L’entrée à Jérusalem du général romain Pompée et de ses légions, en 63 av. J.C., marque l’intégration politique du pays d’Israël à l’empire de Rome. Dès lors, l’histoire de la région sera entièrement dominée par l’autorité romaine, que ce soit directement ou indirectement. Le pays de Jésus vit donc en régime d’occupation. Il ne faut pas sous-estimer la pression qu’exerce cette situation politique sur la religion populaire : l’exacerbation des espérances messianiques, l’effervescence apocalyptique et l’essor du nationalisme juif au Ier siècle en sont la conséquence immédiate. Ils conduiront à l’embrasement du pays dans la guerre juive de 66-70, qui se soldera de façon catastrophique par l’écrasement des nationalistes et la destruction du Temple de Jérusalem.

Trois formes de dépendance

L’intervention de Pompée mettait fin au pouvoir de la dynastie juive des Hasmonéens. Celle-ci s’était installée en chassant le roi séleucide Antiochus IV Épiphane (167 av. J.C.), dont la politique d’hellénisation forcée du pays avait déclenché la haine du peuple. Les Hasmonéens ont conduit une politique d’expansion et de reconquête ; les succès les plus marquants furent la conquête de la Samarie et de l’Idumée par Jean Hyrcan (134-104 av. J.C.) et celle de la Galilée par Aristobule Ier (105-104). Les troubles qui s’ensuivirent ont conduit les Romains à prendre la région en main, au travers de l’expédition militaire de Pompée.

L’empire romain au temps de Jésus

Les Romains disposaient de trois formules institutionnelles pour asseoir leur contrôle sur un territoire. La plus directe était la création d’une province impériale, gouvernée par un légat de l’empereur, entouré de chefs militaires et de procurateurs. Il existait aussi des provinces sénatoriales, dont l’administration était confiée à un proconsul. Quand la Judée devint province, son procurateur reçut le titre de préfet, ainsi qu’en témoigne une inscription découverte à Césarée Maritime, mentionnant Ponce Pilate.

Une troisième formule consistait à confier la gestion du territoire à une royauté sous tutelle. Ces souverains clients étaient vassaux de Rome et levaient les impôts pour l’Empire. Leurs enfants, élevés à la cour de l’empereur, servaient de gages de fidélité. Leur autonomie était donc strictement limitée à ce que leur permettait une allégeance sans faille à Rome.

Après la mort d’Hérode

Rome commença par confier l’ensemble de la Judée à Hérode le Grand, qui avait su contracter les bonnes alliances à la cour romaine. Il reçut en 40 av. J.C. le titre de « roi de Judée » et son règne dura jusqu’en 4 av. J.C. ; il fut long, cultivé, et riche en constructions fastueuses (port de Césarée, Temple de Jérusalem, forteresses de Machéronte et Massada). Mais ce règne fut aussi parsemé des caprices politiques d’un roi maladivement inquiet des possibles rivalités à son pouvoir, ce qui explique la trace négative qu’il laissa dans la mémoire juive.

Son testament partageait son royaume entre trois de ses fils. Archelaüs reçut avec le titre d’ethnarque la Judée, la Samarie et l’Idumée. Antipas hérita du titre de tétrarque de Galilée et Pérée. Philippe administra comme tétrarque les territoires essentiellement non juifs du Nord-Est (Gaulanitide, Trachonitide).

En 6 ap.J.C., l’empereur Auguste déposa Archelaüs pour incompétence et l’exila en Gaule (Vienne). Judée et Samarie devinrent alors province procuratorienne, dont le préfet siégeait à Césarée Maritime et pouvait recevoir l’aide du légat de la province impériale de Syrie. C’est à l’occasion de ce changement de statut que Quirinius vint de Syrie procéder, avec l’aide du procurateur de Judée Coponius, au recensement des habitants de la nouvelle province (Flavius Josèphe, Antiquités juives XVIII,1 ; cf. Lc 2,1-2).

