18 Tandis que Jésus leur parlait ainsi, voilà qu’un notable s’approcha. Il se prosternait devant lui en disant : « Ma fille est morte à l’instant ; mais viens lui imposer la main, et elle vivra. » 19 Jésus se leva et le suivit, ainsi que ses disciples. 20 Et voici qu’une femme souffrant d’hémorragies depuis douze ans s’approcha par-derrière et toucha la frange de son vêtement. 21 Car elle se disait en elle-même : « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée. » 22 Jésus se retourna et, la voyant, lui dit : « Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée. » Et, à l’heure même, la femme fut sauvée. 23 Jésus, arrivé à la maison du notable, vit les joueurs de flûte et la foule qui s’agitait bruyamment. Il dit alors : 24 « Retirez-vous. La jeune fille n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. 25 Quand la foule fut mise dehors, il entra, lui saisit la main, et la jeune fille se leva. 26 Et la nouvelle se répandit dans toute la région. (Mt 9,18-26)
Ce texte nous donne à lire deux miracles enchâssés l’un dans l’autre. Les personnages concernés sont des femmes. La première est une fillette. La seconde est une femme mûre. Pourtant, toutes les deux souffrent d’un mal semblable : elles sont en proie à la mort. Une mort physique pour la fillette et une mort spirituelle pour l’autre femme. « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée », dit-elle. De quoi ces deux femmes seront-elles sauvées exactement?
Commençons par la femme hémorroïsse. Elle souffre de pertes de sang. Cette maladie place donc la femme dans la situation d’un mort-vivant. Parce que le sang, dans l’univers biblique, est synonyme de vie.
Tout ce qui va et vient, tout ce qui vit sera votre nourriture ; comme je vous avais donné l’herbe verte, je vous donne tout cela. Mais, avec la chair, vous ne mangerez pas le principe de vie, c’est-à-dire le sang. (Gn 9,3-4)
Le sang a donc une dimension sacrée. On ne doit pas le toucher et on ne doit pas le manger, sous peine de contracter une impureté. Mais il importe de comprendre positivement la notion d’impureté dans la Bible. On devient impur lorsqu’on franchit les limites de la vie humaine et qu’on pénètre dans le domaine de Dieu. Or, être en contact avec le sang nous introduit déjà du côté du monde divin. Il faut donc se purifier par respect pour le divin avec lequel nous avons pu malencontreusement être en proximité. L’opposition entre les deux catégories du pur et de l’impur renvoie aux domaines du profane et du sacré. Il vaudrait d’ailleurs mieux dire du profane et du saint, qadosh en hébreu. Ce terme signifie en effet « séparé ». Or, paradoxalement, c’est la juste séparation d’avec le divin qui maintient l’état de pureté tandis que s’en approcher rend impur.
Quand la distinction essentielle entre les deux sphères est rompue, il faut la restaurer pour pouvoir reprendre le cours de la vie profane. Et ce retour à la séparation, disons à la sainteté, se fait par des ablutions rituelles. Dans une telle optique, la femme hémorroïsse, à cause de sa maladie, devrait être constamment en train de se purifier. Sa vie devait être un véritable esclavage! En la guérissant, Jésus va y mettre un terme.
Rouleau de la Torah avec la mise en évidence de Lv 15,25 concernant le rapport au sang pour la femme. Photo: BiblePlaces
Lorsqu’une femme aura un écoulement de sang pendant plusieurs jours, hors de la période de ses règles, ou si elle a un écoulement qui se prolonge au-delà de la période de ses règles, elle sera impure tant que durera cet écoulement, de la même manière que pendant ses règles. (Lv 15,25)
De plus, nos deux personnages ont un grand point commun. La fillette, nous le savons par l’évangéliste Luc, a douze ans. Quant à la femme hémorroïsse, elle est malade depuis douze ans. Que signifie donc le chiffre douze dans la vie d’une femme ? L’âge à partir duquel elle peut transmettre la vie. La fillette est morte à douze ans, à l’âge de la fécondité. L’hémorroïsse est malade depuis douze ans, empêchée elle-aussi de toute fécondité. Toute le récit se situe sur cette charnière entre la vie et la mort.
