Seuls deux évangélistes proposent un récit de la nativité et de l’enfance de Jésus. Contrairement à ce que l’on pense souvent, ils diffèrent sur certains aspects, ce qui ouvre l’espace aux deux questions que nous nous posons aujourd’hui: où et quand ? Ces deux questions ont fait couler beaucoup d’encre. En effet, les données historiques sont maigres pour répondre avec précision. Il faut donc mener l’enquête…

En quelle année faut-il situer la naissance de Jésus?

Saint Luc, dans son évangile, évoque un recensement universel commandé par César Auguste, lorsque Quirinius était gouverneur de la province romaine de Syrie-Palestine. Autant de données historiques qu’il faut passer au peigne fin:

1 Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. 2 Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. 3 Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. 4 Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Bethléem, – parce qu’il était de la maison et de la lignée de David – 5 afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. (Lc 2, 1‑5)

La première inexactitude est que jamais Auguste n’a procédé a un recensement à l’échelle de l’empire tout entier (« le monde habité »). Il a effectué trois recensements, mais tous concernaient des citoyens romains dispersés dans l’empire. D’autres recensements ont eu lieu dans certaines provinces ciblées, notamment en Égypte, afin de fixer l’impôt. De plus, ces types de recensement n’impliquaient pas le déplacement des personnes: seul le chef de famille devait se présenter à son lieu de résidence (et non à son lieu d’origine). tel fut le recensement entrepris par Quirinius en l’an +6 de notre ère.
Or, cette date pose un sérieux problème, puisque Quirinius n’a pas été en fonction au temps d’Hérode le Grand (37-4 avant J.C.). Il y a donc une incohérence chez Luc qui place pourtant tous ces événements sous Hérode.

Il y eut aux jours d’Hérode, roi de Judée, un prêtre du nom de Zacharie, de la classe d’Abia, et il avait pour femme une descendante d’Aaron, dont le nom était Elisabeth.  (Lc 1, 5)

L’historien doit donc laisser de côté les informations concernant le recensement et admettre que, si Luc rattache la naissance de Jésus à un recensement universel, c’est sans doute et avant tout pour une raison théologique: dire que Jésus est le Sauveur de toute l’humanité.

Les dates du règne d’Hérode restent ainsi les plus précieux indices que nous ayons pour situer la naissance de Jésus. En effet, les deux seuls évangélistes qui racontent les circonstances de la naissance de Jésus, Matthieu et Luc, concordent sur ce point: Jésus est né au temps du roi Hérode le Grand:

Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem…  (Mt 2, 1)

Qui était Hérode le Grand? Un des personnages les plus connus des lecteurs du Nouveau Testament. Avec l’aide de Rome, il parvint à siéger sur le trône de Jérusalem (37-4 av. J.-C.). Il est réputé pour sa cruauté, grâce à laquelle il put se maintenir sur le trône. On le connaît surtout à travers les écrits de l’historien Flavius Josèphe. Hérode fut encore un bâtisseur sans précédent en Israël.

Forteresse hérodienne de Masada, près de la mer Morte, Israël.

Cependant, Hérode est mort en -4. Jésus n’a donc pas pu naître en l’an 1, comme on le pense traditionnellement. Cette erreur est due à un moine du 6ème siècle, Denys le Petit, qui s’attribua lui-même ce surnom en signe d’humilité. Il commit l’erreur de dater la mort d’Hérode de l’an 754 après la fondation de Rome au lieu de 750. Jésus est donc né avant l’an – 4. D’après D. Marguerat, on peut donc envisager la naissance de Jésus entre – 7 et – 5.

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Basilique de la Nativité, Bethleem. Photos : E. Pastore

Pourquoi le 25 décembre a-t-il été choisi?

Quand au jour de la fête de Noël retenu au 25 décembre, c’est au 4ème siècle qu’il a été fixé définitivement. Un document atteste qu’entre 352 et 366, les chrétiens de Rome se réunissaient le 25 décembre dans la basilique nouvellement achevée du Vatican (en 354) pour fêter l’Incarnation du Sauveur.

Cette date aurait été choisie pour supplanter la fête païenne du Sol invictus, très populaire dans le monde romain et implantée sous le règne d’Aurélien (270-274). La grande fête païenne du Sol invictus, d’origine agricole, durait sept jours entiers, du 17 au 24 décembre, c’est-à-dire autour du solstice d’hiver. Sept jours d’ivresse, de festins, où tout le monde s’offrait des cadeaux, sans distinctions sociales, et décorait sa maison avec des végétaux qui restent verts toute l’année tels le pin, le chêne vert, etc.