Hérode Antipas gouverna jusqu’en 39, avant d’être exilé par l’empereur Caligula à Lyon, la même année. Son territoire fut donné au roi Agrippa Ier, petit-fils d’Hérode le Grand, qui reconstitua sous contrôle romain le royaume de son grand-père et l’administra de 41 à 44.

Division du royaume d’Hérode le Grand à sa mort

Photo: Antikforever

La notice historiographique de l’évangéliste Luc

L’évangéliste Luc, qui tient à situer dans l’histoire mondiale les événements fondateurs du christianisme, fournit une datation extrêmement précise du commencement de la vocation prophétique de Jean le Baptiste (ou Baptiseur). On y retrouve, la déposition d’Archelaüs ayant déjà eu lieu, le nom des deux fils d’Hérode le Grand : Hérode (Antipas) et Philippe. Il doit s’agir de l’an 27 :

« L’an quinze du principat de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d’Iturée et de Trachonitide, Lysanias tétrarque d’Abilène, sous le pontificat d’Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert. » (Lc 3,1-2)

Ainsi, durant la jeunesse et l’activité publique de Jésus, Galilée et Judée connaissaient deux régimes différents : la première faisait partie d’un royaume sous tutelle, tandis que la seconde était gérée par un préfet aux ordres du Sénat romain.

Situation tendue en Galilée

Tacite, l’historien romain, qualifie ainsi l’état politique de la Judée durant le règne de Tibère : sub Tiberio quies, « sous Tibère, c’est le calme » (Histoires V,9,2). Il est vrai qu’entre les troubles qui ont marqué la mort d’Hérode le Grand et la guerre juive de 66-70, la région a connu un certain apaisement. Mais l’historien romain est peu sensible à d’autres tensions, d’ordre socio-économique et d’ordre religieux, que reflètent aussi bien l’historien juif Flavius Josèphe que les évangiles.

Barque du 1er siècle retrouvée dans le lac de Tibériade, Kibbutz Ginnosar

Photo : Wikipédia

L’économie de la Galilée est faite d’agriculture et de pêche. La terre est fertile, la région exporte. La propriété foncière est répartie entre de grands propriétaires, qui confient l’exploitation de leur domaine à des fermiers, et de petits paysans. Entre propriétaires et fermiers tenus de verser une part importante de la récolte, la parabole des métayers révoltés nous apprend que les tensions peuvent être vives (Mc 12,1-7). Des journaliers travaillent sur appel et sont entièrement dépendants des employeurs, comme l’atteste la parabole des ouvriers de la onzième heure (Mt 20,1-15). Quant aux petits paysans, leur sort est fragile : il suffit d’une mauvaise récolte pour qu’ils soient ruinés et dépossédés de leurs biens ; afin de couvrir la dette, le paysan et sa famille pouvaient être vendus en esclavage.

La Galilée connaît aussi une tension entre ville et campagne. Le pays, essentiellement campagnard, devait compter au Ier siècle moins de 150 000 habitants. La richesse se concentre en ville et attise la jalousie. La culture urbaine, friande de modernité, choque la mentalité villageoise plus traditionnelle. Pareille tension, il est vrai, se retrouve dans tous les pays méditerranéens de l’Antiquité. Il n’est pas moins symptomatique qu’à l’exception de Capharnaüm, centre de l’activité de Jésus, les évangiles ne mentionnent aucune des villes environnantes : Sepphoris (à 6 km de Nazareth) ou Tibériade (à 16 km de Capharnaüm). Ce silence signale que Jésus fut plutôt un homme des campagnes, et qu’il partageait la culture et les soucis des paysans et des petits artisans ; c’est d’ailleurs ce monde de paysans, de pêcheurs et de fermiers que l’on retrouve dans ses paraboles. Jésus ne s’adresse pas d’abord aux classes aisées, mais plutôt à ceux et celles pour qui la perte d’un sou est un drame (Lc 15,8-10).

Ruines de la ville de Capharnaüm, 1er siècle

Photo : E. Pastore

Effervescence apocalyptique

Entre la mort d’Hérode le Grand (4 av. J.C.) et l’éclatement de la guerre juive en 66, l’actualité de la région a été traversée par une levée de mouvements protestataires. En vagues successives, des émeutes se sont dressées contre le pouvoir romain et ses alliés ; cette flambée de violence, rangée sous la bannière du Dieu-roi, s’est particulièrement manifestée en Galilée.