La femme hémorroïsse touchant le manteau de Jésus, Chapelle Duc in Altum, Magdala. Photo: E. Pastore
Jésus va donc les libérer toutes les deux de leur impossibilité à vivre et à donner la vie. Il ressuscite la fillette, sur la demande de son père. Une demande formulée sans hésitation : « viens lui imposer la main, et elle vivra. » L’assurance avec laquelle ce père vient demander la résurrection de sa fille doit nous surprendre. Imaginez-vous à sa place. Quelle audace ! Oser demander une résurrection ! Ou plutôt, quelle foi ! Il en va de même pour l’hémorroïsse à qui Jésus dit : « Ta foi t’a sauvée. » Dans ce double miracle, c’est la foi qui sauve : foi en Jésus, maître de la vie et donc… maître de la mort. Lui seul est capable de vaincre la mort. Mais une telle victoire ne se remportera pas sans la contribution de notre acte de foi.
Sarcophage décoré d’une procession funéraire avec un joueur de flûte, 4è siècle av. J.-C., nécropole de Banditaccia, Italie. Photo: Bible Places
Alors que déjà les joueurs de flûte entonnaient des mélodies tristes pour faire le deuil de la fillette, Jésus les bouscule en leur disant : « La jeune fille n’est pas morte : elle dort. » On se moque de lui, bien sûr. Quelle effronterie de sa part, pense-t-on. Elle est bel et bien morte la fillette et Jésus le sait. Néanmoins, il veut nous faire comprendre quelque chose d’essentiel : la mort est comparable au sommeil. D’ailleurs, le verbe de la résurrection en grec est aussi celui du réveil. La mort est, pour qui croit en Jésus, semblable au sommeil de la nuit ; un sommeil dont Jésus seul peut nous tirer :
« Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » (Ep 5,14).
Au fond, par ce récit d’un double miracle enchâssé, l’évangéliste exprime un condensé de la foi de la première Église en la résurrection.
18 Tandis que Jésus leur parlait ainsi, voilà qu’un notable s’approcha. Il se prosternait devant lui en disant : « Ma fille est morte à l’instant ; mais viens lui imposer la main, et elle vivra. » 19 Jésus se leva et le suivit, ainsi que ses disciples. 20 Et voici qu’une femme souffrant d’hémorragies depuis douze ans s’approcha par-derrière et toucha la frange de son vêtement. 21 Car elle se disait en elle-même : « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée. » 22 Jésus se retourna et, la voyant, lui dit : « Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée. » Et, à l’heure même, la femme fut sauvée. 23 Jésus, arrivé à la maison du notable, vit les joueurs de flûte et la foule qui s’agitait bruyamment. Il dit alors : 24 « Retirez-vous. La jeune fille n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. 25 Quand la foule fut mise dehors, il entra, lui saisit la main, et la jeune fille se leva. 26 Et la nouvelle se répandit dans toute la région. (Mt 9,18-26)
Ce texte nous donne à lire deux miracles enchâssés l’un dans l’autre. Les personnages concernés sont des femmes. La première est une fillette. La seconde est une femme mûre. Pourtant, toutes les deux souffrent d’un mal semblable : elles sont en proie à la mort. Une mort physique pour la fillette et une mort spirituelle pour l’autre femme. « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée », dit-elle. De quoi ces deux femmes seront-elles sauvées exactement?
Commençons par la femme hémorroïsse. Elle souffre de pertes de sang. Cette maladie place donc la femme dans la situation d’un mort-vivant. Parce que le sang, dans l’univers biblique, est synonyme de vie.
