Sur le plan archéologique, les débuts de l’histoire d’Israël au XIIIe siècle avant l’ère chrétienne correspondent à la transition de l’âge du Bronze récent vers l’âge de Fer. Vers le milieu du deuxième millénaire, le Levant est contrôlé par l’Égypte. Il est constitué sur le plan politique par des cités-États dont les roitelets sont des vassaux du pharaon. Existent aussi des entités peu intégrées, notamment les ʿapiru, des groupes vivant en marge du système politique, en conflit avec les roitelets cananéens ou servant de corvéables aux Égyptiens. Des textes égyptiens mentionnent également des nomades shasou (šȝśw), dont certains groupes sont caractérisés par le terme Yhw(ȝ), probablement un toponyme, qu’on a souvent mis en relation avec le nom Yahvé (Yahua ?), qui deviendra le dieu d’Israël. Ces nomades séjournent surtout dans les régions désertiques entre l’Égypte et Canaan.
La fin du XIIIe siècle est marquée par des bouleversements durant lesquels les cités-États s’effondrent. De nouvelles populations, les « peuples de la mer » venant de l’Égée ou de l’Anatolie, les Philistins, s’installent sur la côte sud de Canaan dans des villes comme Gaza, Ashdod, Ashkelon, Eqron. Ils ont une culture matérielle différente des autres habitants du pays, mais ils s’assimilent assez vite. Alors que la plupart des cités du Bronze récent se dépeuplent, la zone montagneuse d’Éphraïm et de Juda connaît un accroissement de population notable.
Il s’agit sans doute, là, des premières traces de la naissance d’Israël, tel qu’il se trouve mentionné vers 1210 dans la stèle de victoire du pharaon Merneptah. Cet « Israël » doit constituer un groupe important puisque le roi égyptien le juge digne d’être mentionné parmi les peuplades qu’il se vante d’avoir vaincues. Alors que le pharaon clame qu’il a mis fin à Israël, cette entité va commencer à se développer. Ses origines ne sont pas liées, comme le prétend le livre biblique de Josué, à une conquête militaire d’un peuple venu d’ailleurs ; il s’agit d’un processus lent et diffus dans le cadre de bouleversements globaux à la fin du Bronze récent. « Israël » naît donc à partir des populations autochtones.
L’opposition que l’on trouve dans la Bible entre Israélites et Cananéens n’est nullement une opposition ethnique, mais une construction idéologique au service d’une idéologie ségrégationniste. Le groupe « Israël » est d’abord une sorte de confédération clanique et tribale, rassemblant des groupes qui pensaient probablement déjà appartenir à un même ensemble ethnique. Cela est suggéré, par exemple, par la quasi-absence d’élevage de porcs et une culture matérielle distincte. Le point de vue selon lequel l’Israël d’avant la monarchie aurait été constitué de douze tribus est par ailleurs une invention des auteurs bibliques des époques perse et hellénistique durant lesquelles cette idée joue un rôle important pour affirmer l’unité religieuse de la Judée, de la Samarie et de la Galilée.
Au début du premier millénaire se met en place dans l’ensemble du Levant une économie fondée davantage sur l’échange qui remplace l’économie de subsistance. Cette évolution va de pair avec un développement de l’organisation politique tendant vers la monarchie, phénomène qu’on observe également à l’est du Jourdain où se créent les royaumes de Moab et d’Ammon.
Le récit biblique, dans les livres de Samuel, présente les origines de la monarchie autour des trois figures exemplaires de Saül, David et Salomon. Il s’agit de récits largement légendaires mais qui gardent quelques souvenirs historiques. Saül, présenté comme le premier roi d’Israël, réussit à résister à la domination philistine et crée, dans le territoire de Benjamin et dans la montagne d’Éphraïm, une structure étatique dont il devient le chef. David, qui est en conflit avec Saül, est apparemment vassal des Philistins qui soutiennent peut-être son combat contre Saül et tolèrent la création d’un royaume concurrent en Juda, à Hébron d’abord, et à Jérusalem ensuite. Selon les récits des livres de Samuel et des Rois, partiellement repris dans les livres des Chroniques, David et son fils Salomon auraient régné sur un « Royaume uni » avec une extension immense, « de l’Égypte à l’Euphrate ». Cette idée relève plus des options idéologiques des rédacteurs bibliques qui voulaient montrer qu’Israël (le Nord) et Juda (le Sud) étaient réunis à l’origine dans un même royaume. Les grandes constructions à Megiddo, Haçor et ailleurs, qu’on voulait attribuer au roi Salomon, datent probablement d’un siècle plus tard et sont plutôt l’œuvre du roi Omri.