Sitôt après la mort d’Hérode, une « guerre des brigands » fit surgir de nombreux prétendants au trône. Plusieurs chefs populaires prétendirent coiffer le diadème royal au nom de Dieu. Un dénommé Judas fils d’Ézéchias, de Gamala, entraîna une foule à sa suite et s’empara de l’arsenal de Sepphoris. La répression, conduite par le légat de Syrie Quintilius Varus, fut impitoyable et les habitants de la ville, livrés à l’esclavage.

Lors de la déposition d’Archelaüs en 6 ap. J.C., Judas le Galiléen prit la tête d’une campagne de refus de l’impôt, au nom d’une théologie de l’appartenance de la terre au Dieu d’Israël : nul ne devait lever l’impôt sous peine d’attenter à la souveraineté divine. Cet idéal théocratique enflamma ses partisans, qui furent à leur tour écrasés par les légions romaines (Ac 5,37).

Vingt ans plus tard, Jean le Baptiste lance un mouvement de réveil appelant les Israélites à la conversion. Plus nettement que les évangiles (Mc 6,17-18), Flavius Josèphe rapporte la polémique virulente menée par Jean contre le tétrarque Hérode Antipas, au nom de la morale et du respect de la loi (Antiquités juives, XVIII,118). La dénonciation par Jean de la cour hérodienne contaminée par les mœurs hellénistiques, ainsi que sa condamnation du mariage du roi avec sa belle-sœur Hérodiade, recueillait l’approbation du peuple. L’exécution du prophète par Hérode Antipas visait à faire taire la protestation populaire (Mc 6,21-28).

Il est possible aussi que derrière le bain de sang provoqué par les troupes de Ponce Pilate se cache une identique répression d’émeutiers galiléens :

« En ce même temps survinrent des gens qui lui rapportèrent [à Jésus] ce qui était arrivé aux Galiléens, dont Pilate avait mêlé le sang à celui de leurs victimes » (Lc 13,1).

La répression s’avérait particulièrement odieuse aux yeux des croyants, puisque, en massacrant les pèlerins galiléens montant au Temple avec les animaux offerts en sacrifice, Pilate les condamnait à mourir en état d’impureté. La férocité de Pilate à l’égard de toute agitation religieuse populaire se vérifie dans le massacre qu’il provoqua sur le mont Garizim, quelques années après la mort de Jésus ; une foule samaritaine y avait été attirée par la promesse d’un prophète assurant de lui faire voir la vaisselle sacrée que Moïse y avait enterrée. La répression ordonnée par le préfet Pilate fut si cruelle qu’une ambassade juive à Rome demanda, et obtint, son renvoi.

Sommet du Mont Garizim

Photos: BiblePlaces

Sommet du Mont Garizim

Photos : BiblePlaces

En 44, lors du retour de la Galilée sous administration romaine directe, deux fils de Judas le Galiléen, Jacob et Simon, furent crucifiés par le procurateur Tiberius Alexandre pour agitation messianique (Flavius Josèphe, Antiquités juives, XX,102). À la même époque, d’autres prophètes entraînent leurs adhérents dans le désert pour y vivre un nouvel Exode:

« Il y a quelque temps déjà se leva Theudas, qui se disait quelqu’un et qui rallia environ quatre cent hommes. Il fut tué, et tous ceux qui l’avaient suivi se débandèrent, et il n’en resta rien. » (Ac 5, 36)

« Tu n’es donc pas l’Egyptien qui, ces temps derniers, a soulevé quatre mille zéro bandits et les a entraînés au désert… » (Ac 21, 38)

Parmi ces mouvements protestataires, le point commun est leur tentative de précipiter le retour de Dieu, dans un pays souillé par la présence des armées impies et par la dépravation morale des élites. La présence et l’influence culturelle de l’occupant attisèrent donc fortement les poussées apocalyptiques populaires.

