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Samedi saint, de la nuit de la foi à la vision de la gloire
Les sept lectures de la veillée pascale expliquées
Les Actes des apôtres ou les débuts de l'Église
Sommaire
La Bible est une grande bibliothèque
On dit souvent que la Bible est une bibliothèque, le mot « bible » venant en effet d’un pluriel grec, biblia : des livres. La mise par écrit, ainsi que la rédaction et la réunion des différents livres qui composent la Bible, ont supposé un long processus qui s’est étalé sur près de mille ans. Les différents textes bibliques ont vu le jour dans des contextes historiques auxquels ils réagissent tout en pouvant garder la mémoire de traditions plus anciennes.
Y a-t-il plusieurs Bibles ?
La Bible ne comprend pas exactement le même nombre de livres pour les juifs, pour les catholiques ou pour les protestants. Le « canon » (la norme) des livres bibliques est lié à une histoire complexe. Le canon de la Bible hébraïque ne contient que les livres théoriquement rédigés en hébreu et sur la terre d’Israël. Les protestants suivent ce même canon. Les catholiques ont suivi le canon de la Bible Septante, la première traduction de la Bible hébraïque en grec (2è s. av. J.-C.). La Septante a intégré certains livres supplémentaires, ce qui explique les différences avec le canon de la Bible hébraïque. De plus, l’ordre des livres varie également entre la Septante et la Bible hébraïque. Mises à part ces différences, la Bible hébraïque correspond à ce que les chrétiens appellent « Ancien Testament » pour le distinguer du « Nouveau Testament ». En ce qui concerne le premier Testament, nous partageons donc les mêmes textes sacrés que les juifs.
La Bible hébraïque ou Ancien Testament
La Bible hébraïque se compose de trois grandes parties : la Torah ou le Pentateuque (le nom grec désigne les cinq livres qui y sont regroupés), les Prophètes (Neviim en hébreu) et les Écrits (Ketuvim).
Par acronymie, ces trois noms (Torah, Neviim, Ketuvim) forment le mot TaNaK qui désigne l’ensemble des livres de la Bible hébraïque.
La Bible hébraïque se différencie de la Bible chrétienne qui est organisée en quatre parties: Pentateuque, Livres historiques, Écrits de sagesse et Livres prophétiques.
La Torah
On peut distinguer dans la Torah deux grands ensembles. Le premier, la Genèse, pose la question des origines : Dieu y crée le monde et les hommes (Gn 1-3), mais il est aussi à l’origine de la violence (Caïn et Abel, le déluge – Gn 4-9) et de la diversité des langues et des cultures (Gn 10-11). On y raconte ensuite l’histoire des patriarches, d’Abraham (Gn 12-25), d’Isaac (Gn 26), de Jacob et de son fils Joseph (Gn 27-50), qui sont les ancêtres d’Israël mais pas seulement : Abraham et Isaac sont aussi les parents de la plupart des voisins d’Israël. La deuxième grande partie du Pentateuque relate l’histoire de Moïse, la libération d’Israël des corvées d’Égypte et son séjour dans le désert en chemin vers la Terre promise. Cette deuxième partie commence par la naissance et se termine par la mort de Moïse ; elle couvre ainsi l’ensemble des quatre livres : Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. Dès le début de cette histoire, le statut particulier de Moïse est souligné par le fait qu’il reçoit à deux reprises des révélations divines qui portent, entre autres, sur le nom du dieu qui l’appelle et sur la signification de ce nom.
L’histoire des patriarches et celle de Moïse et de la sortie d’Égypte proposent au lecteur deux modèles d’identité différents. Selon les récits de la Genèse, l’identité juive se fait par la descendance : on est juif parce qu’on descend d’Abraham, d’Isaac et de Jacob; c’est pourquoi on trouve dans ces textes de nombreuses généalogies. Si l’on passe à l’histoire de Moïse, on constate que les généalogies ont disparu. L’identité du peuple de Yahvé ne repose pas sur la descendance mais sur l’adhésion à l’alliance entre Dieu et Israël, dont Moïse devient le médiateur. Cette alliance est conclue après la libération d’Égypte ; elle est fondée sur les stipulations divines qui se trouvent dans les différents codes de lois qui jalonnent les récits du séjour des Hébreux dans le désert.
Cette différence entre la Genèse et les livres suivants se fait aussi ressentir dans la manière dont on présente la divinité. Dans la première partie du livre de la Genèse, de nombreux textes dépeignent un dieu « universel », créateur du monde et de l’humanité qui n’hésite pas à intervenir dans l’histoire des hommes, par exemple lors du déluge ou encore au temps de la tour de Babel. Plus tard, dans l’histoire de Joseph, il apparaît aussi bien comme dieu des Hébreux et des Égyptiens.
En ce qui concerne les histoires des Patriarches, on y trouve souvent un dieu clanique, appelé le dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mais aussi le dieu d’Ismaël et d’Ésaü et de leurs descendants. Dans l’histoire de Moïse et de l’alliance au Sinaï, c’est un dieu guerrier qui se manifeste dans la tempête, conclut un contrat avec son peuple et promet un pays à conquérir. Cette conquête sous l’égide d’un dieu violent sera relatée dans le livre de Josué. Bien que, dès la vocation de Moïse, Yahvé lui ait annoncé qu’il devrait mener le peuple dans un pays « où coulent le lait et le miel », Moïse meurt à la fin du Pentateuque en dehors du pays promis. Le Pentateuque se conclut ainsi par un non-accomplissement de la promesse.
