus ancienne carte imprimée de l’Occident. Les cartes en T-O sont généralement orientées à l’est, montrant Jérusalem au centre et le paradis à l’extrême est, équilibré par les colonnes d’Hercule à l’extrême Ouest (détroit de Gibraltar).
Selon Augustin d’Hippone (354-430), « la taille de l’Asie est égale à la somme de celle de l’Europe et de l’Afrique ».
Selon Pline (Naturalis Historia, III, 3), « le globe entier de la terre est divisé en trois parties, l’Europe, l’Asie, et l’Afrique. Notre point de départ est au couchant et au détroit de Cadix (Gibraltar), par où l’océan Atlantique, faisant irruption, vient former les mers intérieures. Quand de l’Océan on entre par ce détroit, on a à droite l’Afrique, à gauche l’Europe, entre lesquelles est l’Asie. Les limites sont le Tanaïs et le Nil. »