C’est donc dans le Nord que se développe un État assez important, dont la capitale deviendra sous Omri la ville de Samarie, alors que le Sud reste une entité bien plus modeste (on estime sa population seulement à dix pour cent de la population du Nord) et que Jérusalem est, à cette époque, une petite agglomération que le pharaon Sheshonq, lors de sa campagne vers 930 avant notre ère, ne juge pas digne de mentionner dans la liste de ses exploits militaires. Durant plus que deux siècles, Juda vit dans l’ombre d’Israël dont il est sans doute souvent le vassal.
Sous la dynastie des Omrides, au IXe siècle, Israël devient un royaume puissant dans le concert des royaumes du Levant. En témoignent de nombreux travaux de construction et, surtout, l’édification de la ville de Samarie. La domination des Omrides s’étend jusqu’à la Transjordanie, ce qui provoque des conflits avec le royaume de Moab, comme l’atteste la stèle de Mesha qui relate le conflit entre Israël et Moab dans la perspective du roi moabite. Omri et ses successeurs menaient une politique de rapprochement avec la Phénicie. C’est pour cette raison que les rédacteurs des livres des Rois les accusent d’avoir vénéré une divinité du nom de « Baal » ; cette transgression va, dans la perspective des éditeurs, mettre fin à la dynastie des Omrides.
L’historiographie biblique, notamment dans les livres de Samuel et des Rois, est pourtant rédigée à partir d’une perspective sudiste et présente le Nord et ses rois sous un angle négatif les accusant d’avoir vénéré d’autres dieux que le dieu d’Israël et d’avoir érigé des sanctuaires concurrents de celui de Jérusalem.
« Selon une stèle portant une inscription araméenne trouvée à Tel Dan, aux sources du Jourdain, Hazaël, le roi de Damas et commanditaire de l’inscription, aurait triomphé d’une coalition israélito-judéenne et vaincu Israël et la « maison de David ». »
La montée en puissance des assyriens
Les royaumes d’Israël et de Juda
Les livres des Rois présentent la fin de la dynastie d’Omri comme le résultat d’une révolution du général Jéhu auquel sont prêtées des motivations religieuses : fervent adorateur du dieu d’Israël, il aurait combattu le culte de Baal. Sur le plan historique, Jéhu fut un roi faible et les défaites qu’il a essuyées contre les Araméens sont mises par les auteurs bibliques au compte de son prédécesseur Yoram. Jéhu devient d’ailleurs vassal des Assyriens qui, dès la deuxième moitié du IXe siècle, cherchent à contrôler le Levant. En 853, une coalition entre Israël et le royaume araméen de Damas réussit encore à repousser le roi assyrien Salmanasar III lors de la bataille de Qarqar, mais les décennies suivantes ainsi que le VIIIe siècle sont définitivement marqués par l’hégémonie assyrienne, qui laissera d’ailleurs de nombreuses traces dans la Bible.
L’obélisque du roi assyrien Salmanasar III contient l’image d’un roi prosterné avec la légende « tribut de Jéhu, fils d’Omri ».
Le royaume d’Israël retrouve une période de prospérité sous le règne de Jéroboam II (environ 787-747) parce que celui-ci accepte la suprématie assyrienne et se comporte en vassal fidèle. La prospérité des couches aisées augmente grâce au développement de la production d’huile d’olive. Cette sorte de proto-capitalisme s’accompagne de la paupérisation des couches plus modestes. Des prophètes comme Osée et Amos dénoncent ces évolutions ; Osée polémique de plus contre des « veaux » à Samarie et à Béthel, ce qui signifie que la divinité tutélaire d’Israël y fut vénérée sous une forme bovine. Il est possible que, sous Jéroboam II, certaines traditions bibliques comme l’histoire de Jacob, qui devient l’ancêtre d’Israël, ou encore la tradition de la sortie d’Égypte furent, pour la première fois, mises par écrit au sanctuaire de Béthel.
