La Bible dite des Septante est la traduction en grec de la Bible hébraïque. Quelle sont les raisons de la traduction de la Bible en grec au 2ème siècle av. JC? Toujours est-il que le résultat fait qu’aujourd’hui nous avons « deux » Bibles. Qu’en penser? L’une d’elle est-elle plus fiable que l’autre? L’une est-elle plus inspirée que l’autre?
Les raisons pour lesquelles la Bible hébraïque a été traduite sont exprimées dans la lettre d’Aristée, un écrit du 1er siècle av. JC. Cette lettre raconte comment le roi Ptolémée II Philadelphie, roi d’Egypte au 3è s. av. JC, aurait commandé cette traduction pour la fameuse bibliothèque d’Alexandrie. La lettre évoque 70 ou 72 Anciens qui auraient travaillé à la traduction du Pentateuque, d’où le nom « Bible des Septante » donné à cette traduction de la Bible. Ces 70 traducteurs auraient travaillé sur l’îlot de Pharos, face à la ville d’Alexandrie, et auraient produit une traduction unanime.
Plus tard, la légende autour de l’origine de cette traduction est développée et l’aspect surnaturel est accentué. On lit chez Irénée de Lyon que les 70 traducteurs ont travaillé séparément pendant 72 jours et qu’à l’issue de leur travail, lorsqu’ils ont mis en commun leur traduction, elles étaient toutes absolument identiques! L’intention derrière cette légende miraculeuse est bien sûr de dire que la traduction grecque de la Bible est tout aussi inspirée par l’Esprit Saint que la Bible hébraïque! En effet, la Bible des Septante était devenue la Bible nationale et donc la Bible de référence pour les juifs d’Egypte qui, dans les derniers siècles avant l’ère chrétienne ne comprenaient plus l’hébreu.
Voici un extrait de la lettre d’Aristée où le projet de traduction des livres sacrés des Juifs est formulé:
[29] Comme il soit ainsi, Sire, que vous eussiez délibéré de faire chercher livres de toutes parts qui peuvent servir à emploi et orner votre librairie, je vous avise qu’en ayant fait diligente inquisition, j’ai trouvé qu’il s’en faillait le livre de la loi des Juifs et quelque peu d’autres. [30] Laquelle loi est écrite en lettre et langage hébraïques, à cause de quoi et qu’elle n’est entendue que par ceux de la nation, elle n’a pu encore venir entre [31] nos mains. Mais elle vaut bien qu’elle soit aussi entre vos autres livres tant pour la sagesse qui est dedans que pour la hautesse qui est divine. Et pour cette raison, il est fait souvent mention de ces livres-ci aux poètes et historiens, parce que cette loi sert grandement à dresser les mœurs et forme de vivre et instituer les républiques pour l’excellence des gens et la révérence des choses qui y sont décrites, ainsi que dit Hecateus Abdérite. [32] Par quoi, Sire, s’il nous semble bon que lettres soient dépêchées par devers le pontife en Jérusalem, qu’il nous envoie de chacune lignée six personnes, gens bien morigénés et vénérables et fort savants et entendus en l’intelligence de la loi, à cette fin qu’après que plusieurs auront employé tout leur entendement à l’interpréter, qu’ils tirent et élisent ce qui sera consonant et propre et mettent à exécution une chose digne de telle entreprise et de votre bon plaisir. Dieu vous maintienne en prospérité et bonne santé. (Extrait de la Lettre d’Aristée, Léon Herrmann, Une traduction française inédite de la lettre d’Aristée. (manuscrit français 19491 de la Bibliothèque Nationale), Revue belge de Philologie et d’Histoire, Année 1966 44-1 pp. 25-53.)
Cependant, sur la question de l’inspiration de la Septante, il y a débat. Saint Jérôme (347-420) ne se contentait pas de la traduction grecque de la Bible. C’est pourquoi il a entrepris un travail monumental pour retraduire la Bible (en latin), non pas à partir du grec de la Septante, mais en revenant à l’hébreu. Il argumentait que l’hébreu offre un accès plus sûr à la Parole de Dieu, tandis que la Bible en grec n’est que sa traduction.