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Disque dédié à Sol Invictus portant la couronne radiée, argent, œuvre romaine, 3è siècle. Provenance: Pessinus (Bala-Hissar, Asie mineure). Photo: Wikipedia

Dans l’hémisphère nord, les jours ne cessent de se réduire jusqu’au 21 décembre et la lumière décline. L’astre solaire (sol) est pâle et ne chauffe plus beaucoup, il se lève de plus en plus vers le sud-est (pour se coucher quelques heures plus tard au sud-ouest). À midi, il est (désespérément) bas sur l’horizon. Les Romains, mais aussi d’autres cultures, craignaient à cette période sombre de l’année que le soleil se meure, disparaisse et ne revienne jamais, laissant derrière lui ténèbres et désolation. C’est pourquoi le solstice de décembre, du latin solsticium qui veut dire littéralement « arrêt du Soleil » (statum, immobile), est un évènement majeur du calendrier. Le choix du 25 décembre marque, notamment pour les cultures celtes, germaniques, romaines, le renouveau, la renaissance, le retour de la lumière, la fertilité, la procréation et l’astronomie. En effet, après quelques jours d’immobilité, le point de lever et de coucher du soleil au-dessus de l’horizon se décale de nouveau vers le nord. Les jours grandissent et la lumière revient.

La célébration du Sol invictus est déjà attestée aux 4è-3è siècles av. J.-C. et reprend des aspects du culte de Mithra qui s’achevait par le sacrifice d’un taureau: le Sol invictus signifiant la naissance du jeune dieu solaire, censé surgir d’une grotte sous la forme d’un nouveau-né. Il semblerait qu’un tel motif ait été repris dans le christianisme, lors de l’élaboration des récits de la naissance de Jésus. Ainsi, notre fête de Noël aurait des origines païennes, certes christianisées, et a, de ce fait acquis un sens nouveau à la lumière du Christ.

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Mithra sacrifiant le Taureau (100-200 ap. J.-C.), musée du Louvre.

Où Jésus est-il né?

Venons-en maintenant à la seconde question. Les deux mêmes évangélistes, Matthieu et Luc, affirment que Jésus est né à Bethleem. Mais ils sont bien les seuls rédacteurs du Nouveau Testament à le dire! De plus, Bethleem est loin d’être neutre: il s’agit de la ville de David (contrairement à Nazareth qui est un village parfaitement inconnu dans le reste de la Bible). Pour affirmer haut et fort le messianisme de Jésus, il faut bien sûr que Jésus soit le descendant de David, ce que d’ailleurs Matthieu et Luc mentionnent clairement dans leur généalogie respective. Quoi de mieux alors que de situer sa naissance à Bethleem, le lieu symbolique par excellence?
L’autre raison de douter de Bethleem est la suivante. Selon Matthieu, Joseph et Marie résident à Bethléem (Mt 1,18–2,12), d’où ils fuient en Égypte pour revenir s’établir dans « une ville appelée Nazareth » (2,23). Selon Luc, le couple monte de Nazareth à Bethléem s’inscrire pour le recensement (Lc 2,4-5), puis retourne à « leur ville, Nazareth » (2,39). Pourtant, contrairement à ce qu’affirme Luc, le recensement n’exigeait pas de la femme, enceinte de surcroît, un déplacement de deux cents kilomètres jusqu’à Bethléem ! Se pourrait-il que Jésus soit né à Nazareth? Où résidaient-ils primitivement : Nazareth ou Bethléem ? A cela ajoutons que tout au long des évangiles, Jésus est appelé « le Nazaréen » et que Nazareth est toujours désigné comme sa patrie. Pourquoi Bethleem n’est jamais évoqué comme lieu d’origine de Jésus en dehors des récits de l’enfance? Bref, tous ces questionnements doivent être pris au sérieux.

Cependant, ces interrogations ne suffisent pas non plus à écarter complétement la possibilité d’une naissance à Bethleem. Comme le rappelle Matthieu, une ancienne prophétie de Michée évoque Bethleem:

Et toi, Bethléem Ephrata, le moindre des clans de Juda, c’est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël ; ses origines remontent au temps jadis, aux jours antiques. C’est pourquoi il les abandonnera jusqu’au temps où aura enfanté celle qui doit enfanter. Alors le reste de ses frères reviendra aux enfants d’Israël. Il se dressera, il fera paître son troupeau par la puissance de Yahvé, par la majesté du nom de son Dieu. Ils s’établiront, car alors il sera grand jusqu’aux extrémités du pays. (Mi 5, 1‑3)

De plus, aucune tradition ancienne ne situe la naissance de Jésus à Nazareth. Enfin, les deux évangiles (Matthieu et Luc) s’accordent à situer la naissance de Jésus en dehors de Nazareth. Bethleem reste donc une option vraisemblable.