Après le règne de Jéroboam, le déclin du royaume d’Israël commence. Vers 734, une coalition de différents royaumes du Levant, menée par Damas et Israël, veut forcer le roi judéen Akhaz à se joindre à la révolte contre les Assyriens.
Cet événement a laissé des traces dans de nombreux textes bibliques. Akhaz, conseillé par le prophète Ésaïe, cherche alors la protection du roi assyrien Tiglath-Pileser III dont il devient le vassal. Ce roi vainc sans problème les Araméens et les Israélites et ampute leurs royaumes d’une manière drastique. En 727, le dernier roi d’Israël, Osée, cherche appui auprès de l’Égypte, provoquant ainsi une campagne de Salmanasar V contre Israël et la chute de Samarie en 722. Le royaume d’Israël est transformé en quatre provinces assyriennes. Des déportations ont lieu (environ dix à vingt pour cent de la population totale), et d’autres populations sont établies dans le territoire de l’ancien royaume. Cette population « mixte » est l’ancêtre lointain de la communauté des Samaritains. Nous ne savons presque rien concernant la situation de cette région jusqu’à l’époque perse, où la vénération du dieu d’Israël continue. Pour le royaume de Juda qui subsiste en tant que vassal de l’Assyrie, la chute de Samarie correspond à son ascension et, surtout, à celle de Jérusalem qui, jusque-là, était une localité modeste qui s’agrandit vers la fin du VIIIe siècle avant l’ère chrétienne, d’une manière importante, devenant une vraie capitale. Cet agrandissement est dû, au moins en partie, à des réfugiés provenant de l’ancien royaume d’Israël. C’est aussi à cette époque que des traditions nordistes (Jacob, l’Exode, Osée, des récits sur les prophètes Élie et Élisée et d’autres) parviennent en Juda où elles sont révisées dans une perspective judéenne. L’essor de Jérusalem commence sous le roi Ézékias à qui la Bible attribue de nombreux travaux, attestés par l’archéologie, comme le fameux tunnel de Siloé, qui contient la première inscription monumentale judéenne connue à ce jour, ce qui indique sans doute aussi le début d’une activité littéraire conséquente. Ézékias mène une politique téméraire à l’égard de l’Assyrie qui se solde par une campagne de Sennakérib contre le royaume de Juda.
Lakish, la deuxième ville judéenne, est prise et le royaume amputé massivement. Cependant en 701, les Assyriens interrompent le siège de Jérusalem et se retirent, pour des raisons peu claires. Cet événement devint, dans la mémoire collective, la naissance de l’idée de l’inviolabilité de Sion, la montagne du temple à Jérusalem. Les Jérusalémites y voyaient la preuve que leur dieu protège sa ville contre tous ses ennemis.
Sous Manassé, qui fut un vassal fidèle des Assyriens, Juda retrouve sa prospérité et aussi son territoire. Bien que son règne ait duré plus de cinquante ans (environ 698-642), les rédacteurs des livres des Rois ne lui vouent que quelques lignes décriant surtout son impiété. Il a dû cependant gouverner avec sagesse et permettre ainsi à Juda de vivre sa dernière période de stabilité.
Lorsque le roi Josias (640-609) accède au trône, selon le récit biblique à l’âge de huit ans, l’empire assyrien commence à s’affaiblir à cause des Babyloniens. La deuxième partie du règne de Josias se déroule dans un certain vacuum de pouvoir et le roi et ses conseillers en profitent pour mettre en place une politique de centralisation, correspondant au nouveau statut de Jérusalem. Le temple de Jérusalem est proclamé seul sanctuaire légitime du dieu d’Israël. Selon le récit de 2 Rois 22-23, dont l’historicité ne peut être affirmée d’emblée, Josias aurait fait disparaître tous les objets religieux assyriens du temple de Jérusalem, il aurait également détruit le symbole d’Ashérah, une déesse associée au dieu tutélaire de Juda, et annexé une partie de l’ancien royaume d’Israël.
Selon le récit des livres des Rois, cette politique d’innovation politico-religieuse aurait été initiée par la découverte d’un livre dans le temple. Bien qu’il s’agisse là probablement d’un motif littéraire, il est très possible que le Deutéronome avec lequel on a toujours identifié ce livre ait en effet été écrit, dans sa forme primitive, pour légitimer la politique de centralisation et de monolâtrie, de vénération exclusive du dieu de Juda/Israël.