Les Prophètes
La deuxième partie de la Bible hébraïque, appelée les « Prophètes », reprend le fil narratif et raconte d’abord, dans les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois, l’histoire d’Israël depuis la conquête militaire du pays sous Josué, installé par la divinité comme chef militaire, l’établissement de la royauté avec Saül, David et Salomon, jusqu’à la chute de la royauté judéenne et la destruction de Jérusalem en 587 avant notre ère.
Ces livres, qui se terminent sur l’écroulement de la royauté et des institutions politiques, sont suivis de la collection des livres prophétiques proprement dits ; ceux-ci permettent de mieux comprendre les raisons de la catastrophe qui résulte, selon les discours des prophètes, du rejet par le peuple et par ses responsables des exigences divines de justice et de vénération exclusive. C’est donc le dieu d’Israël lui-même qui est à l’origine des défaites militaires de son peuple, qu’il sanctionne, ainsi que ses chefs, pour ne pas avoir respecté ses commandements. En même temps, ces livres contiennent aussi des promesses de renouveau, soit d’une restauration de la royauté davidique, soit, plus généralement, d’un salut à venir.
Les Ecrits
Les « Écrits », qui constituent la troisième partie de la Bible hébraïque, regroupent des livres de différents genres littéraires, notamment des réflexions sur la condition humaine et sur la relation souvent difficile entre l’homme et Dieu. Le livre des Psaumes qui ouvre, dans la plupart des manuscrits, cette collection contient des hymnes de louange mais aussi, essentiellement, des lamentations individuelles et collectives qui s’expriment également dans le livre des Lamentations commémorant la destruction de Jérusalem. Mais on y trouve aussi le Cantique des cantiques, qui est une collection de poèmes d’amour.
Deux livres ont pour héroïnes des femmes : le livre de Ruth raconte l’histoire d’une femme étrangère, du pays de Moab, qui épouse un des ancêtres du roi David ; le livre d’Esther met en scène une jeune femme judéenne qui intervient auprès du roi perse pour sauver son oncle et son peuple de fausses accusations.
Les femmes de la Bible sont innombrables. Découvrez les posts de Via Egeria qui leur sont consacrés:
Le livre de Job dépeint un riche propriétaire qui se révolte contre un dieu qu’il trouve incompréhensible, constatant que la doctrine de la rétribution qui figure dans certains passages du livre des Proverbes (le méchant sera puni, le juste vivra dans le bonheur) ne fonctionne pas. Il est rejoint dans ce constat par Qohéleth (l’Ecclésiaste), le premier philosophe du judaïsme, qui insiste sur le fait que la divinité est inaccessible et qui appelle l’homme à reconnaître et à accepter ses limites.
Mais on trouve aussi, dans les Écrits, le livre de Daniel qui met en scène un jugement final de Dieu à la fin des temps. Les livres des Chroniques, en revanche, proposent une nouvelle version de l’histoire de la royauté qui avait déjà été narrée dans les livres de Samuel et des Rois. Cette histoire se poursuit dans les livres d’Esdras et de Néhémie qui relatent l’histoire de la restauration à l’époque perse et la promulgation de la loi divine à Jérusalem. Dans la plupart des manuscrits, cet ordre chronologique n’est pas respecté et les livres des Chroniques sont placés en dernière position. Ainsi la Bible hébraïque se termine-t-elle par l’appel du roi perse à tous les Judéens exilés de retourner à Jérusalem et de construire la « nouvelle Jérusalem ».
Source bibliographique
L’Ancien Testament, Thomas Römer, Que sais-je, 2019.
Les livres « deutérocanoniques »
Plusieurs livres figurent dans la version grecque de la Bible, appelée la Septante, tandis qu’ils n’apparaissent pas dans la Bible hébraïque. Comment expliquer cela?
Les livres deutérocanoniques sont des livres rédigés par les croyants juifs qui vivaient au 2e et 1er siècle avant notre ère. A cette époque, ces croyants se débattaient dans un monde fortement influencé par la culture grecque et plutôt hostile à la religion juive. Les persécutions étaient monnaie courante.
Au premier siècle de notre ère, jugeant sans doute que ces livres ne reflétaient pas une certaine pureté de la culture hébraïque, le judaïsme officiel n’a pas intégré ces livres parmi les texte considérés comme sacrés, alors que les chrétiens les avaient acceptés.
Cet état de fait s’est prolongé jusqu’au 16e siècle. Au moment où les réformateurs protestants ont traduit la Bible, ils ont aussi traduit ces livres grecs, mais les ont dénommés « apocryphes » d’un mot grec qui signifie « caché » et ils les ont placés à la fin de la Bible juive (qui correspond à notre Ancien Testament). C’est l’Eglise catholique qui à partir du concile de Trente les a qualifiés de « deutérocanoniques » (faisant partie d’un deuxième canon) pour bien souligner qu’elle les considère comme pleinement inspirés.
Quels sont ces livres ?