Une renommée sulfureuse pour la Galilée

La renommée des Galiléens auprès des Judéens est mauvaise :

« Il ne sort pas de prophète de Galilée » (Jn 7,52). Le grand rabbi Yohanan ben Zakkaï (vers 70) s’est écrié : « Galilée, Galilée, tu hais la Tora ! »

Cette réputation désastreuse vient de l’époque où la population galiléenne était majoritairement non juive. Pour désigner cette terre de païens, Isaïe parlait déjà de la « Galilée des nations* » (Is 9,1, cité en Mt 4,15). Mais à la suite de la colonisation menée sous le règne d’Aristobule Ier (105-104 av.J.C.), la judaïsation de la région avait été efficace. Au Ier siècle, la majorité des Galiléens appartient au judaïsme et parle araméen. Leur attachement au Temple de Jérusalem se concrétise par le versement de l’impôt du Temple et la participation aux pèlerinages. Il est vrai aussi qu’en Galilée on retrouve les traces d’une pratique de la loi plus libérale qu’en Judée.

Malgré la colonisation juive de la région, une renommée d’impiété est restée attachée à la Galilée. Elle fut entretenue au Ier siècle par les rabbins, qui supportaient mal la résistance qu’opposaient les Galiléens à leur hégémonie religieuse.

Le schisme samaritain​

La fondamentale opposition qui sépare les Juifs des Samaritains* est connue du Nouveau Testament :

« 51 Or il advint, comme s’accomplissait le temps où il devait être enlevé, qu’il prit résolument le chemin de Jérusalem 52 et envoya des messagers en avant de lui. S’étant mis en route, ils entrèrent dans un village samaritain pour tout lui préparer. 53 Mais on ne le reçut pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem. 54 Ce que voyant, les disciples Jacques et Jean dirent : “Seigneur, veux-tu que nous ordonnions au feu de descendre du ciel et de les consumer ?” 55 Mais, se retournant, il les réprimanda, » (Lc 9, 51-55 ; 10,29-37)

« La femme samaritaine lui dit : “Comment ! toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une femme samaritaine ?” Les Juifs en effet n’ont pas de relations avec les Samaritains. » (Jn 4, 9)

Il est faux de penser que la foi samaritaine ne constitue qu’une variante du judaïsme du second Temple. Ces deux formes de monothéisme que sont le judaïsme et le samaritanisme, au Ier siècle, sont héritières l’une et l’autre de la foi yahviste des origines; le samaritanisme se compose lui-même de plusieurs branches, qui partagent de nombreux points communs avec le parti sadducéen.

Dans la Bible, l’origine des Samaritains est narrée par le texte clef de 2 R 17,24-41. Il y est relaté qu’après la prise de Samarie, en 722 av. J.C., les Assyriens installèrent en Samarie des colons étrangers afin de remplacer les Israélites du royaume du Nord partis en exil. Les Samaritains sont dès lors considérés comme les descendants de ces colons ignorants du Dieu d’Israël. L’érection du temple du Garizim, au temps d’Alexandre le Grand (322 av. J.C.), aurait scellé le schisme avec le judaïsme resté fidèle à Jérusalem.

Les données historiques conduisent à mettre en doute cette version. L’exil imposé par l’Assyrie n’a touché qu’une petite élite du pays. Quant à la rupture avec le judaïsme, elle semble plutôt dater du règne de Jean Hyrcan (134-104 av. J.C.) qui, lors de sa reconquête de la Samarie, ruina Sichem et détruisit le sanctuaire du Garizim.

Comme les Sadducéens, les Samaritains reconnaissent comme Écriture fondatrice le seul Pentateuque. Par cette foi traditionaliste ils entendent préserver la religion des origines en demeurant fidèles à la loi de Moïse, en pratiquant la circoncision le huitième jour, et en observant rigoureusement le sabbat. Leur sanctuaire est établi sur le mont Garizim où les croyants convergent lors des pèlerinages et où l’agneau pascal est immolé. Les Samaritains refusent la foi en la résurrection des morts, qu’ils n’accepteront qu’au IVe siècle.