Paysage autour de Bethleem et grottes.
Photos: E. Pastore

Comment le croyant peut-il se situer au milieu de ces incertitudes?

Se poser de telles questions peut susciter un étonnement, voire un certain bouleversement de nos certitudes comme croyants. Pourtant, si les écrivains du Nouveau Testament n’ont pas cherché à mentionner d’une manière scientifiquement certaine le lieu et la date de la naissance du Seigneur, c’est parce que l’essentiel n’était pas là! Alors pourquoi nous y afférer? L’essentiel se trouve plutôt et surtout du côté de la mort et résurrection du Seigneur. « Vaine est notre foi si le Christ n’est pas ressuscité », écrit saint Paul. Or, la date de la résurrection du Christ a été – elle – immédiatement fêtée, dès le premier siècle, au jour de la Pâque juive, comme un mémorial inoubliable: « Faites cela en mémoire de moi. »

Pour terminer, je vous propose de laisser de côté les préoccupations historiques et d’entrer dans le mystère de la nuit de Noël et de son secret avec Jean-Marie Lustiger:

Ne vous donnez pas à vous-mêmes, d’avance, l’idée de ce qu’il faut savoir la nuit de Noël. Mais taisez-vous devant Dieu qui se tait. Acceptez qu’il vous dise quelque chose que vous n’avez jamais entendu. Fermez les yeux pour voir une autre lumière. Acceptez qu’elle vous révèle ce que vous n’avez jamais vu. Alors que vous pensez déjà savoir le secret de cette nuit, admettez que vous ne savez rien encore de ce qui peut vous advenir. Car votre vie est devant vous et Dieu est la vie. Et la vie vient jusqu’à vous. Acceptez la grâce d’être là en cet instant et en ce moment où l’amour se fait si proche, et pourtant se dérobe. (Jean-Marie Lustiger, Petites paroles de Nuit de Noël, Ed. de Fallois, Paris, 1992, p.51-52)

Emanuelle Pastore

Détails des différentes fresques murales, Champ des bergers, Bethleem.

Photo: E. Pastore

Seuls deux évangélistes proposent un récit de la nativité et de l’enfance de Jésus. Contrairement à ce que l’on pense souvent, ils diffèrent sur certains aspects, ce qui ouvre l’espace aux deux questions que nous nous posons aujourd’hui: où et quand ? Ces deux questions ont fait couler beaucoup d’encre. En effet, les données historiques sont maigres pour répondre avec précision. Il faut donc mener l’enquête…

En quelle année faut-il situer la naissance de Jésus?

Saint Luc, dans son évangile, évoque un recensement universel commandé par César Auguste, lorsque Quirinius était gouverneur de la province romaine de Syrie-Palestine. Autant de données historiques qu’il faut passer au peigne fin:

1 Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. 2 Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. 3 Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. 4 Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Bethléem, – parce qu’il était de la maison et de la lignée de David – 5 afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. (Lc 2, 1‑5)

La première inexactitude est que jamais Auguste n’a procédé a un recensement à l’échelle de l’empire tout entier (« le monde habité »). Il a effectué trois recensements, mais tous concernaient des citoyens romains dispersés dans l’empire. D’autres recensements ont eu lieu dans certaines provinces ciblées, notamment en Égypte, afin de fixer l’impôt. De plus, ces types de recensement n’impliquaient pas le déplacement des personnes: seul le chef de famille devait se présenter à son lieu de résidence (et non à son lieu d’origine). tel fut le recensement entrepris par Quirinius en l’an +6 de notre ère.
Or, cette date pose un sérieux problème, puisque Quirinius n’a pas été en fonction au temps d’Hérode le Grand (37-4 avant J.C.). Il y a donc une incohérence chez Luc qui place pourtant tous ces événements sous Hérode.

Il y eut aux jours d’Hérode, roi de Judée, un prêtre du nom de Zacharie, de la classe d’Abia, et il avait pour femme une descendante d’Aaron, dont le nom était Elisabeth.  (Lc 1, 5)

L’historien doit donc laisser de côté les informations concernant le recensement et admettre que, si Luc rattache la naissance de Jésus à un recensement universel, c’est sans doute et avant tout pour une raison théologique: dire que Jésus est le Sauveur de toute l’humanité.