Parmi les livres de type historique :
-
Tobit
-
Judith
-
Forme grecque du livre d’Esther
-
Premier livre des Maccabées
-
Second livre des Maccabées
Parmi les livres de type poétique ou sapiential :
-
Sagesse
-
Siracide
Parmi les livres de type prophétique :
-
Baruc
-
Lettre de Jérémie
-
Suppléments grecs au livre de Daniel
Le Nouveau Testament
On dit parfois que le Nouveau Testament serait le « livre fondateur » du christianisme. L’expression n’est pas exacte. Pour décrire le rôle prééminent de ces 27 livres, qui les distingue de toute la littérature chrétienne écrite à leur époque, il faut trouver une autre formule. En effet, le Nouveau Testament n’a pas « fondé » le christianisme au sens où il l’aurait précédé et l’aurait modelé : la religion et son livre sacré se sont développés au même pas, au point que l’on ne saurait décrire l’un sans parler des tensions et des rivalités qui ont présidé à la naissance de l’autre. Nouveau Testament et histoire du christianisme primitif sont indissociables l’un de l’autre : la perception et la transmission des événements vécus par les premiers disciples constituent des enjeux pour la communauté et la façonnent, car c’est la volonté de transmettre qui fédère cet ensemble de personnes en communauté. Mais en retour, l’évolution des communautés primitives conditionne les moyens et les manières de cette transmission.
L’événement Jésus-Christ
Le Nouveau Testament ne se comprend pas si on le dissocie de ce qui préside à la naissance du christianisme : le témoignage d’un groupe de Juifs de Galilée, selon lequel Jésus, qui prêcha parmi eux la venue du Royaume de Dieu, était le Messie promis par Dieu, était ressuscité et vainqueur de la mort, et annonçait la conclusion d’une nouvelle alliance entre les hommes et Dieu.
Il n’entre pas dans les limites de ce texte de traiter de la figure de Jésus. On rappellera simplement qu’il apparut en Galilée au cours du règne de Tibère sous le mandat de Ponce Pilate (vers les années 27-30), qu’il se présenta sous la triple figure du prophète, du guérisseur et du maître de sagesse, qu’il conduisit une prédication qui lui valut la bienveillance des foules, qu’il fut arrêté sous des motifs politiques et religieux obscurs et qu’il fut crucifié.
Immédiatement après sa mort, intervenue probablement en l’an 30 (ou sinon en 31 ou en 33), ses disciples proclamèrent que son corps avait disparu de son tombeau, qu’il était ressuscité et qu’il leur était apparu. Ils mirent alors en avant les paroles qu’il avait prononcées, et particulièrement celles du dernier repas qu’il avait pris avec eux (la « Cène ») et proclamèrent la Bonne nouvelle – c’est le sens du mot « évangile », en grec euangelion – de ce qu’ils avaient vécu et de la Nouvelle Alliance que Dieu avait passée en Jésus avec les hommes.
L’histoire de la première communauté chrétienne – et au-delà celle de tout le mouvement chrétien – s’articule autour du concept de témoignage. Le mouvement chrétien naît en effet de la nécessité de témoigner de la vie et du message de Jésus et se développe en approfondissant ce témoignage. L’écriture, et en particulier l’écriture des livres qui entreront dans le Nouveau Testament, ne se comprend pas dans cette société essentiellement orale sans cette notion clef.
Pourquoi un « Nouveau » Testament ?
Avant que le terme testamentum (en latin) ou diathékè (en grec) ne fût appliqué à des livres, il désignait l’alliance que Dieu avait passée avec Noé, Abraham, Isaac, Jacob et leurs descendants, pour leur accorder soutien et bénédiction. Or, juste avant l’Exil (v. 587 av. J.-C.), Jérémie annonçait déjà que Dieu allait conclure une « nouvelle alliance » (Jérémie 31, 31-33) avec son peuple. Paul, quant à lui, appelait l’alliance passée avec Abraham « ancienne alliance » (II Corinthiens 3, 14) et théorise dans l’Épître aux Galates l’existence de deux alliances : une alliance ancienne et une alliance nouvelle (Galates 4, 21-31).
L’auteur de l’Épître aux Hébreux évoquait une « alliance nouvelle » (Hébreux 8, 6 ; 9, 15 ; 12, 24). À partir du milieu du 2ème siècle seulement et par glissement de sens, les chrétiens commencèrent à désigner par « Nouveau Testament » le corpus de ceux de leurs écrits qu’ils jugeaient « canoniques », ce qui conduisit à nommer « Ancien Testament » les écrits d’Israël qu’ils retinrent.
L’ordre des livres du Nouveau Testament
L’ordre de présentation des livres, tel que l’a fixé la tradition ecclésiale, répond à des critères variés, parfois surprenants ; il est clair qu’il ne correspond nullement à la chronologie de la mise par écrit des livres, puisque les premiers textes fixés par écrit ont certainement été les lettres pauliniennes entre 50 et 60, la première lettre aux Thessaloniciens étant considérée comme le premier écrit chrétien, sans doute rédigé en 49-50.
Une tout autre idée préside, semble-t-il, à l’organisation du corpus : en tête viennent les quatre évangiles, ce qui correspond à la chronologie de l’annonce de la Bonne Nouvelle : généalogie et enfance de Jésus de Nazareth, vie publique en Galilée et en Judée, mort sur la croix, annonce de la Résurrection, apparition aux femmes et aux disciples. Mais le fait même qu’il y ait quatre évangiles, que l’histoire soit répétée quatre fois avec des différences notables, arrache les évangiles au genre biographique. Il s’agit de relire le passé vécu avec Jésus le Nazaréen à la lumière de sa Résurrection et de son élévation dans la gloire. À chaque communauté, avec sa configuration sociologique, culturelle et religieuse, il est proposé de reprendre la route, celle qui a mené Jésus à la croix, et de reconnaître, chemin faisant, dans celui que les hommes ont rejeté et crucifié, la puissance de Dieu à l’œuvre, le Ressuscité qui est maintenant leur Seigneur. Aux lecteurs d’horizons variés et parfois opposés, les évangiles offrent une pluralité de chemins pour la foi.