Le terme « Samaritain » peut désigner tantôt les habitants de la ville ou de la région de Samarie, tantôt ceux qui se rattachent au culte du Garizim. Dans ce dernier sens, à coloration ethnique et religieuse, « samaritain » est synonyme d’hérétique aux yeux du judaïsme.

Les Samaritains aujourd’hui

Photo: BiblePlaces

Samarie

Photo: BiblePlaces

Mont Garizim
Samarie

Photo: BiblePlaces

Les résistants à l’occupation romaine

Les mots « zélotes » et « sicaires », l’un et l’autre employés par l’historien juif Flavius Josèphe, désignent des groupes de résistants juifs palestiniens à l’occupation romaine, dans le courant du Ier siècle.

Le terme « sicaire » vient de la sica latine, un petit poignard que les sicaires portaient dans les plis de leur vêtement pour frapper dans les lieux publics des romains ou des juifs collaborateurs. Ce sont eux qui organisèrent la résistance à Masada sous la conduite de leur chef, Éléazar ben Yaïr. La forteresse tomba après un long siège en 73 de notre ère.

Le mot « zélote » a rapport avec la racine grecque utilisée pour parler du « zèle ». Un disciple de Jésus nommé Simon est désigné comme « zélote » par Luc (Lc 6,15 ; Ac 1,13), mais simplement comme « zélé » par Marc (3,18). On qualifie parfois de zélotes les compagnons de Judas le Galiléen ou d’autres agitateurs du Ier siècle, mais les historiens s’interrogent sur le moment à partir duquel le terme fut effectivement employé. Par prudence, mieux vaut le réserver aux révoltés qui furent directement à l’origine de la Guerre juive, appelée aussi « première révolte juive », de 66-70.

Le texte ci-dessus est tiré de : Daniel Marguerat, « La situation politique », dans M. Quesnel et P. Gruson (dir.), La Bible et sa culture, Desclée de Brouwer, 2000.

La première révolte juive

​Si Agrippa II tentait d’apaiser les esprits, les Zélotes, quant à eux, excitaient la population contre l’occupant romain et tous les étrangers résidant en Judée. Le désordre se généralisant, sous l’action de bandes de brigands qui infestaient certaines régions, de groupes de Juifs résistants – pour les uns « Zélotes » (zélés serviteurs de la Loi juive et de Dieu), pour les autres « Sicaires » (poignardeurs) – qui terrorisaient leurs coreligionnaires suspects de tiédeur à l’égard de la cause de l’indépendance nationale, ou encore de soi-disant messies dont les vaticinations enflammaient les foules, le pays sombra peu à peu dans une redoutable anarchie.

Sous le gouvernement de celui qui sera le dernier procurateur de cette province, Gestius Florus (64-66), l’émotion soulevée d’abord par les violents affrontements qui opposent, à Césarée, les populations des communautés juive et non juive, puis par le prélèvement effectué, en 66, sur le trésor du Temple, d’une somme correspondant au montant des impôts que les Juifs tardent à payer, va provoquer une émeute à Jérusalem ; le soulèvement s’étendant à tout le pays, commence alors ce que l’on appelle la « Première Révolte juive » (66-70).

Au cours de la première année de la révolte (66–67 apr. J.-C.), les Juifs ne frappèrent que des pièces d’argent, utilisant pour cela la réserve d’argent du Temple de Jérusalem. Les pièces émises par le gouvernement de Judée pendant la Révolte utilisent une écriture hébraïque archaïque et des symboles juifs, notamment des boutons de grenade, des loulavs, des etrogs. des expressions comprenant « Shekel d’Israel » et « Liberté de Sion » (חרות ציון Herut Zion,) en tant que déclarations politiques destinées à rallier le soutien à l’indépendance.

Herut (חרו), le terme hébreu pour «liberté», est apparu pour la première fois sur ces pièces de la guerre juive (66-71), puis plus fréquemment sur des pièces de monnaie de « la seconde révolte » juive, celle qui a été menée par Bar Kochba (132-135).

Monnaie juive : Shekel d’argent datant de l’an 67, à l’époque de la première révolte juive.

