Il apparaît clairement que les auteurs bibliques opérant dans l’exil babylonien se sont ouverts à l’intellectualité du monde qui les entourait et l’ont sans doute trouvée supérieure à la leur et donc digne d’être prise en compte. Ainsi, dans le contexte de la vie à Babylone – qui est un contexte de nouveaux savoirs – est apparue la nécessité pour les Israélites d’adapter leurs propres traditions au niveau des connaissances babyloniennes, afin de rester compétitif sur le plan scientifique. Nous présentons ici deux exemples qui pourraient indiquer comment les auteurs bibliques se sont inspirés de coutumes mésopotamiennes lors des célébrations du Nouve-An: le premier est tiré du livre d’Isaïe, le second du livre d’Ézéchiel.
Dans le livre d’Isaïe
La tradition du Deutéro-Isaïe (Is 40–55) remonte à un prophète anonyme actif dans l’exil babylonien, ou à un groupe de prophètes, et a été intégrée au livre d’Isaïe. Le prologue avec sa représentation d’une procession aussi puissante que miraculeuse de YHWH à travers le désert pour retourner à Sion semble être basé sur les expériences de Judéens exilés ayant assisté à la célébration monumentale du Nouvel-An à Babylone, avec ses fastueuses processions de dieux, pour lesquels le retour de leur propre Dieu à Jérusalem ne saurait être un événement moins grandiose, mais au contraire encore plus prodigieux :
Dans Isaïe 40,3, on appelle à tracer une route processionnelle pour Dieu, afin qu’il puisse retourner dans son sanctuaire à Sion/Jérusalem. Cette description d’Isaïe n’est vraiment compréhensible qu’avec la célébration du Nouvel An babylonien en toile de fond et elle montre que la sphère numineuse du Dieu biblique ne pouvait pas rester en deçà de celle de ses équivalents mésopotamiens.
La célébration du nouvel an babylonien
La fête du Nouvel An babylonien, appelée Akitu du mois de Nisanu, marque l’équinoxe de printemps et dure douze jours pendant lesquels sont célébrés les dieux Marduk et Nabû, ainsi que la ville de Babylone.
Le terme « équinoxe » vient du latin æquinoctium, qui lie æequs (égal) à nox (nuit), et désigne le moment où la durée du jour est égale à celle de la nuit. Pour l’équinoxe de printemps, cela se produit généralement le 20 ou le 21 du mois de mars selon les années.
Le point d’orgue de la fête babylonienne est atteint le huitième jour, au moment de la procession rassemblant les souverains humain et divin. Cette cérémonie a lieu sur la Voie processionnelle et passe sous la célèbre Porte d’Ištar – toutes deux reconstituées au Pergamon Museum de Berlin – pour s’achever en dehors des remparts, au temple de l’akitu, où des rituels sont accomplis lors des derniers jours de la fête.
Cette fête, la plus importante et la plus solennelle du calendrier babylonien, résultait de la confluence de deux courants de pensée religieuse : un culte de la fertilité qui se rattachait au rite du ‘mariage sacré’, et un concept cosmogonique qui impliquait une remise en cause annuelle de l’ordre du monde. L’akitu était à l’origine, manifestement, une fête saisonnière de la fertilité et du renouveau ; elle est devenue, on ne sait par quel processus, le point cardinal de la religion assyro-babylonienne.
Les douze jours de fête étaient centrés sur le culte de Mardouk. Le roi recevait le pardon pour ses péchés (ceux du pays), et où avait lieu une représentation théâtrale du combat primordial de l’Enuma Elish (Épopée de la Création : texte mythologique affirmant la suprématie de Marduk, faisant de lui le roi des dieux et le créateur du monde selon la théologie babylonienne). Dans une société agricole comme la Mésopotamie, on saisit donc l’importance d’une telle cérémonie. Tous les grands dieux du pays, par le biais de leur statue de culte, venaient de Babylone et de Borsippa lui rendre hommage. Le roi lui-même guidait le dieu suprême. Le souverain était censé participer à ce rituel, mais lorsqu’il lui était impossible d’être présent, il pouvait se faire représenter par son manteau d’apparat, brodé de pourpre. Les dieux se réunissent dans le palais du roi, le saluent avec crainte, se tiennent agenouillés devant lui pendant que les destins se fixent irrévocablement pour l’année entière. Les gens chantaient alors toutes sortes de chansons. La suppression de ces solennités, en temps de guerre ou de malheurs publics, était une calamité dont on faisait mention dans les annales de la cité. Les cérémonies incluaient des rites de caractère magique et d’exorcisme pour expulser les « démons du chaos ».
