Gaspar, Melchior et Balthazar appartiennent au folklore. Vous ne les trouverez pas dans l’évangile. Pourtant, nos traditions les ont rendus bien vivants ! D’après Matthieu, le seul évangile qui les cite, ces trois personnages ne sont pas rois. Il n’est pas précisé non plus qu’ils étaient au nombre de trois. Leurs noms restent inconnus. La seule chose précisée par l’évangéliste, c’est que ce sont des mages venus d’Orient, de l’est, pour adorer l’enfant Jésus. De plus, le récit est bien plus complexe et dramatique qu’on ne l’imagine souvent, car il est simultanément l’histoire du massacre par Hérode des enfants de Bethleem. Le texte est bien plus brutal que ce que nos traditions en ont retenu. Comment faut-il lire et comprendre ? Voici quelques pistes…
l’ensemble du chapitre 2 de l’évangile selon saint Matthieu :
« 1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem 2 en disant : “Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage.” 3 L’ayant appris, le roi Hérode s’émut, et tout Jérusalem avec lui. 4 Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple, et il s’enquérait auprès d’eux du lieu où devait naître le Christ. 5 “A Bethléem de Judée, lui dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète : 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre des clans de Juda ; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël.” 7 Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l’apparition de l’astre, 8 et les envoya à Bethléem en disant : “Allez vous renseigner exactement sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avisez-moi, afin que j’aille, moi aussi, lui rendre hommage.” 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. 10 A la vue de l’astre ils se réjouirent d’une très grande joie. 11 Entrant alors dans le logis, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays. 13 Après leur départ, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : “Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; et restes-y jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr.” 14 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte ; 15 et il resta là jusqu’à la mort d’Hérode ; pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : D’Egypte j’ai appelé mon fils.16 Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, fut pris d’une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages. 17 Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie : 18 Une voix dans Rama s’est fait entendre, pleur et longue plainte : c’est Rachel pleurant ses enfants ; et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus. 19 Quand Hérode eut cessé de vivre, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Egypte, 20 et lui dit : “Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d’Israël ; car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant.” 21 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, et rentra dans la terre d’Israël. 22 Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il craignit de s’y rendre ; averti en songe, il se retira dans la région de Galilée 23 et vint s’établir dans une ville appelée Nazareth ; pour que s’accomplît l’oracle des prophètes : Il sera appelé Nazôréen. » (Mt 2, 1‑23)
Il faut ici faire l’effort de replacer la pratique de l’astrologie dans le contexte d’une époque où elle est indissociablement liée à l’astronomie et constitue ainsi une véritable science. Même si l’évangéliste ne le précise pas, le lecteur peut ainsi deviner qu’il s’agit là de l’élite spirituelle du monde païen. L’essentiel est là : le monde entier se rassemble autour du messie d’Israël. La perspective universaliste de la foi se fait sentir dès les premières lignes de l’évangile de Matthieu.
Relief sculpté de la salle du trône perse qui représente un mage debout derrière le roi Xerxès (519- 465 av. J.-C.). Ce relief a été photographié au Musée national d’Iran. Photo: BiblePlaces
L’étoile
Le thème de l’apparition d’une étoile à l’occasion de la naissance d’un personnage important est un topos classique de la littérature de l’époque. Les parallèles sont nombreux :
-
La prophétie du devin Balaam (Nb 22,7) – venu de l’Orient (Nb 23,7) – sur l’étoile de Jacob (Nb 24, 17), dont l’interprétation messianique est très fréquente en particulier à Qumran, offre sans doute un arrière-plan plausible à notre passage.
-
L’étoile est, dans les traditions juives, une métaphore du Roi-Messie. Ainsi, dans le Nouveau Testament, Jésus est lui-même l’étoile du matin :
« Ainsi nous tenons plus ferme la parole prophétique : vous faites bien de la regarder, comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans vos cœurs. » (2 P 1, 19)
« Moi, Jésus, j’ai envoyé mon Ange publier chez vous ces révélations concernant les Églises. Je suis le rejeton de la race de David, l’Etoile radieuse du matin. » (Ap 22, 16)
Il convient donc ici de ne pas tomber dans le piège du concordisme : ni comète, ni supernova, ni conjonction planétaire mais bien intervention miraculeuse de Dieu.