AVERS

Inscription hébraïque : Année 4, SHEKEL D’ISRAËL

Description : Un calice surmonté de la date

REVERS

Inscription hébraïque : JÉRUSALEM LA SAINTE

Description : Trois grenades sur une tige

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Cette petite pièce de bronze (Prutah) montre une amphore ou un calice avec l’année sur l’avers, et sur le revers, une feuille de vigne pendue à une vigne et la translittération paléo-hébraïque חרות ציון Cherut Sion « liberté de Sion ».

REVERS

Inscription hébraïque : LIBERTE DE SION

Description : Une feuille de vigne

Une tentative de médiation d’Agrippa II, soutenue par les notables tant prêtres que pharisiens, échoue. Les sacrifices pour l’empereur sont supprimés, le grand prêtre est tué par les émeutiers, les garnisons romaines de Masada et de Jérusalem sont massacrées, et les insurgés proclament l’indépendance de l’État juif ; la petite communauté chrétienne de Jérusalem aurait alors quitté la ville pour se réfugier à Pella, en Transjordanie. En 67, Vespasien est chargé, par l’empereur Néron, d’écraser la révolte ; après s’être emparé de la Galilée, faisant prisonnier son gouverneur « révolutionnaire » Flavius Josèphe, il s’apprête à marcher sur la Judée quand il apprend la mort de Néron, en 68. En 68-69, pendant que les compétiteurs se disputent l’Empire, les opérations militaires subissent une accalmie en Judée ; à Jérusalem, les Juifs des factions rivales ont donc tout le loisir de se massacrer entre eux.

Site archéologique de Pella, Jordanie

Proclamé empereur en 69, Vespasien confie à son fils Titus la mission de mener à leur terme les opérations en Judée: après plusieurs mois de siège, en 70, Jérusalem est prise, son Temple incendié ; les Juifs sont, en masse, vendus comme esclaves ; les forteresses tombent les unes après les autres, la dernière, Masada, en 73. Le pays devient une province, indépendante de celle de Syrie, gouvernée par un légat ; une légion est cantonnée dans les ruines de Jérusalem ; Césarée, résidence du gouverneur, est élevée au rang de colonie ; en 72, à proximité de Sichem, est fondée la ville de Flavia Neapolis (l’actuelle Naplouse).

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Arc de Titus à Rome avec la représentation du pillage des trésors du Temple de Jérusalem.

Détail, musée Tower of David, Jérusalem – Photo : E. Pastore

Le Temple – celui construit par Hérode le Grand – ayant été détruit, la fonction de grand prêtre et le Sanhédrin supprimés, les Juifs survivants se regroupèrent, peu à peu, autour des docteurs de la Loi, d’obédience pharisienne. Jamnia, où Vespasien avait établi des transfuges de Jérusalem, avant le siège de la ville, devint le centre du judaïsme intellectuel et doctrinal dès 70 : un disciple de Hillel, Johanan ben-Zakkaï, y fonda une école de rabbins et y organisa un grand conseil (Beth-dîn) qui prit la suite du Sanhédrin. Mais ce grand conseil, contrairement au Sanhédrin, était composé uniquement de rabbins pharisiens ; ce sont eux qui, dorénavant, dirigeront, seuls, le judaïsme.

Une œuvre considérable fut accomplie à Jamnia : c’est là que, vers la fin du Ier siècle de notre ère, le canon juif de la Bible (c’est-à-dire la liste des Écrits dont, selon les Juifs, celle-ci est composée) est fixé ; c’est là, aussi, que le texte consonantique de ces Écrits est établi une fois pour toutes ; c’est là, encore, qu’est décidée la réalisation, pour les Juifs de la diaspora, d’une traduction en langue grecque de la Bible à partir du canon et du texte hébreu qui viennent d’y être adoptés.