Les dates du règne d’Hérode restent ainsi les plus précieux indices que nous ayons pour situer la naissance de Jésus. En effet, les deux seuls évangélistes qui racontent les circonstances de la naissance de Jésus, Matthieu et Luc, concordent sur ce point: Jésus est né au temps du roi Hérode le Grand:

Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem…  (Mt 2, 1)

Qui était Hérode le Grand? Un des personnages les plus connus des lecteurs du Nouveau Testament. Avec l’aide de Rome, il parvint à siéger sur le trône de Jérusalem (37-4 av. J.-C.). Il est réputé pour sa cruauté, grâce à laquelle il put se maintenir sur le trône. On le connaît surtout à travers les écrits de l’historien Flavius Josèphe. Hérode fut encore un bâtisseur sans précédent en Israël.

Forteresse hérodienne de Masada, près de la mer Morte, Israël.

Cependant, Hérode est mort en -4. Jésus n’a donc pas pu naître en l’an 1, comme on le pense traditionnellement. Cette erreur est due à un moine du 6ème siècle, Denys le Petit, qui s’attribua lui-même ce surnom en signe d’humilité. Il commit l’erreur de dater la mort d’Hérode de l’an 754 après la fondation de Rome au lieu de 750. Jésus est donc né avant l’an – 4. D’après D. Marguerat, on peut donc envisager la naissance de Jésus entre – 7 et – 5.

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Basilique de la Nativité, Bethleem. Photos : E. Pastore

Pourquoi le 25 décembre a-t-il été choisi?

Quand au jour de la fête de Noël retenu au 25 décembre, c’est au 4ème siècle qu’il a été fixé définitivement. Un document atteste qu’entre 352 et 366, les chrétiens de Rome se réunissaient le 25 décembre dans la basilique nouvellement achevée du Vatican (en 354) pour fêter l’Incarnation du Sauveur.

Cette date aurait été choisie pour supplanter la fête païenne du Sol invictus, très populaire dans le monde romain et implantée sous le règne d’Aurélien (270-274). La grande fête païenne du Sol invictus, d’origine agricole, durait sept jours entiers, du 17 au 24 décembre, c’est-à-dire autour du solstice d’hiver. Sept jours d’ivresse, de festins, où tout le monde s’offrait des cadeaux, sans distinctions sociales, et décorait sa maison avec des végétaux qui restent verts toute l’année tels le pin, le chêne vert, etc.

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Disque dédié à Sol Invictus portant la couronne radiée, argent, œuvre romaine, 3è siècle. Provenance: Pessinus (Bala-Hissar, Asie mineure). Photo: Wikipedia

Dans l’hémisphère nord, les jours ne cessent de se réduire jusqu’au 21 décembre et la lumière décline. L’astre solaire (sol) est pâle et ne chauffe plus beaucoup, il se lève de plus en plus vers le sud-est (pour se coucher quelques heures plus tard au sud-ouest). À midi, il est (désespérément) bas sur l’horizon. Les Romains, mais aussi d’autres cultures, craignaient à cette période sombre de l’année que le soleil se meure, disparaisse et ne revienne jamais, laissant derrière lui ténèbres et désolation. C’est pourquoi le solstice de décembre, du latin solsticium qui veut dire littéralement « arrêt du Soleil » (statum, immobile), est un évènement majeur du calendrier. Le choix du 25 décembre marque, notamment pour les cultures celtes, germaniques, romaines, le renouveau, la renaissance, le retour de la lumière, la fertilité, la procréation et l’astronomie. En effet, après quelques jours d’immobilité, le point de lever et de coucher du soleil au-dessus de l’horizon se décale de nouveau vers le nord. Les jours grandissent et la lumière revient.

La célébration du Sol invictus est déjà attestée aux 4è-3è siècles av. J.-C. et reprend des aspects du culte de Mithra qui s’achevait par le sacrifice d’un taureau: le Sol invictus signifiant la naissance du jeune dieu solaire, censé surgir d’une grotte sous la forme d’un nouveau-né. Il semblerait qu’un tel motif ait été repris dans le christianisme, lors de l’élaboration des récits de la naissance de Jésus. Ainsi, notre fête de Noël aurait des origines païennes, certes christianisées, et a, de ce fait acquis un sens nouveau à la lumière du Christ.

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Mithra sacrifiant le Taureau (100-200 ap. J.-C.), musée du Louvre.

Où Jésus est-il né?