De plus, on connaît, chez au moins deux auteurs latins de l’Antiquité, des récits de Mages perses qui, ayant vu se lever une étoile, se mirent en route vers Rome pour honorer l’empereur Néron. Pline (Histoire Naturelle 30,1, 16) et Suétone (Vie des Césars, Nero 13) rapportent la venue de mages de Perse pour honorer Néron, en 66, sur l’indication des astres, qui repartent ensuite par un autre chemin. Familier, non ? L’histoire des Mages serait donc un beau conte connu des peuples de l’Antiquité. De même qu’est répandue, à cette même époque, la croyance selon laquelle, lors de la naissance d’un grand personnage de l’humanité, une étoile apparaissait dans le ciel.
Que faut-il en conclure ? Que Matthieu – le seul des évangélistes d’ailleurs à nous raconter ce récit des Mages – plagie ? Qu’il nous trompe ? Et j’entends déjà les inquiétudes : « Si ce récit n’est pas « historique », à quoi peut-on alors se fier dans les évangiles ? » Attention ! Matthieu ne veut pas nous tromper, mais nous dire la vérité à propos de cet enfant qui vient de naître à Bethléem, mais parfois – et souvent dans la Bible – la vérité peut être dite autrement que par un récit exact de type journalistique.
Matthieu récupère donc une histoire d’étoile et de Mages connue du 1er siècle, pour nous dire la vraie royauté de Jésus. C’est une théologie en images qui nous est servie en cet évangile de l’Épiphanie. Si Matthieu choisit de « recycler » cette histoire des Mages et de la placer au début de son évangile, c’est qu’elle lui offre une introduction remarquable qui lui permet à la fois d’affirmer l’identité (royale, messianique et divine) de Jésus, tout en exposant symboliquement des thèmes qui lui sont chers dans l’ensemble de son évangile :
-
Le refus des juifs de reconnaître en Jésus leur messie ;
-
L’accomplissement des Écritures ;
-
L’annonce de l’Évangile à toutes les nations préfigurées par les mages.
Symboliquement la levée de l’étoile « parle » aux païens comme aux Juifs, mais différemment, c’est-à-dire qu’elle révèle à chaque groupe quelque chose du mystère de Jésus.
Aux païens, l’étoile dit la naissance d’un roi, en veut pour preuve la demande des Mages arrivant à Jérusalem :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » (Mt 2,2)
En même temps, le fait que l’étoile leur soit apparue à eux, des Mages d’Orient et donc des païens, montre bien qu’eux aussi sont « élus », invités à accueillir le Messie promis à Israël. Le récit des Mages dit bien, qu’en Jésus, le salut est ouvert à l’univers et non plus simplement à Israël.
Aux Juifs, l’étoile et la venue des Mages disent autre chose. Cette étoile se trouve dans la Bible plutôt que dans le ciel. Plus précisément l’étoile apparaît dans une prophétie du livre des Nombres sortant de la bouche de Balaam, un curieux Mage païen, qui prédira ceci :
« Je le vois, mais ce n’est pas pour maintenant ; je l’observe, mais non de près : De Jacob monte une étoile, d’Israël surgit un sceptre… » (Nb 24,17).
Cette étoile de Jacob est donc un homme que la tradition juive associait au roi David et au Messie devant venir, issu de sa lignée. Cette étoile qui se lève, c’est Jésus lui-même qui naît à Bethléem selon les Écritures, comme David son aïeul.
Passage obligé : Jérusalem et les Écritures !
Il est extrêmement intéressant de se rendre compte que l’étoile et la science des Mages seules n’ont pas suffi à guider les mages vers l’enfant Messie. Pour arriver à Jésus, il leur a fallu passer par deux autres lieux :
-
D’abord un lieu géographique : Jérusalem, la ville sainte symbolisant le Judaïsme.