Le déroulement des célébrations
Au premier jour, on ouvre les portes du temple du dieu (Esagil).
Le deuxième jour, le grand prêtre de Marduk (appelé « grand frère ») se lave dans les eaux sacrées du fleuve (l’Euphrate) et demande les faveurs du dieu pour son peuple et son pays.
Au troisième jour, il fait forger deux statuettes, une en cèdre, l’autre en tamaris.Le quatrième jour, au matin, le prêtre récite une prière au dieu dans le temple qu’il bénit ensuite. Le soir du même jour, il récite l’Enuma Elish à son dieu.
Gauche: zigurrat et temple de Marduk (Esagil). Centre: voie processionnelle et porte d’Ishtar. Droite: plan de Babylone
Le douzième jour, les dieux qui s’étaient rendus à la fête du Nouvel An rentrent dans leur ville.
Dans le livre d’Ézéchiel
« 4 Je regardai : c’était un vent de tempête soufflant du nord, un gros nuage, un feu jaillissant, avec une lueur autour, et au centre comme l’éclat du vermeil au milieu du feu. 5 Au centre, je discernai quelque chose qui ressemblait à quatre animaux dont voici l’aspect : ils avaient une forme humaine. 6 Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes. 7 Leurs jambes étaient droites et leurs sabots étaient comme des sabots de bœuf, étincelants comme l’éclat de l’airain poli. […] 22 Il y avait sur les têtes de l’animal quelque chose qui ressemblait à une voûte, éclatante comme le cristal, tendue sur leurs têtes, au-dessus, 23 et sous la voûte, leurs ailes étaient dressées l’une vers l’autre ; chacun en avait deux lui couvrant le corps. […] 26 Au-dessus de la voûte qui était sur leurs têtes, il y avait quelque chose qui avait l’aspect d’une pierre de saphir en forme de trône, et sur cette forme de trône, dessus, tout en haut, un être ayant apparence humaine. 27 Et je vis comme l’éclat du vermeil, quelque chose comme du feu près de lui, tout autour, depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessus ; et depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessous, je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout autour ; 28 l’aspect de cette lueur, tout autour, était comme l’aspect de l’arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. C’était quelque chose qui ressemblait à la gloire de Yahvé. Je regardai, et je tombai la face contre terre ; et j’entendis la voix de quelqu’un qui me parlait. » (Ez 1, 4‑7.22‑23.26‑28)
Une comparaison d’Ézéchiel 1 avec le programme pictural d’un sceau-cylindre ancien-oriental de l’époque d’Assurbanipal (669-627 av. J.-C.) illustre combien cette vision est influencée par des exemples mésopotamiens:
La scène représentée montre en son centre une divinité ailée debout sur un cheval et reliée, au niveau des hanches, à un plateau porté par deux hommes-taureaux. En haut à gauche apparaît une étoile à huit rayons, en haut à droite se voient les restes d’un croissant de lune. L’image est encadrée à gauche par un prêtre en costume de poisson et à droite par un homme qui prie en direction de la divinité. Cet ensemble indique clairement qu’il s’agit de la représentation anthropomorphique du dieu du soleil, qui est rattaché au firmament céleste, lequel est à son tour porté par des êtres hybrides.
Cette constellation cosmologique constitue la toile de fond d’Ézéchiel 1. Dans le même registre que le programme pictural du sceau, le livre d’Ézéchiel dépeint un plateau céleste, porté par des êtres hybrides, séparant la sphère terrestre de la sphère divine. Mais à la différence de la représentation sur le sceau, le livre d’Ézéchiel ne situe pas la figure divine près du plateau lui-même, mais place son trône en élévation au-dessus. La proximité comme la distance de l’œuvre d’art sigillaire et du texte biblique, aussi significatifs l’une que l’autre, semblent évidentes.
Bibliographie
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Konrad Schmid, Les origines de la Bible, Genève, Labor et Fides, 2021.
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Cousin Laura, « Babylone, ville des dieux et des rois », Histoire urbaine, 2019/3 (n° 56), p. 11-33.
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Wikipédia, L’encyclopédie libre, « Akitu ».