Mais un autre grand saint, également docteur, Augustin (354-430), a beaucoup débattu avec Jérôme. Pour Augustin, la traduction grecque est tout aussi inspirée que celle de l’hébreu. La principale raison à cela est que l’Eglise des premiers siècles n’a connu la Bible que dans sa traduction grecque. L’Eglise s’est nourrie de la Bible des Septante et s’est édifiée théologiquement et spirituellement à partir cette version. Pour Augustin, la Bible grecque est donc nécessairement inspirée de l’Esprit Saint.
Une large correspondance entre ces deux saints et docteurs témoigne des vives discussions qu’ils ont eues ensemble sur la question de l’inspiration des différentes versions. Mais alors, que penser de cette diversité de positions? Il me semble qu’il faut répondre en maintenant la valeur des deux textes.
Ce sont en définitive deux textes, tous deux sont inspirés, tous deux sont accueillis avec une déférence et une dévotion égales pour ce que chacun d’eux dit et est. On ne peut effectuer une contamination de l’un à l’autre parce que ce faisant, on arriverait à un troisième texte qui ne serait plus ni le texte hébraïque (TM) ni le texte des Septante. (L. Mortari, cité dans Cahiers Evangile Supplément 156 « Les Juifs d’Alexandrie et leurs écrits », 2011 Claude Tassin p. 78.)
Ce débat passionnant n’est pas sans intérêt pour nous aujourd’hui. En effet, dans la liturgie, nous écoutons la traduction de la Bible dans notre langue faite à partir de la traduction latine qui est elle-même faite par Jérôme à partir de la Bible hébraïque. Cela signifie que nous n’avons accès au texte biblique que par l’intermédiaire de traduction de traduction. Il faut même abandonner l’idée d’atteindre un texte original. Cela est impossible, puisque le texte nous a été transmis par des copies de copies de copies et des traductions de traductions de traductions…
D’ailleurs, la Bible hébraïque n’est pas forcément plus ancienne que la Bible grecque des Septante. A ce jour, la recherche en exégèse montre que certains passages de la Bible grecque sont plus anciens que la Bible hébraïque! Cela renverse complétement la logique qui voudrait que la Bible grecque soit secondaire par rapport à la Bible hébraïque.
Cela nous invite à considérer l’Écriture Sainte dans la diversité de son conditionnement humain et de son accueil par une communauté de croyants qui par elle, a accès à la Parole de Dieu. En définitive, la Parole de Dieu est proclamée de manière polyphonique. (Ph. Hugo, Les deux visages d’Élie, p. 330.)
Si l’on va plus loin encore, on pourrait se demander si, plutôt que de chercher l’inspiration dans le texte le plus ancien, il ne faut pas plutôt la chercher dans le texte le plus récent. Car, finalement, un texte n’est inspiré que s’il est encore lu et médité dans l’Église. Un texte qui n’est lu par personne n’a plus rien d’inspiré, puisqu’il ne sert à plus rien.
Finalement, l’inspiration ne concerne pas que l’auteur des écritures, mais aussi le lecteur des écritures. On pourrait bien dire que l’inspiration n’est pas dans les textes, mais dans la communauté croyante les lit. Cela bouscule l’idée qu’on s’est parfois faite de l’inspiration, celle de l’inspiration comme une influence extérieure et objective de l’Esprit sur les écrivains sacrés. En fait, cette action de l’Esprit Saint à travers les écrivains sacrés se vérifie justement dans le fait que leurs écrits sont reçus par leurs lecteurs, c’est-à-dire qu’ils sont « inspirants » pour ceux qui les lisent.
S’il fallait donner une définition de l’inspiration, on pourrait dire qu’elle est l’action de l’Esprit Saint qui fait résonner la Parole vivante de Dieu dans la parole humaine des écritures pour les croyants.
Cela a encore une autre conséquence: l’impossibilité de déterminer la personne ou le moment précis de l’inspiration. Il faut plutôt envisager l’inspiration comme un processus, comme un accompagnement de l’Esprit Saint qui encadre le parcours qui a permis aux écritures de subsister jusqu’à nous, par le biais de relectures, de réécritures et même de traductions. C’est donc ce long processus dans le temps de l’histoire du peuple d’Israël et de l’Église qui est inspiré. Et ce processus n’est pas terminé puisqu’il nous atteint aujourd’hui, nous, les croyants.