-
Ensuite, un lieu textuel : il a fallu que les mages, avec l’aide des lettrés de Jérusalem, consultent les Écritures du Premier Testament. Notre texte contient d’ailleurs plusieurs citations de l’Ancien Testament.
Symboliquement, comprenons que, pour trouver la vraie lumière, le vrai visage de Dieu, pour arriver à se prosterner devant Jésus (c’est-à-dire le reconnaître comme Dieu), le croyant en quête spirituelle ne peut faire autrement que de passer par la tradition biblique dont Jésus est l’accomplissement.
D’étranges cadeaux sont offerts à un nouveau-né
S’ils nous semblent étranges, c’est sûrement qu’ils ont une valeur symbolique. En fait, ces cadeaux nous enseignent encore Jésus. En donnant de l’or, ils disent la royauté universelle de Jésus, Christ Roi. En donnant de l’encens, parfum qu’on faisait brûler au Temple pour adorer Dieu, ils disent la divinité de Jésus. En offrant la myrrhe, résine odorante avec laquelle on embaumait les morts, ils annoncent, dès sa naissance, la passion et la mort que Jésus devra subir pour entrer dans sa gloire de Ressuscité. Nous sommes au tout début de l’évangile selon Saint Matthieu : l’évangéliste présente ici tout son programme. En guise d’introduction, les deux premiers chapitres de son évangile sont programmatiques de tout ce qui va suivre.
Une plaque de sarcophage, conservée au musée paléochrétien du Vatican, représente l’adoration des rois mages. Elle date du IIIe siècle. On y lit: « Severa, in Deo vivas » qui signifie: « Severa, puisses-tu vivre en Dieu ». À droite, la Vierge Marie, assise, porte sur ses genoux l’Enfant-Jésus. Derrière elle est représenté saint Joseph. Face à elle, les trois rois mages s’avancent pour offrir leurs présents à l’Enfant. On distingue, au dessus de la tête de la Vierge, l’étoile du berger qui a guidé les rois mages jusqu’à la crèche. On peut s’interroger sur la raison d’une telle représentation sur une pierre tombale… Photo: Wikipédia
Marche de joie ou immobilisme inquiet ?
Les positions, les démarches, les attitudes des personnages sont aussi très révélatrices de sens dans ce récit. Les Mages sont en recherche, ils se mettent en marche, ils éprouvent une très grande joie (Mt 2,10) lorsqu’ils arrivent au but de leur quête, et, après avoir rencontré le Christ et l’avoir adoré, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin (Mt 2,12). Dans leur voyage, comment ne pas y voir, symbolisé, l’itinéraire même de la foi et de la rencontre du Christ, rencontre qui vient parfois au terme d’un long cheminement, qui sème en nous une très grande joie qui nous transforme et nous fait regagner notre pays (notre quotidien), par de nouveaux chemins, ceux de l’amour ?
Au contraire, Hérode, les chefs des prêtres et scribes d’Israël, eux qui savent où doit naître le Messie, restent à Jérusalem, immobiles, figés d’inquiétude. Dans cette sclérose et cette inquiétude de tout Jérusalem, qui fait si bien contraste avec la mobilité et la joie des Mages, comment ne pas voir, illustrée symboliquement par Matthieu, la situation bien concrète que vit et constate la jeune communauté de l’Église à la fin du premier siècle : le rejet de Jésus comme Messie par le judaïsme officiel, les relations tendues avec les chrétiens en même temps que l’arrivée massive de païens dans l’Église naissante ?