Il apparaît clairement que les auteurs bibliques opérant dans l’exil babylonien se sont ouverts à l’intellectualité du monde qui les entourait et l’ont sans doute trouvée supérieure à la leur et donc digne d’être prise en compte. Ainsi, dans le contexte de la vie à Babylone – qui est un contexte de nouveaux savoirs – est apparue la nécessité pour les Israélites d’adapter leurs propres traditions au niveau des connaissances babyloniennes, afin de rester compétitif sur le plan scientifique. Nous présentons ici deux exemples qui pourraient indiquer comment les auteurs bibliques se sont inspirés de coutumes mésopotamiennes lors des célébrations du Nouve-An: le premier est tiré du livre d’Isaïe, le second du livre d’Ézéchiel.
Dans le livre d’Isaïe
La tradition du Deutéro-Isaïe (Is 40–55) remonte à un prophète anonyme actif dans l’exil babylonien, ou à un groupe de prophètes, et a été intégrée au livre d’Isaïe. Le prologue avec sa représentation d’une procession aussi puissante que miraculeuse de YHWH à travers le désert pour retourner à Sion semble être basé sur les expériences de Judéens exilés ayant assisté à la célébration monumentale du Nouvel-An à Babylone, avec ses fastueuses processions de dieux, pour lesquels le retour de leur propre Dieu à Jérusalem ne saurait être un événement moins grandiose, mais au contraire encore plus prodigieux :
Dans Isaïe 40,3, on appelle à tracer une route processionnelle pour Dieu, afin qu’il puisse retourner dans son sanctuaire à Sion/Jérusalem. Cette description d’Isaïe n’est vraiment compréhensible qu’avec la célébration du Nouvel An babylonien en toile de fond et elle montre que la sphère numineuse du Dieu biblique ne pouvait pas rester en deçà de celle de ses équivalents mésopotamiens.
La célébration du nouvel an babylonien
La fête du Nouvel An babylonien, appelée Akitu du mois de Nisanu, marque l’équinoxe de printemps et dure douze jours pendant lesquels sont célébrés les dieux Marduk et Nabû, ainsi que la ville de Babylone.
Le terme « équinoxe » vient du latin æquinoctium, qui lie æequs (égal) à nox (nuit), et désigne le moment où la durée du jour est égale à celle de la nuit. Pour l’équinoxe de printemps, cela se produit généralement le 20 ou le 21 du mois de mars selon les années.
Le point d’orgue de la fête babylonienne est atteint le huitième jour, au moment de la procession rassemblant les souverains humain et divin. Cette cérémonie a lieu sur la Voie processionnelle et passe sous la célèbre Porte d’Ištar – toutes deux reconstituées au Pergamon Museum de Berlin – pour s’achever en dehors des remparts, au temple de l’akitu, où des rituels sont accomplis lors des derniers jours de la fête.
Cette fête, la plus importante et la plus solennelle du calendrier babylonien, résultait de la confluence de deux courants de pensée religieuse : un culte de la fertilité qui se rattachait au rite du ‘mariage sacré’, et un concept cosmogonique qui impliquait une remise en cause annuelle de l’ordre du monde. L’akitu était à l’origine, manifestement, une fête saisonnière de la fertilité et du renouveau ; elle est devenue, on ne sait par quel processus, le point cardinal de la religion assyro-babylonienne.
Les douze jours de fête étaient centrés sur le culte de Mardouk. Le roi recevait le pardon pour ses péchés (ceux du pays), et où avait lieu une représentation théâtrale du combat primordial de l’Enuma Elish (Épopée de la Création : texte mythologique affirmant la suprématie de Marduk, faisant de lui le roi des dieux et le créateur du monde selon la théologie babylonienne). Dans une société agricole comme la Mésopotamie, on saisit donc l’importance d’une telle cérémonie. Tous les grands dieux du pays, par le biais de leur statue de culte, venaient de Babylone et de Borsippa lui rendre hommage. Le roi lui-même guidait le dieu suprême. Le souverain était censé participer à ce rituel, mais lorsqu’il lui était impossible d’être présent, il pouvait se faire représenter par son manteau d’apparat, brodé de pourpre. Les dieux se réunissent dans le palais du roi, le saluent avec crainte, se tiennent agenouillés devant lui pendant que les destins se fixent irrévocablement pour l’année entière. Les gens chantaient alors toutes sortes de chansons. La suppression de ces solennités, en temps de guerre ou de malheurs publics, était une calamité dont on faisait mention dans les annales de la cité. Les cérémonies incluaient des rites de caractère magique et d’exorcisme pour expulser les « démons du chaos ».