L’idée de la centralisation prépare en effet un des piliers du judaïsme à venir : la centralité de Jérusalem et de son temple. D’autres textes ont vu le jour sous le règne de Josias, comme les récits de conquête dans la première partie du livre de Josué, légitimant la politique d’expansion de Josias. Les scribes de Josias ont également écrit une histoire des deux royaumes pour montrer que Josias était une sorte de nouveau David. Ils ont sans doute également mis par écrit une « biographie » de Moïse et d’autres traditions encore.
L’empire néo-babylonien
Josias meurt en 609 à Meggiddo en voulant affronter le roi d’Égypte. Commence alors le déclin du royaume de Juda qui tombera sous les coups des Babyloniens qui, dès 605, deviennent les nouveaux maîtres du Proche-Orient ancien. Plusieurs révoltes des rois judéens provoquent en 597 la première prise de Jérusalem ; le roi Yoyakîn évite la destruction de la ville en ouvrant les portes. Il est déporté avec sa cour à Babylone ainsi que des hauts fonctionnaires et des artisans. Un document babylonien mentionne des rations de nourriture pour le roi Yoyakîn, prisonnier du roi de Babylone. Le roi Nabuchodonosor II installe Sédécias comme successeur, lequel finit également par se joindre à une coalition anti-babylonienne. Le livre de Jérémie contient des récits et des oracles reflétant la situation chaotique de Jérusalem dans les années précédant sa chute.
En 587, les Babyloniens s’emparent de Jérusalem, détruisent la ville et le temple et décident une deuxième vague de déportation. Ils installent Guedalias comme gouverneur à Miçpa, en Benjamin. L’archéologie montre des traces de destructions importantes dans le territoire de Juda ainsi qu’une diminution significative de la population. En revanche, le territoire de Benjamin semble avoir moins souffert. En 582, Guedalias est assassiné par un groupe indépendantiste, événement qui, selon le livre de Jérémie, provoque une troisième vague de déportation et la fuite d’une partie des Judéens vers l’Égypte. Ainsi, vers la fin du VIe siècle, existe-t-il trois centres de présence judéenne : Benjamin et Juda, la Babylonie et l’Égypte (surtout dans le Delta et sur l’île d’Éléphantine). Contrairement aux Assyriens, les Babyloniens laissèrent les exilés regroupés dans des colonies.
L’empire perse
En 539, le roi perse Cyrus s’empare de la ville de Babylone, mettant fin à l’empire babylonien. Il mène une politique religieuse « libérale », reconstruisant des temples détruits et autorisant les déportés à rentrer dans leurs pays respectifs. Cyrus est célébré comme le « messie » envoyé par le dieu d’Israël dans des textes ajoutés au rouleau d’Ésaïe et appelés « Deutéro-Ésaïe ». Les Perses accordent à la communauté judéenne, comme à d’autres peuples intégrés dans l’Empire, une autonomie cultuelle et religieuse, et c’est sous l’influence de la Golah, les Judéens exilés retournés en Judée, que se met en place une organisation de type quasi théocratique dont le temple de Jérusalem, reconstruit à la fin du VIe ou au début du Ve siècle avant notre ère, constitue le centre. Une partie des Judéens exilés à Babylone préfère cependant rester à Babylone et des documents, trouvés sur place, montrent que ces Judéens faisaient partie des couches aisées et intégrées. Jusqu’à l’arrivée de l’Islam, Babylone demeura un centre intellectuel du judaïsme, comme le montre le Talmud de Babylone. De même, la présence forte des Judéens en Égypte ne diminue nullement. Ainsi, le judaïsme est, dès sa naissance, une religion de diaspora qui se développera durant l’époque hellénistique sur tout le pourtour de la Méditerranée.
La domination grecque
En 332, la Judée est prise par Alexandre qui met ainsi fin à l’Empire perse. La domination grecque commence. Après sa mort, une guerre éclate entre ses successeurs et la région tombe d’abord sous le contrôle des Ptolémées (ou Lagides) qui gouvernent depuis l’Égypte, alors que les Séleucides règnent sur la Syrie. Ce changement n’affecte d’abord guère les Juifs. Durant le IIIe siècle, la Judée connaît un certain essor économique qui profite à l’aristocratie jérusalémite et à une classe urbaine aisée. C’est aussi le début des contacts entre Grecs et Juifs, et les Juifs installés en Égypte adoptent la langue grecque.