Bibliographie
Patrice Bergeron, InterBible
Anne-Marie Pelletier, Lectures bibliques
Gaspar, Melchior et Balthazar appartiennent au folklore. Vous ne les trouverez pas dans l’évangile. Pourtant, nos traditions les ont rendus bien vivants ! D’après Matthieu, le seul évangile qui les cite, ces trois personnages ne sont pas rois. Il n’est pas précisé non plus qu’ils étaient au nombre de trois. Leurs noms restent inconnus. La seule chose précisée par l’évangéliste, c’est que ce sont des mages venus d’Orient, de l’est, pour adorer l’enfant Jésus. De plus, le récit est bien plus complexe et dramatique qu’on ne l’imagine souvent, car il est simultanément l’histoire du massacre par Hérode des enfants de Bethleem. Le texte est bien plus brutal que ce que nos traditions en ont retenu. Comment faut-il lire et comprendre ? Voici quelques pistes…
l’ensemble du chapitre 2 de l’évangile selon saint Matthieu :
« 1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem 2 en disant : “Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage.” 3 L’ayant appris, le roi Hérode s’émut, et tout Jérusalem avec lui. 4 Il assembla tous les grands prêtres avec les scribes du peuple, et il s’enquérait auprès d’eux du lieu où devait naître le Christ. 5 “A Bethléem de Judée, lui dirent-ils ; ainsi, en effet, est-il écrit par le prophète : 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre des clans de Juda ; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël.” 7 Alors Hérode manda secrètement les mages, se fit préciser par eux le temps de l’apparition de l’astre, 8 et les envoya à Bethléem en disant : “Allez vous renseigner exactement sur l’enfant ; et quand vous l’aurez trouvé, avisez-moi, afin que j’aille, moi aussi, lui rendre hommage.” 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. 10 A la vue de l’astre ils se réjouirent d’une très grande joie. 11 Entrant alors dans le logis, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; puis, ouvrant leurs cassettes, ils lui offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. 12 Après quoi, avertis en songe de ne point retourner chez Hérode, ils prirent une autre route pour rentrer dans leur pays. 13 Après leur départ, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : “Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte ; et restes-y jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr.” 14 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte ; 15 et il resta là jusqu’à la mort d’Hérode ; pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur : D’Egypte j’ai appelé mon fils.16 Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, fut pris d’une violente fureur et envoya mettre à mort, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants de moins de deux ans, d’après le temps qu’il s’était fait préciser par les mages. 17 Alors s’accomplit l’oracle du prophète Jérémie : 18 Une voix dans Rama s’est fait entendre, pleur et longue plainte : c’est Rachel pleurant ses enfants ; et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus. 19 Quand Hérode eut cessé de vivre, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph, en Egypte, 20 et lui dit : “Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et mets-toi en route pour la terre d’Israël ; car ils sont morts, ceux qui en voulaient à la vie de l’enfant.” 21 Il se leva, prit avec lui l’enfant et sa mère, et rentra dans la terre d’Israël. 22 Mais, apprenant qu’Archélaüs régnait sur la Judée à la place d’Hérode son père, il craignit de s’y rendre ; averti en songe, il se retira dans la région de Galilée 23 et vint s’établir dans une ville appelée Nazareth ; pour que s’accomplît l’oracle des prophètes : Il sera appelé Nazôréen. » (Mt 2, 1‑23)
Il faut ici faire l’effort de replacer la pratique de l’astrologie dans le contexte d’une époque où elle est indissociablement liée à l’astronomie et constitue ainsi une véritable science. Même si l’évangéliste ne le précise pas, le lecteur peut ainsi deviner qu’il s’agit là de l’élite spirituelle du monde païen. L’essentiel est là : le monde entier se rassemble autour du messie d’Israël. La perspective universaliste de la foi se fait sentir dès les premières lignes de l’évangile de Matthieu.
Relief sculpté de la salle du trône perse qui représente un mage debout derrière le roi Xerxès (519- 465 av. J.-C.). Ce relief a été photographié au Musée national d’Iran. Photo: BiblePlaces
L’étoile
Le thème de l’apparition d’une étoile à l’occasion de la naissance d’un personnage important est un topos classique de la littérature de l’époque. Les parallèles sont nombreux :
-
La prophétie du devin Balaam (Nb 22,7) – venu de l’Orient (Nb 23,7) – sur l’étoile de Jacob (Nb 24, 17), dont l’interprétation messianique est très fréquente en particulier à Qumran, offre sans doute un arrière-plan plausible à notre passage.