Venons-en maintenant à la seconde question. Les deux mêmes évangélistes, Matthieu et Luc, affirment que Jésus est né à Bethleem. Mais ils sont bien les seuls rédacteurs du Nouveau Testament à le dire! De plus, Bethleem est loin d’être neutre: il s’agit de la ville de David (contrairement à Nazareth qui est un village parfaitement inconnu dans le reste de la Bible). Pour affirmer haut et fort le messianisme de Jésus, il faut bien sûr que Jésus soit le descendant de David, ce que d’ailleurs Matthieu et Luc mentionnent clairement dans leur généalogie respective. Quoi de mieux alors que de situer sa naissance à Bethleem, le lieu symbolique par excellence?
L’autre raison de douter de Bethleem est la suivante. Selon Matthieu, Joseph et Marie résident à Bethléem (Mt 1,18–2,12), d’où ils fuient en Égypte pour revenir s’établir dans « une ville appelée Nazareth » (2,23). Selon Luc, le couple monte de Nazareth à Bethléem s’inscrire pour le recensement (Lc 2,4-5), puis retourne à « leur ville, Nazareth » (2,39). Pourtant, contrairement à ce qu’affirme Luc, le recensement n’exigeait pas de la femme, enceinte de surcroît, un déplacement de deux cents kilomètres jusqu’à Bethléem ! Se pourrait-il que Jésus soit né à Nazareth? Où résidaient-ils primitivement : Nazareth ou Bethléem ? A cela ajoutons que tout au long des évangiles, Jésus est appelé « le Nazaréen » et que Nazareth est toujours désigné comme sa patrie. Pourquoi Bethleem n’est jamais évoqué comme lieu d’origine de Jésus en dehors des récits de l’enfance? Bref, tous ces questionnements doivent être pris au sérieux.

Cependant, ces interrogations ne suffisent pas non plus à écarter complétement la possibilité d’une naissance à Bethleem. Comme le rappelle Matthieu, une ancienne prophétie de Michée évoque Bethleem:

Et toi, Bethléem Ephrata, le moindre des clans de Juda, c’est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël ; ses origines remontent au temps jadis, aux jours antiques. C’est pourquoi il les abandonnera jusqu’au temps où aura enfanté celle qui doit enfanter. Alors le reste de ses frères reviendra aux enfants d’Israël. Il se dressera, il fera paître son troupeau par la puissance de Yahvé, par la majesté du nom de son Dieu. Ils s’établiront, car alors il sera grand jusqu’aux extrémités du pays. (Mi 5, 1‑3)

De plus, aucune tradition ancienne ne situe la naissance de Jésus à Nazareth. Enfin, les deux évangiles (Matthieu et Luc) s’accordent à situer la naissance de Jésus en dehors de Nazareth. Bethleem reste donc une option vraisemblable.

Paysage autour de Bethleem et grottes.
Photos: E. Pastore

Comment le croyant peut-il se situer au milieu de ces incertitudes?

Se poser de telles questions peut susciter un étonnement, voire un certain bouleversement de nos certitudes comme croyants. Pourtant, si les écrivains du Nouveau Testament n’ont pas cherché à mentionner d’une manière scientifiquement certaine le lieu et la date de la naissance du Seigneur, c’est parce que l’essentiel n’était pas là! Alors pourquoi nous y afférer? L’essentiel se trouve plutôt et surtout du côté de la mort et résurrection du Seigneur. « Vaine est notre foi si le Christ n’est pas ressuscité », écrit saint Paul. Or, la date de la résurrection du Christ a été – elle – immédiatement fêtée, dès le premier siècle, au jour de la Pâque juive, comme un mémorial inoubliable: « Faites cela en mémoire de moi. »

Pour terminer, je vous propose de laisser de côté les préoccupations historiques et d’entrer dans le mystère de la nuit de Noël et de son secret avec Jean-Marie Lustiger:

Ne vous donnez pas à vous-mêmes, d’avance, l’idée de ce qu’il faut savoir la nuit de Noël. Mais taisez-vous devant Dieu qui se tait. Acceptez qu’il vous dise quelque chose que vous n’avez jamais entendu. Fermez les yeux pour voir une autre lumière. Acceptez qu’elle vous révèle ce que vous n’avez jamais vu. Alors que vous pensez déjà savoir le secret de cette nuit, admettez que vous ne savez rien encore de ce qui peut vous advenir. Car votre vie est devant vous et Dieu est la vie. Et la vie vient jusqu’à vous. Acceptez la grâce d’être là en cet instant et en ce moment où l’amour se fait si proche, et pourtant se dérobe. (Jean-Marie Lustiger, Petites paroles de Nuit de Noël, Ed. de Fallois, Paris, 1992, p.51-52)

Emanuelle Pastore

Détails des différentes fresques murales, Champ des bergers, Bethleem.

Photo: E. Pastore