Tout ce qui va et vient, tout ce qui vit sera votre nourriture ; comme je vous avais donné l’herbe verte, je vous donne tout cela. Mais, avec la chair, vous ne mangerez pas le principe de vie, c’est-à-dire le sang. (Gn 9,3-4)
Le sang a donc une dimension sacrée. On ne doit pas le toucher et on ne doit pas le manger, sous peine de contracter une impureté. Mais il importe de comprendre positivement la notion d’impureté dans la Bible. On devient impur lorsqu’on franchit les limites de la vie humaine et qu’on pénètre dans le domaine de Dieu. Or, être en contact avec le sang nous introduit déjà du côté du monde divin. Il faut donc se purifier par respect pour le divin avec lequel nous avons pu malencontreusement être en proximité. L’opposition entre les deux catégories du pur et de l’impur renvoie aux domaines du profane et du sacré. Il vaudrait d’ailleurs mieux dire du profane et du saint, qadosh en hébreu. Ce terme signifie en effet « séparé ». Or, paradoxalement, c’est la juste séparation d’avec le divin qui maintient l’état de pureté tandis que s’en approcher rend impur.
Quand la distinction essentielle entre les deux sphères est rompue, il faut la restaurer pour pouvoir reprendre le cours de la vie profane. Et ce retour à la séparation, disons à la sainteté, se fait par des ablutions rituelles. Dans une telle optique, la femme hémorroïsse, à cause de sa maladie, devrait être constamment en train de se purifier. Sa vie devait être un véritable esclavage! En la guérissant, Jésus va y mettre un terme.
Rouleau de la Torah avec la mise en évidence de Lv 15,25 concernant le rapport au sang pour la femme. Photo: BiblePlaces
Lorsqu’une femme aura un écoulement de sang pendant plusieurs jours, hors de la période de ses règles, ou si elle a un écoulement qui se prolonge au-delà de la période de ses règles, elle sera impure tant que durera cet écoulement, de la même manière que pendant ses règles. (Lv 15,25)
De plus, nos deux personnages ont un grand point commun. La fillette, nous le savons par l’évangéliste Luc, a douze ans. Quant à la femme hémorroïsse, elle est malade depuis douze ans. Que signifie donc le chiffre douze dans la vie d’une femme ? L’âge à partir duquel elle peut transmettre la vie. La fillette est morte à douze ans, à l’âge de la fécondité. L’hémorroïsse est malade depuis douze ans, empêchée elle-aussi de toute fécondité. Toute le récit se situe sur cette charnière entre la vie et la mort.
La femme hémorroïsse touchant le manteau de Jésus, Chapelle Duc in Altum, Magdala. Photo: E. Pastore
Jésus va donc les libérer toutes les deux de leur impossibilité à vivre et à donner la vie. Il ressuscite la fillette, sur la demande de son père. Une demande formulée sans hésitation : « viens lui imposer la main, et elle vivra. » L’assurance avec laquelle ce père vient demander la résurrection de sa fille doit nous surprendre. Imaginez-vous à sa place. Quelle audace ! Oser demander une résurrection ! Ou plutôt, quelle foi ! Il en va de même pour l’hémorroïsse à qui Jésus dit : « Ta foi t’a sauvée. » Dans ce double miracle, c’est la foi qui sauve : foi en Jésus, maître de la vie et donc… maître de la mort. Lui seul est capable de vaincre la mort. Mais une telle victoire ne se remportera pas sans la contribution de notre acte de foi.
Sarcophage décoré d’une procession funéraire avec un joueur de flûte, 4è siècle av. J.-C., nécropole de Banditaccia, Italie. Photo: Bible Places
Alors que déjà les joueurs de flûte entonnaient des mélodies tristes pour faire le deuil de la fillette, Jésus les bouscule en leur disant : « La jeune fille n’est pas morte : elle dort. » On se moque de lui, bien sûr. Quelle effronterie de sa part, pense-t-on. Elle est bel et bien morte la fillette et Jésus le sait. Néanmoins, il veut nous faire comprendre quelque chose d’essentiel : la mort est comparable au sommeil. D’ailleurs, le verbe de la résurrection en grec est aussi celui du réveil. La mort est, pour qui croit en Jésus, semblable au sommeil de la nuit ; un sommeil dont Jésus seul peut nous tirer :
« Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » (Ep 5,14).
Au fond, par ce récit d’un double miracle enchâssé, l’évangéliste exprime un condensé de la foi de la première Église en la résurrection.