L’ordre retenu jusqu’aujourd’hui est Matthieu, Marc, Luc et Jean, mais une petite partie de la tradition manuscrite, reflet de certaines pratiques d’Église, porte un ordre différent : Matthieu, Jean, Luc et Marc ; peut-être faut-il y voir une organisation plus ésotérique des matières ?
Dans tous les cas, Matthieu ouvre le Nouveau Testament : il inscrit Jésus dans la lignée de la promesse à Israël, au sein d’une histoire que le judaïsme concevait comme l’histoire de Dieu avec son peuple ; aussi l’annonce-t-il comme « l’Emmanuel », ce qui signifie « Dieu avec nous » (Mt 1,23), réalisant la promesse de Dieu qui accompagne son peuple « jusqu’à la fin de l’âge » (Mt 28,20).
Après les évangiles, les Actes des Apôtres ouvrent le temps de l’Église : l’Esprit y assure l’expansion de la Parole jusqu’au centre de la terre habitée, Rome, tandis que le problème de l’articulation d’Israël et de l’Église sous l’horizon de l’élection est formulé en termes peu compatibles de substitution et d’espérance. C’est que Paul, depuis longtemps déjà, avait franchi le pas et était devenu « l’apôtre des nations païennes ». Refusant à la loi juive la possibilité d’offrir le salut, il n’avait plus proclamé de salut qu’en Jésus Christ et en Jésus Christ crucifié.
Les épîtres de Paul sont classées dans un ordre purement conventionnel : de la plus longue (Romains) à la plus courte (Philémon), les treize lettres longtemps considérées comme authentiques sont incluses. Viennent ensuite la lettre aux Hébreux, puis les lettres que l’on appelle épîtres catholiques, c’est-à-dire des lettres circulaires adressées à des communautés dispersées sur telle ou telle aire géographique : épître de Jacques, première et deuxième épître de Pierre, les trois épîtres de Jean, l’épître de Jude.
Toutes ces lettres reflètent la réception et l’enracinement de l’Évangile dans les communautés, mais aussi les conflits locaux, doctrinaux ou disciplinaires auxquels il a donné lieu. L’évangile de Paul, le premier, a pu être mal compris, notamment en milieu païen : les enthousiastes de Corinthe s’emparent de la liberté proclamée par l’apôtre (« tout est permis » ; 1 Co 6,12 et 10,23) pour en conclure à un mépris total du corps : ascèse excessive ou laxisme sans frein ; tandis que les Galates, séduits par des prédicateurs judaïsant, se laissent fasciner par les pratiques juives et réclament la circoncision. Chacun cherche dans son sens une garantie de salut : sagesse ou signe ! Des courants annonciateurs de mouvements hérétiques connus sous le nom de prégnostiques s’emparent du message chrétien ; plus tard dans le siècle, les lettres Pastorales réagiront contre ceux qui prétendent que la Résurrection a déjà eu lieu ; au début du IIe siècle la seconde épître de Pierre dénoncera ceux qui n’attendent plus la venue du Seigneur et dévitalisent l’espérance des communautés.
Constamment menacées par des prédicateurs judaïsant, des enthousiastes exaltés, des adeptes des philosophies épicuriennes ou sceptiques, les communautés du Nouveau Testament entreprennent la lente inculturation du message chrétien dans le monde gréco-romain. Le passage décisif de l’Évangile aux nations païennes et la séparation d’avec le judaïsme s’accomplissent non sans interrogation ni sans souffrance. Tard dans le Ier siècle, alors que le judaïsme se reconstitue autour de sa loi, l’évangile de Matthieu essaye difficilement de faire vivre ensemble judéo-chrétiens et pagano-chrétiens, mais ouvre la mission à toutes les nations. À la même époque, mais dans un autre milieu géographique et social, la lettre aux Éphésiens considère l’unité comme définitivement achevée. Paul, qui avait consommé tôt la rupture, conservait à l’endroit du judaïsme une espérance douloureuse mais sans faille ; quelques décennies plus tard l’auteur des Actes ne la partageait plus.
Si l’Apocalypse n’a été reconnue que tardivement par toutes les Églises, elle est devenue le dernier texte du Nouveau Testament, et cette finale est riche de sens: révélation du dessein définitif de Dieu dont l’intervention doit mettre un terme à l’histoire, elle affirme la dimension transcendante du salut et de la venue du Royaume de Dieu.
Elle entre ainsi en tension avec le déploiement des efforts humains dans la mission et la lutte contre les puissances hostiles tout au long du Nouveau Testament. Là où Matthieu ouvrait les temps nouveaux en proclamant la présence du Ressuscité auprès de son Église envoyée aux hommes jusqu’à la fin des âges, l’Apocalypse célèbre la fin de cette histoire et la venue de la création nouvelle et de la Jérusalem céleste.
Parce que la liturgie est à la fois actualisation et anticipation du Royaume, l’Apocalypse achève et ouvre le Nouveau Testament sur le cri liturgique : « Viens Seigneur Jésus ! » (Ap 22,20).
Sources bibliographiques
Le Nouveau Testament, Régis Burnet, Que sais-je, 2014.