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L’étoile est, dans les traditions juives, une métaphore du Roi-Messie. Ainsi, dans le Nouveau Testament, Jésus est lui-même l’étoile du matin :
« Ainsi nous tenons plus ferme la parole prophétique : vous faites bien de la regarder, comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans vos cœurs. » (2 P 1, 19)
« Moi, Jésus, j’ai envoyé mon Ange publier chez vous ces révélations concernant les Églises. Je suis le rejeton de la race de David, l’Etoile radieuse du matin. » (Ap 22, 16)
Il convient donc ici de ne pas tomber dans le piège du concordisme : ni comète, ni supernova, ni conjonction planétaire mais bien intervention miraculeuse de Dieu.
De plus, on connaît, chez au moins deux auteurs latins de l’Antiquité, des récits de Mages perses qui, ayant vu se lever une étoile, se mirent en route vers Rome pour honorer l’empereur Néron. Pline (Histoire Naturelle 30,1, 16) et Suétone (Vie des Césars, Nero 13) rapportent la venue de mages de Perse pour honorer Néron, en 66, sur l’indication des astres, qui repartent ensuite par un autre chemin. Familier, non ? L’histoire des Mages serait donc un beau conte connu des peuples de l’Antiquité. De même qu’est répandue, à cette même époque, la croyance selon laquelle, lors de la naissance d’un grand personnage de l’humanité, une étoile apparaissait dans le ciel.
Que faut-il en conclure ? Que Matthieu – le seul des évangélistes d’ailleurs à nous raconter ce récit des Mages – plagie ? Qu’il nous trompe ? Et j’entends déjà les inquiétudes : « Si ce récit n’est pas « historique », à quoi peut-on alors se fier dans les évangiles ? » Attention ! Matthieu ne veut pas nous tromper, mais nous dire la vérité à propos de cet enfant qui vient de naître à Bethléem, mais parfois – et souvent dans la Bible – la vérité peut être dite autrement que par un récit exact de type journalistique.
Matthieu récupère donc une histoire d’étoile et de Mages connue du 1er siècle, pour nous dire la vraie royauté de Jésus. C’est une théologie en images qui nous est servie en cet évangile de l’Épiphanie. Si Matthieu choisit de « recycler » cette histoire des Mages et de la placer au début de son évangile, c’est qu’elle lui offre une introduction remarquable qui lui permet à la fois d’affirmer l’identité (royale, messianique et divine) de Jésus, tout en exposant symboliquement des thèmes qui lui sont chers dans l’ensemble de son évangile :
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Le refus des juifs de reconnaître en Jésus leur messie ;
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L’accomplissement des Écritures ;
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L’annonce de l’Évangile à toutes les nations préfigurées par les mages.
Symboliquement la levée de l’étoile « parle » aux païens comme aux Juifs, mais différemment, c’est-à-dire qu’elle révèle à chaque groupe quelque chose du mystère de Jésus.
Aux païens, l’étoile dit la naissance d’un roi, en veut pour preuve la demande des Mages arrivant à Jérusalem :
« Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » (Mt 2,2)
En même temps, le fait que l’étoile leur soit apparue à eux, des Mages d’Orient et donc des païens, montre bien qu’eux aussi sont « élus », invités à accueillir le Messie promis à Israël. Le récit des Mages dit bien, qu’en Jésus, le salut est ouvert à l’univers et non plus simplement à Israël.
Aux Juifs, l’étoile et la venue des Mages disent autre chose. Cette étoile se trouve dans la Bible plutôt que dans le ciel. Plus précisément l’étoile apparaît dans une prophétie du livre des Nombres sortant de la bouche de Balaam, un curieux Mage païen, qui prédira ceci :
« Je le vois, mais ce n’est pas pour maintenant ; je l’observe, mais non de près : De Jacob monte une étoile, d’Israël surgit un sceptre… » (Nb 24,17).
Cette étoile de Jacob est donc un homme que la tradition juive associait au roi David et au Messie devant venir, issu de sa lignée. Cette étoile qui se lève, c’est Jésus lui-même qui naît à Bethléem selon les Écritures, comme David son aïeul.
