Souvent, des lieux mentionnés dans la Bible dépassent leur simple localisation géographique et revêtent une signification symbolique. Découvrons comment différents textes bibliques décrivent les espaces en les mettant au service d’une élaboration théologique.
Une fonction théologique
Dans le récit biblique, il existe des passages dont on peut dire qu’ils fournissent des cartes verbales. Ainsi, la « Carte des nations » de Genèse 10 est censée être une liste des descendants des fils de Noé après le déluge. Mais il apparaît rapidement que nombre des personnes nommées sont en fait des nations ou des peuples, parfois avec une indication de leur lieu de résidence (voir par exemple la description de l’étendue du territoire des Cananéens au verset 19). L’ensemble du chapitre est une tentative élaborée de « cartographier » le monde ancien dans lequel les histoires d’Abraham et de ses descendants sont sur le point de se dérouler.
Une grande partie de la dernière partie du Livre de Josué comprend des listes de villes et des listes de frontières, censées être les attributions de terres aux différentes tribus par Josué après la prise des terres. Que ces listes reflètent une tentative ancienne de définir les frontières et les possessions semble intrinsèquement probable, même s’il est impossible d’être certain de leurs origines. Il est également probable qu’elles révèlent une prise de conscience, soit par les rédacteurs bibliques, soit par les responsables de leurs sources, de la manière dont certaines parties du territoire ont pu être reliées à d’autres géographiquement.
Mais surtout, dans leur contexte, les indications géographiques ont une fonction théologique. Elles montrent comment s’est accomplie la promesse faite par Dieu aux ancêtres: qu’ils auraient une terre dans laquelle leurs descendants pourraient habiter. La formulation de la promesse de Dieu à Abraham en Genèse, qui inclut la déclaration qu’un territoire s’étendant du Nil à l’Euphrate serait donné à ses descendants, doit être lue comme l’expression de l’idée d’une Terre promise plutôt que comme l’indication d’un territoire effectivement occupé par des Israélites:
Gn 15, 18 21 : 18 Ce jour-là Yahvé conclut une alliance avec Abram en ces termes : « A ta postérité je donne ce pays, du Fleuve d’Egypte jusqu’au Grand Fleuve, le fleuve d’Euphrate, 19 les Qénites, les Qenizzites, les Qadmonites, 20 les Hittites, les Perizzites, les Rephaïm, 21 les Amorites, les Cananéens, les Girgashites et les Jébuséens. »
Gn 17, 8 : A toi et à ta race après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu.
Ez 47, 1.8 10 : 1 Il me ramena à l’entrée du Temple, et voici que de l’eau sortait de dessous le seuil du Temple, vers l’orient, car le Temple était tourné vers l’orient. L’eau descendait de dessous le côté droit du Temple, au sud de l’autel. […] 8 Il me dit : Cette eau s’en va vers le district oriental, elle descend dans la Araba et se dirige vers la mer ; elle se déverse dans la mer en sorte que ses eaux deviennent saines. 9 Partout où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra. Le poisson sera très abondant, car là où cette eau pénètre, elle assainit, et la vie se développe partout où va le torrent. 10 Sur le rivage, il y aura des pêcheurs. Depuis En-Gaddi jusqu’à En-Eglayim des filets seront tendus. Les poissons seront de même espèce que les poissons de la Grande mer, et très nombreux.
La signification théologique évidente de la présentation par Ezéchiel d’un Israël restauré soulève le fait qu’il existe un certain nombre de descriptions bibliques qui prétendent être géographiques, mais dont le but premier est théologique.
De même, dans le Nouveau Testament, lors de l’élaboration des récits évangéliques, certaines indications ouvertement géographiques peuvent avoir une signification théologique plus profonde.
Dans l’évangile de Marc, tout le premier ministère de Jésus se déroule en Galilée. Le point central, au milieu du récit de Marc, est la déclaration de Pierre selon laquelle Jésus est le Messie (Marc 8,27-30). Cette déclaration a lieu à Césarée de Philippe, dans la partie la plus septentrionale du pays. Puis Jésus entreprend le voyage de l’extrême nord vers le cœur religieux du pays, Jérusalem, et vers sa mort. Luc aussi présente la vie de Jésus comme un voyage au cours duquel les disciples suivent leur maître. Cela peut être significatif de la notion lucanienne de christianisme comme « voie », mentionnée à plusieurs reprises dans les Actes des Apôtres (Ac 9,2 ; 19,9.23 ; 24,14.22).