Le déroulement des célébrations
Au premier jour, on ouvre les portes du temple du dieu (Esagil).
Le deuxième jour, le grand prêtre de Marduk (appelé « grand frère ») se lave dans les eaux sacrées du fleuve (l’Euphrate) et demande les faveurs du dieu pour son peuple et son pays.
Au troisième jour, il fait forger deux statuettes, une en cèdre, l’autre en tamaris.Le quatrième jour, au matin, le prêtre récite une prière au dieu dans le temple qu’il bénit ensuite. Le soir du même jour, il récite l’Enuma Elish à son dieu.
Gauche: zigurrat et temple de Marduk (Esagil). Centre: voie processionnelle et porte d’Ishtar. Droite: plan de Babylone
Le douzième jour, les dieux qui s’étaient rendus à la fête du Nouvel An rentrent dans leur ville.
Dans le livre d’Ézéchiel
« 4 Je regardai : c’était un vent de tempête soufflant du nord, un gros nuage, un feu jaillissant, avec une lueur autour, et au centre comme l’éclat du vermeil au milieu du feu. 5 Au centre, je discernai quelque chose qui ressemblait à quatre animaux dont voici l’aspect : ils avaient une forme humaine. 6 Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes. 7 Leurs jambes étaient droites et leurs sabots étaient comme des sabots de bœuf, étincelants comme l’éclat de l’airain poli. […] 22 Il y avait sur les têtes de l’animal quelque chose qui ressemblait à une voûte, éclatante comme le cristal, tendue sur leurs têtes, au-dessus, 23 et sous la voûte, leurs ailes étaient dressées l’une vers l’autre ; chacun en avait deux lui couvrant le corps. […] 26 Au-dessus de la voûte qui était sur leurs têtes, il y avait quelque chose qui avait l’aspect d’une pierre de saphir en forme de trône, et sur cette forme de trône, dessus, tout en haut, un être ayant apparence humaine. 27 Et je vis comme l’éclat du vermeil, quelque chose comme du feu près de lui, tout autour, depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessus ; et depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessous, je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout autour ; 28 l’aspect de cette lueur, tout autour, était comme l’aspect de l’arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. C’était quelque chose qui ressemblait à la gloire de Yahvé. Je regardai, et je tombai la face contre terre ; et j’entendis la voix de quelqu’un qui me parlait. » (Ez 1, 4‑7.22‑23.26‑28)
Une comparaison d’Ézéchiel 1 avec le programme pictural d’un sceau-cylindre ancien-oriental de l’époque d’Assurbanipal (669-627 av. J.-C.) illustre combien cette vision est influencée par des exemples mésopotamiens:
La scène représentée montre en son centre une divinité ailée debout sur un cheval et reliée, au niveau des hanches, à un plateau porté par deux hommes-taureaux. En haut à gauche apparaît une étoile à huit rayons, en haut à droite se voient les restes d’un croissant de lune. L’image est encadrée à gauche par un prêtre en costume de poisson et à droite par un homme qui prie en direction de la divinité. Cet ensemble indique clairement qu’il s’agit de la représentation anthropomorphique du dieu du soleil, qui est rattaché au firmament céleste, lequel est à son tour porté par des êtres hybrides.
Cette constellation cosmologique constitue la toile de fond d’Ézéchiel 1. Dans le même registre que le programme pictural du sceau, le livre d’Ézéchiel dépeint un plateau céleste, porté par des êtres hybrides, séparant la sphère terrestre de la sphère divine. Mais à la différence de la représentation sur le sceau, le livre d’Ézéchiel ne situe pas la figure divine près du plateau lui-même, mais place son trône en élévation au-dessus. La proximité comme la distance de l’œuvre d’art sigillaire et du texte biblique, aussi significatifs l’une que l’autre, semblent évidentes.
Bibliographie
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Konrad Schmid, Les origines de la Bible, Genève, Labor et Fides, 2021.
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Cousin Laura, « Babylone, ville des dieux et des rois », Histoire urbaine, 2019/3 (n° 56), p. 11-33.
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Wikipédia, L’encyclopédie libre, « Akitu ».