Emanuelle Pastore
La Bible dite des Septante est la traduction en grec de la Bible hébraïque. Quelle sont les raisons de la traduction de la Bible en grec au 2ème siècle av. JC? Toujours est-il que le résultat fait qu’aujourd’hui nous avons « deux » Bibles. Qu’en penser? L’une d’elle est-elle plus fiable que l’autre? L’une est-elle plus inspirée que l’autre?
Les raisons pour lesquelles la Bible hébraïque a été traduite sont exprimées dans la lettre d’Aristée, un écrit du 1er siècle av. JC. Cette lettre raconte comment le roi Ptolémée II Philadelphie, roi d’Egypte au 3è s. av. JC, aurait commandé cette traduction pour la fameuse bibliothèque d’Alexandrie. La lettre évoque 70 ou 72 Anciens qui auraient travaillé à la traduction du Pentateuque, d’où le nom « Bible des Septante » donné à cette traduction de la Bible. Ces 70 traducteurs auraient travaillé sur l’îlot de Pharos, face à la ville d’Alexandrie, et auraient produit une traduction unanime.
Plus tard, la légende autour de l’origine de cette traduction est développée et l’aspect surnaturel est accentué. On lit chez Irénée de Lyon que les 70 traducteurs ont travaillé séparément pendant 72 jours et qu’à l’issue de leur travail, lorsqu’ils ont mis en commun leur traduction, elles étaient toutes absolument identiques! L’intention derrière cette légende miraculeuse est bien sûr de dire que la traduction grecque de la Bible est tout aussi inspirée par l’Esprit Saint que la Bible hébraïque! En effet, la Bible des Septante était devenue la Bible nationale et donc la Bible de référence pour les juifs d’Egypte qui, dans les derniers siècles avant l’ère chrétienne ne comprenaient plus l’hébreu.
Voici un extrait de la lettre d’Aristée où le projet de traduction des livres sacrés des Juifs est formulé:
[29] Comme il soit ainsi, Sire, que vous eussiez délibéré de faire chercher livres de toutes parts qui peuvent servir à emploi et orner votre librairie, je vous avise qu’en ayant fait diligente inquisition, j’ai trouvé qu’il s’en faillait le livre de la loi des Juifs et quelque peu d’autres. [30] Laquelle loi est écrite en lettre et langage hébraïques, à cause de quoi et qu’elle n’est entendue que par ceux de la nation, elle n’a pu encore venir entre [31] nos mains. Mais elle vaut bien qu’elle soit aussi entre vos autres livres tant pour la sagesse qui est dedans que pour la hautesse qui est divine. Et pour cette raison, il est fait souvent mention de ces livres-ci aux poètes et historiens, parce que cette loi sert grandement à dresser les mœurs et forme de vivre et instituer les républiques pour l’excellence des gens et la révérence des choses qui y sont décrites, ainsi que dit Hecateus Abdérite. [32] Par quoi, Sire, s’il nous semble bon que lettres soient dépêchées par devers le pontife en Jérusalem, qu’il nous envoie de chacune lignée six personnes, gens bien morigénés et vénérables et fort savants et entendus en l’intelligence de la loi, à cette fin qu’après que plusieurs auront employé tout leur entendement à l’interpréter, qu’ils tirent et élisent ce qui sera consonant et propre et mettent à exécution une chose digne de telle entreprise et de votre bon plaisir. Dieu vous maintienne en prospérité et bonne santé. (Extrait de la Lettre d’Aristée, Léon Herrmann, Une traduction française inédite de la lettre d’Aristée. (manuscrit français 19491 de la Bibliothèque Nationale), Revue belge de Philologie et d’Histoire, Année 1966 44-1 pp. 25-53.)
Cependant, sur la question de l’inspiration de la Septante, il y a débat. Saint Jérôme (347-420) ne se contentait pas de la traduction grecque de la Bible. C’est pourquoi il a entrepris un travail monumental pour retraduire la Bible (en latin), non pas à partir du grec de la Septante, mais en revenant à l’hébreu. Il argumentait que l’hébreu offre un accès plus sûr à la Parole de Dieu, tandis que la Bible en grec n’est que sa traduction.