La seconde révolte juive

L’empereur Hadrien, venu à Jérusalem en 130, décide de reconstruire la ville sous le nom d’Aelia Capitolina, et d’édifier, à l’emplacement du Temple incendié, un nouveau temple qui serait, quant à lui, dédié à Jupiter Capitolin. Le début des travaux et, sans doute, aussi, l’interdiction de la circoncision au même titre que la castration provoquent un nouveau soulèvement que l’on appelle la « Seconde Révolte juive » (132-135). Celle-ci est dirigée par Simon Bar-Kokheba qui s’intitule « Prince d’Israël » ; le rabbin Aqiba, le prenant pour le Messie, lui apporte son appui ; Bar-Kokheba est aussi soutenu par le prêtre Éléazar, qui était peut-être son oncle, et dont le nom figurera près du sien sur les monnaies frappées après la libération de Jérusalem.

Les Romains, dans l’attente de renforts, ayant regroupé leurs forces aux frontières du pays, une grande partie de celui-ci passe sous le contrôle des insurgés. Jérusalem paraît avoir été entre les mains de ces derniers pendant environ deux ans ; il est probable que le culte fut alors restauré dans les ruines du Temple. Mais, peu à peu, les Romains refoulent leurs adversaires vers les régions accidentées de la Judée : l’Hérodium pourrait avoir servi, à ce moment-là si ce n’est même plus tôt, de quartier général à Bar-Kokheba ; les ruines de Qumrân sont réutilisées. Jérusalem tombe en 134. Finalement, Bittir (à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale), où Bar-Kokheba et le prêtre Éléazar se seraient repliés et auraient péri, est emporté en 135, et les derniers combattants se terrent dans les grottes presque inaccessibles des berges des oueds du désert de Juda, où, parfois, les Romains viennent les assiéger ; récemment, certaines de ces grottes ont livré quelques-unes des archives de ceux, résistants ou réfugiés, qu’elles avaient alors abrités.

Empereur Hadrien (117-138 ap. JC) Musée Tower of David, Jérusalem Photo : E. Pastore

Musée Tower of David, Jérusalem Photo : E. Pastore

Pièces romaines commémorant la victoire de Rome sur la Judée. Les inscriptions indiquent : « Iudaea » ou « Iudaea capta » qui signifie « Judée captive ». La Judée est représentée comme une femme à terre, les mains liées derrière le dos, symbolisant la soumission de la province.

Musée Tower of David, Jérusalem Photos : E. Pastore

La répression fut encore pire qu’en 70 : de nouvelles déportations de Juifs, réduits en esclavage, s’ajoutèrent aux massacres ; le rabbin Aqiba aurait été, lui-même, martyrisé. Après la Première Révolte, Jérusalem avait non seulement continué à être un lieu de pèlerinages, mais, de plus, avait compté, parmi ses habitants, des Juifs qui y étaient restés ou étaient revenus y vivre, de même, d’ailleurs, que des Judéo-chrétiens (Juifs adeptes du Christianisme), les uns et les autres y ayant synagogues ou église (une petite église, à l’emplacement du Cénacle – endroit où se serait tenue la « Cène », c’est-à-dire le dernier repas que Jésus aurait pris avec ses disciples –, aurait servi de point de rassemblement aux Judéo-chrétiens revenus de Pella à Jérusalem) ; cette fois-ci, Hadrien interdit à tout circoncis l’accès de Jérusalem, qui devient une colonie romaine, la Colonia Aelia Capitolina ; la reconstruction de la cité selon son nouveau plan, arrêtée par la révolte, va, maintenant, être menée à son terme. Et le nom de « Judée » est remplacé par celui de « Palestine ». Ce territoire devient une partie de la nouvelle « province de Syrie-Palestine ». La Judée perd son nom et se voit forcée à être désignée par le nom de ceux qui ont été auparavant ses ennemis: les Syriens et les Philistins.

Pièce romaine commémorant la fondation de la nouvelle ville de Jérusalem, Aelia Capitolina, par la démarcation de ses frontières.

Musée Tower of David, Jérusalem Photos : E. Pastore

Bibliographie

  • Daniel Marguerat, « La situation politique », dans M. Quesnel et P. Gruson (dir.), La Bible et sa culture, Desclée de Brouwer, 2000.

  • Ernest-Marie LAPERROUSAZ, Robert MANTRAN, « PALESTINE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 6 septembre 2020.