La Bible et sa culture, M. Quesnel et Ph. Gruson (dir.), Desclée de Brouwer, 2000
Sommaire
Sommaire
La Bible est une grande bibliothèque
On dit souvent que la Bible est une bibliothèque, le mot « bible » venant en effet d’un pluriel grec, biblia : des livres. La mise par écrit, ainsi que la rédaction et la réunion des différents livres qui composent la Bible, ont supposé un long processus qui s’est étalé sur près de mille ans. Les différents textes bibliques ont vu le jour dans des contextes historiques auxquels ils réagissent tout en pouvant garder la mémoire de traditions plus anciennes.
Y a-t-il plusieurs Bibles ?
La Bible ne comprend pas exactement le même nombre de livres pour les juifs, pour les catholiques ou pour les protestants. Le « canon » (la norme) des livres bibliques est lié à une histoire complexe. Le canon de la Bible hébraïque ne contient que les livres théoriquement rédigés en hébreu et sur la terre d’Israël. Les protestants suivent ce même canon. Les catholiques ont suivi le canon de la Bible Septante, la première traduction de la Bible hébraïque en grec (2è s. av. J.-C.). La Septante a intégré certains livres supplémentaires, ce qui explique les différences avec le canon de la Bible hébraïque. De plus, l’ordre des livres varie également entre la Septante et la Bible hébraïque. Mises à part ces différences, la Bible hébraïque correspond à ce que les chrétiens appellent « Ancien Testament » pour le distinguer du « Nouveau Testament ». En ce qui concerne le premier Testament, nous partageons donc les mêmes textes sacrés que les juifs.
La Bible hébraïque ou Ancien Testament
La Bible hébraïque se compose de trois grandes parties : la Torah ou le Pentateuque (le nom grec désigne les cinq livres qui y sont regroupés), les Prophètes (Neviim en hébreu) et les Écrits (Ketuvim).
Par acronymie, ces trois noms (Torah, Neviim, Ketuvim) forment le mot TaNaK qui désigne l’ensemble des livres de la Bible hébraïque.
La Bible hébraïque se différencie de la Bible chrétienne qui est organisée en quatre parties: Pentateuque, Livres historiques, Écrits de sagesse et Livres prophétiques.
La Torah
On peut distinguer dans la Torah deux grands ensembles. Le premier, la Genèse, pose la question des origines : Dieu y crée le monde et les hommes (Gn 1-3), mais il est aussi à l’origine de la violence (Caïn et Abel, le déluge – Gn 4-9) et de la diversité des langues et des cultures (Gn 10-11). On y raconte ensuite l’histoire des patriarches, d’Abraham (Gn 12-25), d’Isaac (Gn 26), de Jacob et de son fils Joseph (Gn 27-50), qui sont les ancêtres d’Israël mais pas seulement : Abraham et Isaac sont aussi les parents de la plupart des voisins d’Israël. La deuxième grande partie du Pentateuque relate l’histoire de Moïse, la libération d’Israël des corvées d’Égypte et son séjour dans le désert en chemin vers la Terre promise. Cette deuxième partie commence par la naissance et se termine par la mort de Moïse ; elle couvre ainsi l’ensemble des quatre livres : Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. Dès le début de cette histoire, le statut particulier de Moïse est souligné par le fait qu’il reçoit à deux reprises des révélations divines qui portent, entre autres, sur le nom du dieu qui l’appelle et sur la signification de ce nom.
L’histoire des patriarches et celle de Moïse et de la sortie d’Égypte proposent au lecteur deux modèles d’identité différents. Selon les récits de la Genèse, l’identité juive se fait par la descendance : on est juif parce qu’on descend d’Abraham, d’Isaac et de Jacob; c’est pourquoi on trouve dans ces textes de nombreuses généalogies. Si l’on passe à l’histoire de Moïse, on constate que les généalogies ont disparu. L’identité du peuple de Yahvé ne repose pas sur la descendance mais sur l’adhésion à l’alliance entre Dieu et Israël, dont Moïse devient le médiateur. Cette alliance est conclue après la libération d’Égypte ; elle est fondée sur les stipulations divines qui se trouvent dans les différents codes de lois qui jalonnent les récits du séjour des Hébreux dans le désert.
Cette différence entre la Genèse et les livres suivants se fait aussi ressentir dans la manière dont on présente la divinité. Dans la première partie du livre de la Genèse, de nombreux textes dépeignent un dieu « universel », créateur du monde et de l’humanité qui n’hésite pas à intervenir dans l’histoire des hommes, par exemple lors du déluge ou encore au temps de la tour de Babel. Plus tard, dans l’histoire de Joseph, il apparaît aussi bien comme dieu des Hébreux et des Égyptiens.
En ce qui concerne les histoires des Patriarches, on y trouve souvent un dieu clanique, appelé le dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, mais aussi le dieu d’Ismaël et d’Ésaü et de leurs descendants. Dans l’histoire de Moïse et de l’alliance au Sinaï, c’est un dieu guerrier qui se manifeste dans la tempête, conclut un contrat avec son peuple et promet un pays à conquérir. Cette conquête sous l’égide d’un dieu violent sera relatée dans le livre de Josué. Bien que, dès la vocation de Moïse, Yahvé lui ait annoncé qu’il devrait mener le peuple dans un pays « où coulent le lait et le miel », Moïse meurt à la fin du Pentateuque en dehors du pays promis. Le Pentateuque se conclut ainsi par un non-accomplissement de la promesse.