Jérusalem, le nombril de la terre
La conscience de la géographie réelle permet d’apprécier comme théologiques certaines déclarations apparemment géographiques sur Jérusalem, et en particulier sur le mont Sion sur lequel se situe le Temple. Dans le psaume 48, 1-3, il semble être fait référence au fait que Sion est située « à l’extrême nord »:
Ps 48, 1 3 : 1 Chant, psaume. Des fils de Coré. 2 Il est grand, le Seigneur, il est comblé de louanges, dans la ville de notre Dieu, sa montagne sainte. 3 Belle et altière, elle réjouit toute la terre. L’Extrême-Nord, c’est la montagne de Sion, la cité du grand roi.
Mais que Sion soit située au nord n’a pas de sens géographiquement. Le mot hébreu pour « nord » est probablement dérivé du nom du mont Zaphon (l’actuel Djebel el-Aqra en Syrie) qui, selon les textes d’Ugarit, était la demeure des dieux et où Baal avait son palais. Le psalmiste ne situe donc pas Sion géographiquement, mais la revendique ou l’assimile à la demeure divine, c’est-à-dire le lieu où se trouve le Temple.
Dans le psaume 46,4, l’association probable de Jérusalem (bien que la ville ne soit pas nommée) à un fleuve avec des ruisseaux, rappelle davantage l’image d’Ézéchiel 47 que la situation réelle.
Ps 46, 4 : Leurs eaux grondent en écumant, elles se soulèvent et les montagnes tremblent.
Le petit ruisseau qui sort de la source du Gihon, la source de la ville de Jérusalem, ne correspond guère à la description. Mais il n’est pas exclu que cette représentation doive quelque chose à la tradition du fleuve qui sortait du jardin d’Eden et se divisait en quatre branches, dont l’une est nommée Gihon (Gn 2,10-14). Jérusalem est peut-être assimilée à l’Eden:
Gn 2, 10 14 : 10 Un fleuve sortait d’Éden pour irriguer le jardin ; de là il se partageait pour former quatre bras. 11 L’un d’eux s’appelait Pishôn : c’est lui qui entoure tout le pays de Hawila où se trouve l’or 12 -et l’or de ce pays est bon-ainsi que le bdellium et la pierre d’onyx. 13 Le deuxième fleuve s’appelait Guihôn ; c’est lui qui entoure tout le pays de Koush. 14 Le troisième fleuve s’appelait Tigre ; il coule à l’orient d’Assour. Le quatrième fleuve, c’était l’Euphrate.
L’oracle conservé dans Isaïe 2,2 et Michée 4,1, parlant de l’avenir, envisage que « la montagne de la maison de Dieu » (c’est-à-dire Sion) devienne « la plus haute des montagnes » et « s’élève au-dessus des collines »:
Is 2, 2 : Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront.
Mi 4, 1 : Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et elle dominera les collines. Des peuples y afflueront.
Sion est en effet surplombée par des collines plus élevées, comme le mont des Oliviers. Ce qui est envisagé n’est pas un bouleversement géographique, mais une transformation théologique.
Dans ce contexte, il convient également de mentionner le fait que, dans la Bible, il y a quelques allusions possibles à la croyance qu’Israël, ou quelque part en Israël, en particulier Jérusalem, était le « nombril » ou le centre même du monde. Dans le livre d’Ézéchiel, les Israélites sont décrits comme ceux « qui vivent au centre de la terre » (Ez 38,12). Le mot hébreu traduit par « centre » et dans la traduction grecque, la Septante, le mot est rendu par omphalos ou « nombril »:
Ez 38, 12 : Tu viendras pour entasser du butin, pour piller et tourner ta main contre des ruines repeuplées, contre un peuple rassemblé d’entre les nations qui s’occupe de son bétail et de ses biens, et habite le Nombril de la terre.
Une tentative relativement précoce de cartographier les terres de la Bible peut être observée dans le remarquable sol mosaïque, découvert vers la fin du XIXe siècle, dans une église byzantine de Madaba en Jordanie, datant probablement du VIe siècle de notre ère. La carte situe les différents lieu de pèlerinages chrétiens de l’époque. Jérusalem y figure en bonne et due place à travers une représentation qui fait d’elle LA ville sainte devant toutes les autres villes. La carte montre plusieurs détails de la ville de Jérusalem telle qu’elle était à l’époque, notamment l’église du Saint-Sépulcre et d’autres églises, les rues bordées de colonnes, les murs et les portes de la ville. Elle incorpore un certain nombre de citations bibliques, et la carte a apporté une contribution significative à la connaissance de la topographie de la région. Pour le détail, veuillez vous reporter à notre page dédiée à la mosaïque.
Photo: E. Pastore
En conclusion, la géographie sacrée de la Bible montre comment les espaces et les lieux peuvent transcender leur aspect tangible pour devenir porteurs de significations symboliques. La topographie a été utilisée par les écrivains bibliques pour véhiculer des messages théologiques, voire moralisateurs.