Passage obligé : Jérusalem et les Écritures !
Il est extrêmement intéressant de se rendre compte que l’étoile et la science des Mages seules n’ont pas suffi à guider les mages vers l’enfant Messie. Pour arriver à Jésus, il leur a fallu passer par deux autres lieux :
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D’abord un lieu géographique : Jérusalem, la ville sainte symbolisant le Judaïsme.
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Ensuite, un lieu textuel : il a fallu que les mages, avec l’aide des lettrés de Jérusalem, consultent les Écritures du Premier Testament. Notre texte contient d’ailleurs plusieurs citations de l’Ancien Testament.
Symboliquement, comprenons que, pour trouver la vraie lumière, le vrai visage de Dieu, pour arriver à se prosterner devant Jésus (c’est-à-dire le reconnaître comme Dieu), le croyant en quête spirituelle ne peut faire autrement que de passer par la tradition biblique dont Jésus est l’accomplissement.
D’étranges cadeaux sont offerts à un nouveau-né
S’ils nous semblent étranges, c’est sûrement qu’ils ont une valeur symbolique. En fait, ces cadeaux nous enseignent encore Jésus. En donnant de l’or, ils disent la royauté universelle de Jésus, Christ Roi. En donnant de l’encens, parfum qu’on faisait brûler au Temple pour adorer Dieu, ils disent la divinité de Jésus. En offrant la myrrhe, résine odorante avec laquelle on embaumait les morts, ils annoncent, dès sa naissance, la passion et la mort que Jésus devra subir pour entrer dans sa gloire de Ressuscité. Nous sommes au tout début de l’évangile selon Saint Matthieu : l’évangéliste présente ici tout son programme. En guise d’introduction, les deux premiers chapitres de son évangile sont programmatiques de tout ce qui va suivre.
Une plaque de sarcophage, conservée au musée paléochrétien du Vatican, représente l’adoration des rois mages. Elle date du IIIe siècle. On y lit: « Severa, in Deo vivas » qui signifie: « Severa, puisses-tu vivre en Dieu ». À droite, la Vierge Marie, assise, porte sur ses genoux l’Enfant-Jésus. Derrière elle est représenté saint Joseph. Face à elle, les trois rois mages s’avancent pour offrir leurs présents à l’Enfant. On distingue, au dessus de la tête de la Vierge, l’étoile du berger qui a guidé les rois mages jusqu’à la crèche. On peut s’interroger sur la raison d’une telle représentation sur une pierre tombale… Photo: Wikipédia
Marche de joie ou immobilisme inquiet ?
Les positions, les démarches, les attitudes des personnages sont aussi très révélatrices de sens dans ce récit. Les Mages sont en recherche, ils se mettent en marche, ils éprouvent une très grande joie (Mt 2,10) lorsqu’ils arrivent au but de leur quête, et, après avoir rencontré le Christ et l’avoir adoré, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin (Mt 2,12). Dans leur voyage, comment ne pas y voir, symbolisé, l’itinéraire même de la foi et de la rencontre du Christ, rencontre qui vient parfois au terme d’un long cheminement, qui sème en nous une très grande joie qui nous transforme et nous fait regagner notre pays (notre quotidien), par de nouveaux chemins, ceux de l’amour ?
Au contraire, Hérode, les chefs des prêtres et scribes d’Israël, eux qui savent où doit naître le Messie, restent à Jérusalem, immobiles, figés d’inquiétude. Dans cette sclérose et cette inquiétude de tout Jérusalem, qui fait si bien contraste avec la mobilité et la joie des Mages, comment ne pas voir, illustrée symboliquement par Matthieu, la situation bien concrète que vit et constate la jeune communauté de l’Église à la fin du premier siècle : le rejet de Jésus comme Messie par le judaïsme officiel, les relations tendues avec les chrétiens en même temps que l’arrivée massive de païens dans l’Église naissante ?
Bibliographie
Patrice Bergeron, InterBible
Anne-Marie Pelletier, Lectures bibliques