Les Prophètes
La deuxième partie de la Bible hébraïque, appelée les « Prophètes », reprend le fil narratif et raconte d’abord, dans les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois, l’histoire d’Israël depuis la conquête militaire du pays sous Josué, installé par la divinité comme chef militaire, l’établissement de la royauté avec Saül, David et Salomon, jusqu’à la chute de la royauté judéenne et la destruction de Jérusalem en 587 avant notre ère.
Ces livres, qui se terminent sur l’écroulement de la royauté et des institutions politiques, sont suivis de la collection des livres prophétiques proprement dits ; ceux-ci permettent de mieux comprendre les raisons de la catastrophe qui résulte, selon les discours des prophètes, du rejet par le peuple et par ses responsables des exigences divines de justice et de vénération exclusive. C’est donc le dieu d’Israël lui-même qui est à l’origine des défaites militaires de son peuple, qu’il sanctionne, ainsi que ses chefs, pour ne pas avoir respecté ses commandements. En même temps, ces livres contiennent aussi des promesses de renouveau, soit d’une restauration de la royauté davidique, soit, plus généralement, d’un salut à venir.
Les Ecrits
Les « Écrits », qui constituent la troisième partie de la Bible hébraïque, regroupent des livres de différents genres littéraires, notamment des réflexions sur la condition humaine et sur la relation souvent difficile entre l’homme et Dieu. Le livre des Psaumes qui ouvre, dans la plupart des manuscrits, cette collection contient des hymnes de louange mais aussi, essentiellement, des lamentations individuelles et collectives qui s’expriment également dans le livre des Lamentations commémorant la destruction de Jérusalem. Mais on y trouve aussi le Cantique des cantiques, qui est une collection de poèmes d’amour.
Deux livres ont pour héroïnes des femmes : le livre de Ruth raconte l’histoire d’une femme étrangère, du pays de Moab, qui épouse un des ancêtres du roi David ; le livre d’Esther met en scène une jeune femme judéenne qui intervient auprès du roi perse pour sauver son oncle et son peuple de fausses accusations.
Les femmes de la Bible sont innombrables. Découvrez les posts de Via Egeria qui leur sont consacrés:
Le livre de Job dépeint un riche propriétaire qui se révolte contre un dieu qu’il trouve incompréhensible, constatant que la doctrine de la rétribution qui figure dans certains passages du livre des Proverbes (le méchant sera puni, le juste vivra dans le bonheur) ne fonctionne pas. Il est rejoint dans ce constat par Qohéleth (l’Ecclésiaste), le premier philosophe du judaïsme, qui insiste sur le fait que la divinité est inaccessible et qui appelle l’homme à reconnaître et à accepter ses limites.
Mais on trouve aussi, dans les Écrits, le livre de Daniel qui met en scène un jugement final de Dieu à la fin des temps. Les livres des Chroniques, en revanche, proposent une nouvelle version de l’histoire de la royauté qui avait déjà été narrée dans les livres de Samuel et des Rois. Cette histoire se poursuit dans les livres d’Esdras et de Néhémie qui relatent l’histoire de la restauration à l’époque perse et la promulgation de la loi divine à Jérusalem. Dans la plupart des manuscrits, cet ordre chronologique n’est pas respecté et les livres des Chroniques sont placés en dernière position. Ainsi la Bible hébraïque se termine-t-elle par l’appel du roi perse à tous les Judéens exilés de retourner à Jérusalem et de construire la « nouvelle Jérusalem ».
Source bibliographique
L’Ancien Testament, Thomas Römer, Que sais-je, 2019.
Les livres « deutérocanoniques »
Plusieurs livres figurent dans la version grecque de la Bible, appelée la Septante, tandis qu’ils n’apparaissent pas dans la Bible hébraïque. Comment expliquer cela?
Les livres deutérocanoniques sont des livres rédigés par les croyants juifs qui vivaient au 2e et 1er siècle avant notre ère. A cette époque, ces croyants se débattaient dans un monde fortement influencé par la culture grecque et plutôt hostile à la religion juive. Les persécutions étaient monnaie courante.
Au premier siècle de notre ère, jugeant sans doute que ces livres ne reflétaient pas une certaine pureté de la culture hébraïque, le judaïsme officiel n’a pas intégré ces livres parmi les texte considérés comme sacrés, alors que les chrétiens les avaient acceptés.
Cet état de fait s’est prolongé jusqu’au 16e siècle. Au moment où les réformateurs protestants ont traduit la Bible, ils ont aussi traduit ces livres grecs, mais les ont dénommés « apocryphes » d’un mot grec qui signifie « caché » et ils les ont placés à la fin de la Bible juive (qui correspond à notre Ancien Testament). C’est l’Eglise catholique qui à partir du concile de Trente les a qualifiés de « deutérocanoniques » (faisant partie d’un deuxième canon) pour bien souligner qu’elle les considère comme pleinement inspirés.
Quels sont ces livres ?