Mais un autre grand saint, également docteur, Augustin (354-430), a beaucoup débattu avec Jérôme. Pour Augustin, la traduction grecque est tout aussi inspirée que celle de l’hébreu. La principale raison à cela est que l’Eglise des premiers siècles n’a connu la Bible que dans sa traduction grecque. L’Eglise s’est nourrie de la Bible des Septante et s’est édifiée théologiquement et spirituellement à partir cette version. Pour Augustin, la Bible grecque est donc nécessairement inspirée de l’Esprit Saint.
Une large correspondance entre ces deux saints et docteurs témoigne des vives discussions qu’ils ont eues ensemble sur la question de l’inspiration des différentes versions. Mais alors, que penser de cette diversité de positions? Il me semble qu’il faut répondre en maintenant la valeur des deux textes.
Ce sont en définitive deux textes, tous deux sont inspirés, tous deux sont accueillis avec une déférence et une dévotion égales pour ce que chacun d’eux dit et est. On ne peut effectuer une contamination de l’un à l’autre parce que ce faisant, on arriverait à un troisième texte qui ne serait plus ni le texte hébraïque (TM) ni le texte des Septante. (L. Mortari, cité dans Cahiers Evangile Supplément 156 « Les Juifs d’Alexandrie et leurs écrits », 2011 Claude Tassin p. 78.)
Ce débat passionnant n’est pas sans intérêt pour nous aujourd’hui. En effet, dans la liturgie, nous écoutons la traduction de la Bible dans notre langue faite à partir de la traduction latine qui est elle-même faite par Jérôme à partir de la Bible hébraïque. Cela signifie que nous n’avons accès au texte biblique que par l’intermédiaire de traduction de traduction. Il faut même abandonner l’idée d’atteindre un texte original. Cela est impossible, puisque le texte nous a été transmis par des copies de copies de copies et des traductions de traductions de traductions…
D’ailleurs, la Bible hébraïque n’est pas forcément plus ancienne que la Bible grecque des Septante. A ce jour, la recherche en exégèse montre que certains passages de la Bible grecque sont plus anciens que la Bible hébraïque! Cela renverse complétement la logique qui voudrait que la Bible grecque soit secondaire par rapport à la Bible hébraïque.
Cela nous invite à considérer l’Écriture Sainte dans la diversité de son conditionnement humain et de son accueil par une communauté de croyants qui par elle, a accès à la Parole de Dieu. En définitive, la Parole de Dieu est proclamée de manière polyphonique. (Ph. Hugo, Les deux visages d’Élie, p. 330.)
Si l’on va plus loin encore, on pourrait se demander si, plutôt que de chercher l’inspiration dans le texte le plus ancien, il ne faut pas plutôt la chercher dans le texte le plus récent. Car, finalement, un texte n’est inspiré que s’il est encore lu et médité dans l’Église. Un texte qui n’est lu par personne n’a plus rien d’inspiré, puisqu’il ne sert à plus rien.
Finalement, l’inspiration ne concerne pas que l’auteur des écritures, mais aussi le lecteur des écritures. On pourrait bien dire que l’inspiration n’est pas dans les textes, mais dans la communauté croyante les lit. Cela bouscule l’idée qu’on s’est parfois faite de l’inspiration, celle de l’inspiration comme une influence extérieure et objective de l’Esprit sur les écrivains sacrés. En fait, cette action de l’Esprit Saint à travers les écrivains sacrés se vérifie justement dans le fait que leurs écrits sont reçus par leurs lecteurs, c’est-à-dire qu’ils sont « inspirants » pour ceux qui les lisent.
S’il fallait donner une définition de l’inspiration, on pourrait dire qu’elle est l’action de l’Esprit Saint qui fait résonner la Parole vivante de Dieu dans la parole humaine des écritures pour les croyants.
Cela a encore une autre conséquence: l’impossibilité de déterminer la personne ou le moment précis de l’inspiration. Il faut plutôt envisager l’inspiration comme un processus, comme un accompagnement de l’Esprit Saint qui encadre le parcours qui a permis aux écritures de subsister jusqu’à nous, par le biais de relectures, de réécritures et même de traductions. C’est donc ce long processus dans le temps de l’histoire du peuple d’Israël et de l’Église qui est inspiré. Et ce processus n’est pas terminé puisqu’il nous atteint aujourd’hui, nous, les croyants.
Emanuelle Pastore