Parmi les livres de type historique :
-
Tobit
-
Judith
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Forme grecque du livre d’Esther
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Premier livre des Maccabées
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Second livre des Maccabées
Parmi les livres de type poétique ou sapiential :
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Sagesse
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Siracide
Parmi les livres de type prophétique :
-
Baruc
-
Lettre de Jérémie
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Suppléments grecs au livre de Daniel
Le Nouveau Testament
On dit parfois que le Nouveau Testament serait le « livre fondateur » du christianisme. L’expression n’est pas exacte. Pour décrire le rôle prééminent de ces 27 livres, qui les distingue de toute la littérature chrétienne écrite à leur époque, il faut trouver une autre formule. En effet, le Nouveau Testament n’a pas « fondé » le christianisme au sens où il l’aurait précédé et l’aurait modelé : la religion et son livre sacré se sont développés au même pas, au point que l’on ne saurait décrire l’un sans parler des tensions et des rivalités qui ont présidé à la naissance de l’autre. Nouveau Testament et histoire du christianisme primitif sont indissociables l’un de l’autre : la perception et la transmission des événements vécus par les premiers disciples constituent des enjeux pour la communauté et la façonnent, car c’est la volonté de transmettre qui fédère cet ensemble de personnes en communauté. Mais en retour, l’évolution des communautés primitives conditionne les moyens et les manières de cette transmission.
L’événement Jésus-Christ
Le Nouveau Testament ne se comprend pas si on le dissocie de ce qui préside à la naissance du christianisme : le témoignage d’un groupe de Juifs de Galilée, selon lequel Jésus, qui prêcha parmi eux la venue du Royaume de Dieu, était le Messie promis par Dieu, était ressuscité et vainqueur de la mort, et annonçait la conclusion d’une nouvelle alliance entre les hommes et Dieu.
Il n’entre pas dans les limites de ce texte de traiter de la figure de Jésus. On rappellera simplement qu’il apparut en Galilée au cours du règne de Tibère sous le mandat de Ponce Pilate (vers les années 27-30), qu’il se présenta sous la triple figure du prophète, du guérisseur et du maître de sagesse, qu’il conduisit une prédication qui lui valut la bienveillance des foules, qu’il fut arrêté sous des motifs politiques et religieux obscurs et qu’il fut crucifié.
Immédiatement après sa mort, intervenue probablement en l’an 30 (ou sinon en 31 ou en 33), ses disciples proclamèrent que son corps avait disparu de son tombeau, qu’il était ressuscité et qu’il leur était apparu. Ils mirent alors en avant les paroles qu’il avait prononcées, et particulièrement celles du dernier repas qu’il avait pris avec eux (la « Cène ») et proclamèrent la Bonne nouvelle – c’est le sens du mot « évangile », en grec euangelion – de ce qu’ils avaient vécu et de la Nouvelle Alliance que Dieu avait passée en Jésus avec les hommes.
L’histoire de la première communauté chrétienne – et au-delà celle de tout le mouvement chrétien – s’articule autour du concept de témoignage. Le mouvement chrétien naît en effet de la nécessité de témoigner de la vie et du message de Jésus et se développe en approfondissant ce témoignage. L’écriture, et en particulier l’écriture des livres qui entreront dans le Nouveau Testament, ne se comprend pas dans cette société essentiellement orale sans cette notion clef.
Pourquoi un « Nouveau » Testament ?
Avant que le terme testamentum (en latin) ou diathékè (en grec) ne fût appliqué à des livres, il désignait l’alliance que Dieu avait passée avec Noé, Abraham, Isaac, Jacob et leurs descendants, pour leur accorder soutien et bénédiction. Or, juste avant l’Exil (v. 587 av. J.-C.), Jérémie annonçait déjà que Dieu allait conclure une « nouvelle alliance » (Jérémie 31, 31-33) avec son peuple. Paul, quant à lui, appelait l’alliance passée avec Abraham « ancienne alliance » (II Corinthiens 3, 14) et théorise dans l’Épître aux Galates l’existence de deux alliances : une alliance ancienne et une alliance nouvelle (Galates 4, 21-31).
L’auteur de l’Épître aux Hébreux évoquait une « alliance nouvelle » (Hébreux 8, 6 ; 9, 15 ; 12, 24). À partir du milieu du 2ème siècle seulement et par glissement de sens, les chrétiens commencèrent à désigner par « Nouveau Testament » le corpus de ceux de leurs écrits qu’ils jugeaient « canoniques », ce qui conduisit à nommer « Ancien Testament » les écrits d’Israël qu’ils retinrent.
L’ordre des livres du Nouveau Testament
L’ordre de présentation des livres, tel que l’a fixé la tradition ecclésiale, répond à des critères variés, parfois surprenants ; il est clair qu’il ne correspond nullement à la chronologie de la mise par écrit des livres, puisque les premiers textes fixés par écrit ont certainement été les lettres pauliniennes entre 50 et 60, la première lettre aux Thessaloniciens étant considérée comme le premier écrit chrétien, sans doute rédigé en 49-50.
Une tout autre idée préside, semble-t-il, à l’organisation du corpus : en tête viennent les quatre évangiles, ce qui correspond à la chronologie de l’annonce de la Bonne Nouvelle : généalogie et enfance de Jésus de Nazareth, vie publique en Galilée et en Judée, mort sur la croix, annonce de la Résurrection, apparition aux femmes et aux disciples. Mais le fait même qu’il y ait quatre évangiles, que l’histoire soit répétée quatre fois avec des différences notables, arrache les évangiles au genre biographique. Il s’agit de relire le passé vécu avec Jésus le Nazaréen à la lumière de sa Résurrection et de son élévation dans la gloire. À chaque communauté, avec sa configuration sociologique, culturelle et religieuse, il est proposé de reprendre la route, celle qui a mené Jésus à la croix, et de reconnaître, chemin faisant, dans celui que les hommes ont rejeté et crucifié, la puissance de Dieu à l’œuvre, le Ressuscité qui est maintenant leur Seigneur. Aux lecteurs d’horizons variés et parfois opposés, les évangiles offrent une pluralité de chemins pour la foi.
L’ordre retenu jusqu’aujourd’hui est Matthieu, Marc, Luc et Jean, mais une petite partie de la tradition manuscrite, reflet de certaines pratiques d’Église, porte un ordre différent : Matthieu, Jean, Luc et Marc ; peut-être faut-il y voir une organisation plus ésotérique des matières ?
Dans tous les cas, Matthieu ouvre le Nouveau Testament : il inscrit Jésus dans la lignée de la promesse à Israël, au sein d’une histoire que le judaïsme concevait comme l’histoire de Dieu avec son peuple ; aussi l’annonce-t-il comme « l’Emmanuel », ce qui signifie « Dieu avec nous » (Mt 1,23), réalisant la promesse de Dieu qui accompagne son peuple « jusqu’à la fin de l’âge » (Mt 28,20).
Après les évangiles, les Actes des Apôtres ouvrent le temps de l’Église : l’Esprit y assure l’expansion de la Parole jusqu’au centre de la terre habitée, Rome, tandis que le problème de l’articulation d’Israël et de l’Église sous l’horizon de l’élection est formulé en termes peu compatibles de substitution et d’espérance. C’est que Paul, depuis longtemps déjà, avait franchi le pas et était devenu « l’apôtre des nations païennes ». Refusant à la loi juive la possibilité d’offrir le salut, il n’avait plus proclamé de salut qu’en Jésus Christ et en Jésus Christ crucifié.
Les épîtres de Paul sont classées dans un ordre purement conventionnel : de la plus longue (Romains) à la plus courte (Philémon), les treize lettres longtemps considérées comme authentiques sont incluses. Viennent ensuite la lettre aux Hébreux, puis les lettres que l’on appelle épîtres catholiques, c’est-à-dire des lettres circulaires adressées à des communautés dispersées sur telle ou telle aire géographique : épître de Jacques, première et deuxième épître de Pierre, les trois épîtres de Jean, l’épître de Jude.
Toutes ces lettres reflètent la réception et l’enracinement de l’Évangile dans les communautés, mais aussi les conflits locaux, doctrinaux ou disciplinaires auxquels il a donné lieu. L’évangile de Paul, le premier, a pu être mal compris, notamment en milieu païen : les enthousiastes de Corinthe s’emparent de la liberté proclamée par l’apôtre (« tout est permis » ; 1 Co 6,12 et 10,23) pour en conclure à un mépris total du corps : ascèse excessive ou laxisme sans frein ; tandis que les Galates, séduits par des prédicateurs judaïsant, se laissent fasciner par les pratiques juives et réclament la circoncision. Chacun cherche dans son sens une garantie de salut : sagesse ou signe ! Des courants annonciateurs de mouvements hérétiques connus sous le nom de prégnostiques s’emparent du message chrétien ; plus tard dans le siècle, les lettres Pastorales réagiront contre ceux qui prétendent que la Résurrection a déjà eu lieu ; au début du IIe siècle la seconde épître de Pierre dénoncera ceux qui n’attendent plus la venue du Seigneur et dévitalisent l’espérance des communautés.
Constamment menacées par des prédicateurs judaïsant, des enthousiastes exaltés, des adeptes des philosophies épicuriennes ou sceptiques, les communautés du Nouveau Testament entreprennent la lente inculturation du message chrétien dans le monde gréco-romain. Le passage décisif de l’Évangile aux nations païennes et la séparation d’avec le judaïsme s’accomplissent non sans interrogation ni sans souffrance. Tard dans le Ier siècle, alors que le judaïsme se reconstitue autour de sa loi, l’évangile de Matthieu essaye difficilement de faire vivre ensemble judéo-chrétiens et pagano-chrétiens, mais ouvre la mission à toutes les nations. À la même époque, mais dans un autre milieu géographique et social, la lettre aux Éphésiens considère l’unité comme définitivement achevée. Paul, qui avait consommé tôt la rupture, conservait à l’endroit du judaïsme une espérance douloureuse mais sans faille ; quelques décennies plus tard l’auteur des Actes ne la partageait plus.
Si l’Apocalypse n’a été reconnue que tardivement par toutes les Églises, elle est devenue le dernier texte du Nouveau Testament, et cette finale est riche de sens: révélation du dessein définitif de Dieu dont l’intervention doit mettre un terme à l’histoire, elle affirme la dimension transcendante du salut et de la venue du Royaume de Dieu.
Elle entre ainsi en tension avec le déploiement des efforts humains dans la mission et la lutte contre les puissances hostiles tout au long du Nouveau Testament. Là où Matthieu ouvrait les temps nouveaux en proclamant la présence du Ressuscité auprès de son Église envoyée aux hommes jusqu’à la fin des âges, l’Apocalypse célèbre la fin de cette histoire et la venue de la création nouvelle et de la Jérusalem céleste.
Parce que la liturgie est à la fois actualisation et anticipation du Royaume, l’Apocalypse achève et ouvre le Nouveau Testament sur le cri liturgique : « Viens Seigneur Jésus ! » (Ap 22,20).
Sources bibliographiques
Le Nouveau Testament, Régis Burnet, Que sais-je, 2014.
La Bible et sa culture, M. Quesnel et Ph. Gruson (dir.), Desclée de Brouwer, 2000
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